Selon le rapport, les migrants ont participé à hauteur de 70% à l’augmentation de la main d’œuvre en Europe au cours des 10 dernières années. Photo : Jean-Jacques Régibier
Selon le rapport, les migrants ont participé à hauteur de 70% à l’augmentation de la main d’œuvre en Europe au cours des 10 dernières années. Photo : Jean-Jacques Régibier

Un rapport du Conseil de l’Europe contredit toutes les idées reçues selon lesquelles les migrants menaceraient l’emploi et les régimes de sécurité sociale des pays où ils s’installent. Chiffres et exemples à l’appui, il démontre au contraire que les migrants contribuent de façon décisive à la richesse économique et culturelle des pays qui les accueillent.

Ce rapport exhaustif sur l’impact effectif des migrations en Europe, intervient après plusieurs autres rapports et résolutions votés depuis trois ans par l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui regroupe les députés de 47 pays européens, dont la Turquie et la Russie. Après plusieurs autres études allant dans le même sens, ce rapport s’inscrit en faux contre tous les discours xénophobes hostiles aux migrants ou contre les gouvernements qui refusent de favoriser l’installation des immigrés. Pour aborder la questions des migrations de manière constructive, il en appelle à un renversement complet des manières de voir, en appelant les Etats à régulariser les migrants  parce qu’ils représentent une chance pour l’Europe, aussi bien d’un point de vue économique que culturel. Pour les auteurs de cette étude, l’absence de politiques migratoires coordonnées au niveau européen est la cause directe de la montée des peurs irrationnelles de rejet des migrants au sein de la population européenne.

L’Europe défaillante

Pour Andrea Rigoni, le rapporteur libéral italien sur les migrations, la différence - relayée par les médias et des responsables politiques - entre réfugiés politiques et migrants économiques, n’est pas pertinente, c’est globalement qu’il faut traiter la question. Il n’y a pas de « bons » et de « mauvais » migrants, les migrations sont un fait contemporain, c’est la conséquence normale de l’évolution de nos sociétés, et au demeurant, le phénomène a toujours existé. La différence, c’est que l’Europe qui a été pendant des siècles une terre d’émigration - envoyant ses populations s’installer dans le monde entier - est désormais devenue un continent d’immigration. L’Europe attire, le phénomène est devenu particulièrement visible depuis le début des années 2010, et de l’avis de la plupart des membres de l’assemblée parlementaire, face à cette situation, « les pays européens n’ont pas été à la hauteur. »

Certes, parmi les causes des migrations, il y a des événements exceptionnels, comme les guerres et les crises en Syrie, en Irak ou en Libye, mais les migrations sont aussi la conséquence de la mondialisation du marché du travail et « du désir de chacun de trouver un meilleur emploi et de meilleures conditions de vie, » explique le rapport, qui rappelle également que le changement climatique aura aussi une influence sur les migrations. Aujourd’hui, les migrants représentent presque un milliard de personnes dans le monde, et parmi les 10 pays qui accueillent le plus de migrants, 5 sont européens ( Allemagne, Russie, France, Espagne et Italie. ) Si « crise » il y a, elle n’est pas du côté des migrations, mais du côté des institutions européennes qui démontrent leur incapacité à prendre cette question à bras le corps, et sur la résistance de certains Etats membres qui refusent d’assumer leurs responsabilités. L’ancienne ministre de l’Intérieure grecque chargée des migrations, , explique d’ailleurs que cette « crise » n’est pas conjoncturelle, et qu’elle va durer. La ministre relève au passage le « manque de courage de l’Europe, » en rappelant par exemple que sur les 66 000 réfugiés arrivés en Grèce que les pays européens s’étaient engagés à accueillir, seuls, pour l’instant, moins de 15 000 l’ont été.

Le rapport en profite également pour rappeler ce qu’on a trop tendance à oublier : beaucoup de pays européens ont également une part importante de leur population à l’étranger (autour de 20% par exemple pour le Portugal ou l’Irlande, par exemple.)

