Un grand rôle… de vedette américaine
Politique étrangère . Devant les ambassadeurs le président Sarkozy a confirmé hier le choix de l’intégration de Paris à un dispositif occidental piloté par Washington.
C’est à un exercice d’équilibriste subtil que s’est livré Nicolas Sarkozy, hier matin à la traditionnelle conférence qui réunit comme chaque année à la même époque les ambassadeurs de France et les responsables de l’exécutif national. Il y a confirmé la poursuite de la réorientation de la politique extérieure de Paris sur une pente de plus en plus intégrée et atlantiste tout en s’efforçant de la présenter comme le seul moyen pratique de garantir la « grandeur de la France » dans le monde tel qu’il est. Il a plaidé ainsi l’importance de « l’amitié entre la France et les États-Unis », tout en affirmant qu’il ne s’agissait pas d’un « alignement » puisque, a-t-il lâché, « je me sens libre d’exprimer nos accords comme nos désaccords, sans complaisance, ni tabou ». Mais pour qui ne veut pas se laisser prendre à cette clause de communication, les orientations concrètes avancées par le président ne laissent aucun doute.
Une pente atlantiste
L’intégration de Paris à une politique occidentale très suiviste des préoccupations de Washington traverse plusieurs des champs géostratégiques évoqués hier par Nicolas Sarkozy. Sur la lutte antiterroriste, le chef de l’État rejoint l’argument de la peur et du langage sécuritaire de Washington pour invoquer une lutte sans merci contre des criminels qui pourraient, un jour, « utiliser des moyens nucléaires, biologiques ou chimiques » pour se faire le chantre d’une « coopération totale entre services de sécurité ». Et de se draper dans le besoin de « prévenir une confrontation entre l’islam et l’Occident », ce qui fait la part belle à la thèse du « choc des civilisations », chère aux néoconservateurs états-uniens, en dépit des ravages déjà occasionnés par cette appréhension qui a bien davantage renforcé les risques qu’elle ne les a combattus.
En matière de défense le président Sarkozy demande « un renforcement » des moyens militaires de l’Union européenne, tout en précisant bien que la démarche « ne s’inscrit absolument pas dans une compétition avec l’OTAN ». Et de plaider au contraire pour un renforcement et une « rénovation » de l’Alliance atlantique. On sait que les États-Unis font le forcing, depuis quelques années, pour transformer l’organisation en une sorte de police mondiale, toute dévouée à leurs intérêts géopolitiques. L’insistance de Nicolas Sarkozy à plaider pour une « accentuation de nos efforts » aux côtés de l’OTAN en Afghanistan, terre d’expérimentation de l’élargissement des missions de l’Alliance, prend ainsi toute sa signification.
Tout comme les rodomontades élyséennes à l’égard du Pakistan, coupable de ne pas se montrer suffisamment coopératif dans la lutte contre les taliban ; de la Russie qui « impose son retour sur la scène mondiale en jouant avec une certaine brutalité de ses atouts, notamment gaziers et pétroliers » ou de la « politique de puissance » de la Chine. Sur chacun de ces sujets le discours prétendument « pragmatique » de l’Élysée se rapproche à s’y méprendre de celui tenu par la Maison- Blanche.
L’Europe du traité simplifié
Pour répondre à ces défis, l’intégration de la France dans un vaste ensemble euroatlantique est indispensable aux yeux du président. Cela passe par l’avènement d’une Europe « assumant son rôle de puissance ». Le « traité simplifié » voulu « en toute priorité » par Nicolas Sarkozy, fournissant enfin à l’UE les moyens de se hisser à la hauteur de cette tâche. Le chef de l’État a confirmé qu’il souhaitait que la conférence intergouvernementale chargée de rédiger le nouveau texte de référence européen ait conclu ses travaux « avant le Conseil européen d’octobre ». « Afin de permettre une entrée en vigueur du nouveau traité avant les élections européennes du printemps 2009 », a-t-il précisé.
