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« Je me sens comme un étranger, ça m’exaspère »
Dans les banlieues pavillonnaires, où de plus en plus de familles issues de l’immigration accèdent à la propriété, le FN ne cesse de progresser.
LE MONDE | • Mis à jour le | Par Louise
Dans les quartiers pavillonnaires des banlieues populaires, on compte. Sur le bout de ses doigts, mais à tour de bras. On compte le nombre de pavillons désormais habités par des familles issues de l’immigration. « Quatre Arabes en face de chez moi, quatre autres au bout de la rue à droite, un Noir à gauche », détaille Micheline, 88 ans, qui habite la ville haute de Coulommiers, en Seine-et-Marne, dans une rue perpendiculaire à la cité des Templiers. « Nous ne sommes plus que huit ou neuf comme nous dans la rue, c’est ça le pire », renchérit un couple de retraités.
On compte le nombre de voitures aussi, celles que possèdent ces nouveaux habitants, et on compare les marques. « Moi j’ai une Clio et eux, ils ont des Mercedes et des 4×4, fulmine Alain Gredelue, 69 ans, retraité habitant un modeste pavillon à Vaujours, petite ville de moins de 7 000 âmes en Seine-Saint-Denis. Ça m’énerve singulièrement. » On compte également sa retraite , son salaire, ses charges, le temps passé au chômage, les années à travailler, ce qu’il reste à la fin du mois et les aides auxquelles on n’a jamais eu droit.
« L’Etat aide toujours les mêmes, les immigrés et les migrants, il injecte des millions pour rénover leurs cités et nous, on n’a jamais rien », souffle Bastien, 25 ans, fonctionnaire dans une mairie. Avec sa fiancée, Jessica, aide-soignante au chômage, ils partagent une maison avec cinq autres couples à Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, à une rue de la cité des Bosquets en chantier.
« On paie 700 euros de loyer pour un 30 m² tout pourrave, poursuit le jeune homme. On gagne juste un tout petit peu trop pour avoir un coup de main, mais pas assez pour vivre correctement. » Dans ces zones pavillonnaires qui craignent le déclassement et la délinquance, beaucoup disent compter sur la candidate du Front national (FN), Marine Le Pen, pour « remettre de l’ordre ».
« Une validation du discours de Le Pen »
Si la Seine-Saint-Denis n’est pas prête à basculer Front national, dans certaines communes et dans certains quartiers, le score du parti d’extrême droite ne cesse de grimper. « L’arrivée de propriétaires d’origine étrangère dans un environnement historiquement réservé aux Blancs est, aux yeux de ces derniers, une validation empirique du discours politique de Marine Le Pen, explique Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’institut de sondage IFOP. En passant de la location en HLM à la propriété en pavillon, les nouveaux habitants sont dans l’ascension sociale, tandis que les habitants plus anciens se sentent menacés et assignés à résidence. » « Ils ont peur que la présence des nouveaux arrivants nuise à l’image du quartier et dévalorise leur bien », souligne Violaine Girard, maîtresse de conférence en sociologie à l’université de Rouen.
A Vaujours, Mme Le Pen est arrivée en tête avec plus de 27 % des suffrages, 6 points de plus qu’en 2012. Ancien patron d’une petite entreprise d’outillage, Alain Gredelue va voter FN pour la deuxième fois dimanche. « C’est l’insécurité qui détermine mon choix, explique-t-il, en pointant son doigt vers le grillage endommagé à l’arrière de la petite maison qu’il habite depuis trente ans. Mardi dernier, deux jeunes femmes roms sont passées par les champs pour pénétrer chez moi. » Ce n’est pas la seule raison de son ras-le-bol. L’homme est exaspéré par les habitants des HLM qu’il dit voir « passer leurs journées au PMU à gratter », tandis que sa petite-fille de 20 ans enchaîne les CDD de caissière et les formations, le tout pour une misère : 494 euros par mois. « C’est inadmissible », tempête-t-il.
Des coutumes « qui nous submergent »
Dans le garage de son pavillon coquet situé à deux rues de la cité des Bosquets de la ville populaire de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), Roger Ruiz, 70 ans, écoute du hard rock tout en bricolant ses trois motos de course. Ici, le vote frontiste a gagné 3 points entre 2012 et 2017, pour atteindre 22 %. Cela fait plus de trente ans que Roger Ruiz habite là. « Mais rien n’est plus pareil », se plaint-il.