«  Énorme avantage »

Au cours des 10 dernières années, les migrants ont participé à hauteur de 70% à l’augmentation de la main d’œuvre en Europe. C’est vrai dans les secteurs comme la construction, l’hôtellerie, la restauration, l’informatique, l’agriculture et les services financiers où la pénurie de main-d’œuvre est en partie comblée par les migrants. Au Luxembourg par exemple, la construction, l’hôtellerie et la restauration dépendent totalement des travailleurs migrants. Mais Andrea Rigoni explique que les migrants ont aussi représenté 15% des primo-entrées sur la marché du travail dans des secteurs tel que la science, la technologie ou l’ingénierie. Parmi les pays européens, c’est le Royaume-Uni, avec le Luxembourg, qui attire le plus grand nombre de migrants de l’enseignement supérieur travaillant principalement dans le secteur de la finance, de la technologie et des médias.

« En général », analyse le rapport, « les migrants ont plutôt tendance à compléter la main-d’œuvre qu’à la remplacer, » même s’il existe des cas limités ( Sud de la Turquie par exemple ), où l’arrivée de réfugiés venant  de Syrie, chassés par la guerre, a crée une concurrence tendue sur le marché du travail local.

Andrea Rigoni cite une étude récente de l’OCDE ( Organisation de la coopération et du développement économique ) qui montre que « les migrants contribuent plus aux impôts et aux cotisations sociales qu’ils ne reçoivent de prestations individuelles. » Ainsi au Luxembourg et en Suisse, les migrants fournissent un bénéfice net estimé à 2% du PIB.

L’autre incidence positive des migrations concerne la démographie. En raison de la tendance au vieillissement de la population européenne et de la baisse des taux de fécondité, note dans un autre rapport la secrétaire d’Etat norvégienne Kristin Johnsen, « la réduction de la main-d’œuvre en Europe aura de fortes répercussions économiques, car un nombre plus restreint de personnes contribuera à financer les retraites, la consommation diminuera et la protection sociale sera limitée. » Elle en appelle à « des politiques migratoires volontaires pour améliorer la situation démographique en Europe. » On sait par exemple que l’Allemagne a besoin de 500 000 arrivées par an. En 2015, l’augmentation de la population allemande n’a été due qu’à celle issue de l’immigration qui représente aujourd’hui 21% de la population totale du pays.

Enfin, le rapport insiste sur les atouts qu’apportent les migrants aux cultures des sociétés européennes. Il prend comme exemple des pays tels que la Suisse et le Luxembourg, où les migrants représentent respectivement 26% et 47% de la population, et où « la diversité culturelle s’inscrit désormais dans la vie quotidienne. » Les migrations ont une grande incidence sur le sport en Europe, explique Andrea Rigoni qui note aussi l’importance des migrants « dans les tendances de l’art, de la mode et de la cuisine en Europe, au bénéfice de la diversité, » et conclut que dans une perspective à long terme, les migrations auront «  une incidence positive sur la société européenne, qui devient ainsi plus tolérante, plus diverse et plus ouverte d’esprit. » Il parle même « d’énorme avantage. »

On pourra noter - certains députés l’ont fait – le côté « utilitaire » pour les sociétés européennes de ce regard sur l’immigration. Mais il est clair  que le rapport - ainsi que d‘autres études complémentaires présentés toute la journée de mercredi devant l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe – est une réaction face aux discours xénophobes et hostile aux migrants tels qu’ils se sont développés dans de nombreux pays européens, spécialement depuis 2 ans. Il marque, dans l’espace institutionnel européen, le début d’une contre-offensive face à « la montée significative des mouvements populistes anti-migrants, inspirés par certains partis de droite, » dit explicitement Andrea Rigoni qui en appelle à un changement complet de regard sur l’immigration. Dans un autre rapport, l’ancienne ministre socialiste des Affaires sociales, Susanna Huovinen, explique qu’il vaut mieux aujourd’hui, à la place du mot « intégration » (des migrants) parler d’inclusion sociale de tous, inclusion sociale qui « doit mettre chaque personne à contribution – et pas seulement les migrants-, chacun devant apprendre à vivre dans une communauté multilingue, multiculturelle et pluri-religieuse. »