Et de plaider très longuement, comme pour boucler la boucle de l’intégration atlantiste évoquée plus haut, en faveur du développement de « l’Europe de la défense ». « Je souhaite que les Européens assument pleinement leur responsabilité et leur rôle au service de la sécurité et de celle du monde », a souligné le chef de l’État avant de se prononcer pour une course aux « capacités militaires opérationnelles » et à l’achat de « nouveaux programmes d’armement ».
Un strapontin
au Moyen-Orient
C’est en traitant du problème sous l’angle de « la prévention » de la confrontation entre islam et Occident, comme si l’islam était un ensemble géopolitique comme l’était l’ex-bloc socialiste est-européen, que Nicolas Sarkozy traite des « crises du Moyen-Orient ».
Sur le conflit israélo-palestinien, où selon lui, « tout a été dit, beaucoup a été tenté », il a estimé que « le paradoxe de la situation est que nous savons quelle sera la solution (…) : deux États-nations vivant côte à côte dans la paix et la sécurité à l’intérieur de frontières sûres et reconnues » dont assure-t-il, il connaît « le contenu de cette solution à travers les paramètres Clinton et le legs de Taba. (…) Malgré cela, chacun a le sentiment désespérant que la paix ne progresse pas ». Pour quelles raisons ? Nicolas Sarkozy a préféré les éluder, parce qu’il refuse de voir la réalité de l’occupation israélienne avec en toile de fond la poursuite de la colonisation des territoires palestiniens, la construction du mur de séparation, deux faits dont il n’a soufflé mot dans son intervention. Dès lors, affirmer que la France ne peut se résigner à la perspective d’un « Hamastan » en éludant les causes réelles qui y ont conduit, signifie-t-il qu’il accorde la priorité à la lutte contre le Hamas, s’alignant là encore en fait sur les positions de Washington.
Sur « la tragédie irakienne », le chef de l’État a réaffirmé que « la France était et demeure hostile à cette guerre », éludant là également les causes de ce conflit. Si « la solution est politique » assure-t-il, « elle implique la marginalisation des groupes extrémistes et un processus sincère de réconciliation nationale, au terme duquel chaque segment de la société irakienne, chaque irakien, devra être assuré d’un accès équitable aux institutions et aux ressources de son pays ; elle implique aussi que soit défini un horizon clair concernant le retrait des troupes étrangères. Car c’est la décision attendue sur ce sujet qui contraindra tous les acteurs à mesurer leurs responsabilités et à s’organiser en conséquence. » Bush ne dit d’ailleurs pas autre chose quand il presse les Irakiens à se réconcilier et faire front face au péril djihadiste.
Le Liban est sans doute le seul sujet où l’on note une continuité avec la politique moyen-orientale de Jacques Chirac. Réaffirmant que « la France est l’amie de tous les Libanais », il a invité ces derniers à poursuivre le dialogue « pour aboutir à une sortie de crise par le haut : un président élu dans les délais et selon la Constitution », ainsi que « tous les acteurs régionaux, dont la Syrie » à « agir pour favoriser une telle solution ». C’est à cette condition, a-t-il souligné, que peut être envisagé un dialogue entre Paris et Damas.
Menace contre Téhéran
« Un Iran doté de l’arme nucléaire est inacceptable », a-t-il souligné, affirmant la détermination de la France, qui est aussi celle des États-Unis, en faveur d’une démarche « alliant sanctions croissantes mais aussi ouverture si l’Iran fait le choix de respecter ses obligations ». Et ce, afin « d’échapper à une alternative catastrophique : la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran ». En clair, Paris n’est pas contre des frappes américaines contre Téhéran si ce dernier poursuivait son programme nucléaire.
L’Afrique reste
une priorité
Nicolas Sarkozy, qui a estimé que « l’Afrique restera une priorité essentielle » de sa politique étrangère, a déclaré avoir « pris l’initiative d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU devant se tenir le 25 septembre au niveau des chefs d’États ou de gouvernement » qu’il présidera. Sans en dire plus sur les intentions françaises. Quant au Darfour, il a souhaité que la France s’implique « pleinement » dans la recherche d’une issue à la crise.