Et de décrire des communautés qui se replient, des femmes voilées omniprésentes et des coutumes qui, dit-il, « nous bouffent et vont nous submerger ». Avant de pester contre une voisine qui porte le voile et « ne parle même pas français » et contre le marché de la cité des Bosquets qu’il appelle le « marché de Bab El Oued », nom d’un quartier populaire d’Alger. « Je me sens comme un étranger, alors qu’on enseigne l’arabe en primaire, ça m’exaspère. »
Fils d’un immigré espagnol et ancien partisan d’Arlette Laguiller, il ne supporte plus de voir « la droite et la gauche se partagent le gâteau ». « Moi, j’ai travaillé dur toute ma vie, j’ai 1 500 euros de retraite, et on a fait rentrer des gens de partout, dit-il. La révolution doit passer par les extrêmes. »
« Aujourd’hui, les habitants historiques des pavillons ont intégré que ces “gens-là” ne partiront pas, analyse Jérôme Fourquet, de l’IFOP. Mais ils se disent que c’est encore eux, les “Gaulois”, qui fixent les règles non écrites du quartier. La question de l’équilibre démographique est centrale à leurs yeux. »
Quatre points en cinq ans pour le FN
Cela fait trois ans désormais que ce jeune agent immobilier de la ville de Coulommiers, où Mme le Pen est arrivée en tête avec près de 26 % des scrutins (3 points de plus qu’en 2012), distribue des flyers au sein de la cité des Templiers : « Devenez propriétaires au prix de votre loyer. » « Paradoxalement, avec la baisse des prix, la crise a profité aux milieux populaires », explique-t-il. Leur trajectoire résidentielle se traduit le plus souvent d’abord par un saut de puce de quelques rues, à deux pas de la cité.
Il n’est pas rare, parmi cette population, d’entendre des discours anti-immigration très durs. Aussi intransigeants que leurs voisins qui votent FN. « C’est un symptôme assez paradoxal d’une intégration réussie, analyse Jérôme Fourquet, de l’IFOP. Se déclarer proche de certaines idées du Front national, c’est dire “j’en suis”, je suis français ! Mais cela ne se traduit pas par un vote en faveur de Marine Le Pen, ou si peu, car ils savent bien qu’en tant que musulmans, ils sont dans le viseur. »
Couverture
Mia, 30 ans, chargée de clientèle, habite une petite maison de 90 m² qui vient tout juste de sortir de terre dans un lotissement encore en chantier appelé Les Jardins de Nandy, du nom de cette petite ville de Seine-et-Marne de moins de 6 000 habitants. Ici, le FN a gagné 4 points en cinq ans, pour dépasser la barre des 20 %.
« Marine Le Pen a plein de bonnes idées, lance la jeune femme. Particulièrement sur l’immigration. » Lorsqu’on lui fait remarquer qu’elle est la fille d’une immigrée algérienne, elle hausse le ton : « Cela n’a rien à voir ! Ma mère est venue pour travailler, pas pour profiter des aides sociales. » Mia avait jusqu’à présent toujours voté à gauche, mais elle en a fini avec le Parti socialiste. Elle a voté pour le candidat de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, au premier tour, et ne votera pas au second, parce que « Le Pen est contre la liberté religieuse et Macron contre les petits comme nous ».
Le FN l’a bien compris. Si les militants ne se risquent pas dans les cités – « on n’est pas là pour se faire casser la figure », dit l’une d’elle –, ils sillonnent les quartiers pavillonnaires populaires pour glisser des prospectus dans les boîtes aux lettres. Pour tracter, ils se concentrent sur les gares et les marchés des centres-villes. Comme dimanche 30 avril, à Drancy. Dans une ville où M. Mélenchon est arrivé largement en tête, l’accueil aurait pu être modérément bienveillant. Il n’en fut rien. Tous ici – femmes voilées, hommes en kamis, jeunes couples, retraités – se sont saisis du tract sans sourciller. Quelques-uns seulement l’ont refusé. Les 600 flyers ont été distribués en moins d’une heure.
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