Ambition méditerranéenne
Citant le processus de Barcelone, mais en assurant vouloir aller au-delà de ce qui a été accompli, Nicolas Sarkozy a proposé de bâtir cette « union » autour de quatre piliers : l’environnement et le développement durable, le dialogue des cultures, la croissance économique et le développement social et un espace de sécurité méditerranéen, et ce, à travers « des projets réalistes ». Pour ce faire, il a annoncé la tenue en 2008 d’une première réunion des chefs d’États et de gouvernement. C’est peut-être le seul domaine où le président français innove en matière de politique étrangère depuis que Washington a décidé de s’impliquer au Maghreb. (Bruno Odent et Hassane Zerrouky)
Avant de s’envoler pour Alger, N. Sarkozy avait rendu publique la lettre de mission adressée à Hortefeux, dans laquelle il lui demande de réduire de façon drastique le regroupement familial au profit de l’immigration économique ou, pour reprendre une formule chère à la droite, de « l’immigration choisie ». Evidemment cette
concomittance ne doit rien au hasard, elle est un signe explicite de stigmatisation adressé à un peuple dont les liens avec la France sont particulièrement étroits, aux familles algériennes réparties sur les deux rives de laMéditerranée.
Un demi-siècle après la guerre qui aboutit à l’indépendance de ce pays, le message délivré par l’ancienne puissance coloniale ne peut éveiller chez les Algériens un autre sentiment que celui de ne pas être les bienvenus dans l’Hexagone. L’immigration menacerait l’identité nationale comme le suggère le nom du ministère dont Hortefeux a la charge. Ne pas être les bienvenus, ou plutôt n’y être toléérés que s’ils répondent « aux besoins économiques de la France ». L’état d’esprit qui anime nos dirigeants n’a visiblement pas évolué depuis les années soixante, quand des démarcheurs de l’industrie automobile écumaient les villages de Kabylie pour alimenter les chaînes de montage de Renault et de Citroen.
Des hommes tout juste bons, aux yeux des grands patrons, à produire de la plus-value mais fermement invités à laisser femme et enfants loin de nos cités. Aujourd’hui, parce que l’Algérie est indépendante et que, malgré la crise qui la frappe, ce pays forme des étudiants, dispose de jeunes gens plus qualifiés que ne l’étaient leurs parents, tout juste sortis du joug colonial, il est tentant d’y puiser des compétences. Telle est la philosophie de l’immigration choisie que le président Sarkozy traduit par un quota : 50% du total des immigrés.
Sur de telles fondations, il est douteux que le nouveau chef de l’Etat puisse contribuer à bâtir une union de la Mediterranée digne de ce nom. Celle ci est pourtant nécessaire après plus d’une décennie d’échec patent du processus de Barcelone, qui n’est pas parvenu, le moins que l’on puisse en dire, à faire de notre région commune une zone de paix et de prospérité partagée.
L’enjeu du codéveloppement exige un tout autre engagement. Mais des craintes se font jour dans les opinions publiques des pays du sud de la Méditerranée que la construction de cette Union ne s’accompagne d’une fermeture plus hermétique de l’Europe, face à son sud dépendant et dominé. Le jeu n’est pas égal quand l’on parle à la fois « d’union de la Méditerranée » et d’ »immigration choisie ».
La visite de Chirac en 2003 avait soulevé beaucoup d’espoir dans la population algérienne. La France officielle allait-elle enfin se départir de sa rancoeur arrogante d’ancienne puissance coloniale pour promouvoir un véritable partenariat entre deux pays égaux ? Allait-on en finir avec l’humiliant parcours du combattant imposé aux Algériens pour le moindre séjour en France et l’arbitraire de la délivrance des visas ?
Depuis, la perspective d’un traité d’amitié entre Paris et Alger a volé en éclats avec le vote de la loi du 23 février 2005 attribuant « un rôle positif à la colonisation ». Le refus de la « repentance » sur l’oppression coloniale, réaffirmé par le chef de l’Etat dans la presse algérienne, est dans la logique du discours du candidat UMP qui, dans un meeting à Toulon, choisissait clairement ceux vers qui allait sa compassion : « A tous ceux qui sont revenus des colonies en ayant tout abandonné, je veux dire que si la France a une dette morale, c’est d’abord envers eux. »
L’avenir des relations entre la France et l’Algérie mérite une tout autre vision.