La Poste : vannes ouvertes au privé
Ceci est un article paru dans "L'huma" sur la situation générale de la Poste. Nous verrons sous peu la situation en Corse [u cursinu rossu]
Le Conseil des ministres examine le projet de loi transformant l’entreprise publique en société anonyme. Quatre syndicats annoncent une journée de grève pour septembre. Top départ, aujourd’hui, pour le changement de statut de la Poste. C’est ce matin que le Conseil des ministres examine le projet de loi « relatif à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales », qui sera déposé au Parlement à la rentrée pour être discuté à l’automne. Un texte qui malgré sa brièveté - onze pages - engage un tournant dans l’histoire de la Poste, tant pour ses personnels que pour ses usagers. Un texte à double détente, puisque d’une part il prévoit la transformation de la Poste, exploitant public, en société anonyme au 1er janvier 2010, et d’autre part, organise la transposition en droit français de la directive européenne postale de février 2008, qui libéralise totalement le marché du courrier au 1er janvier 2011. Le gouvernement essayant de faire croire que l’ouverture à la concurrence rend obligatoire le changement de statut de la Poste, pour lui permettre de se battre à armes égales avec les opérateurs privés qui vont arriver sur le marché. Un faux rempart contre la privatisation Depuis l’annonce du changement de statut il y a un an, la ligne du gouvernement est restée constante : rassurer personnels et usagers, tenter de les persuader que l’avenir de la Poste n’est pas celui de sa « cousine » France Télécom, avec les dégâts bien connus sur les conditions de travail, le service rendu, les prix. Tenter de convaincre, donc, qu’il ne s’agit en aucun cas d’une privatisation. « À aucun moment nous ne laisserons place à l’intérieur du capital à quelque acteur privé que ce soit », martelait ainsi le ministre de l’Industrie Luc Chatel, le 16 juin dernier lors de la présentation du projet de loi. Pour le ministre - depuis remplacé par Christian Estrosi -, le texte interdit toute privatisation puisqu’il stipule que le capital de la société anonyme La Poste « est détenu par l’Etat ou d’autres personnes morale appartenant au secteur public », sauf la partie détenue par le personnel (actionnariat salarié). Le hic, c’est que l’expression « secteur public » désigne les entreprises ayant plus de 51% de leur capital détenu par l’Etat, autrement dit jusqu’à 49% de capitaux privés. Le plan du gouvernement est de faire entrer dans un premier temps la Caisse des dépôts, organisme 100% public, au capital de la Poste aux côtés de l’Etat, pour un apport total supplémentaire de 2,7 milliards d’euros à l’entreprise. Mais par la suite, sous prétexte de besoins de financement de la Poste face à la concurrence, de nouvelles augmentations de capital ou la cession des parts de la Caisse des dépôts pourront à tout moment amener l’intervention de sociétés aux capitaux en partie privés. Sans compter qu’il suffira d’une nouvelle loi pour modifier à la baisse le caractère « public » du capital de La Poste. C’est l’histoire de France Télécom. Une menace sur le service public Toujours pour rassurer, le texte rappelle pour la forme que La Poste SA continuera de remplir ses quatre missions de service public (aménagement du territoire, transport et distribution de la presse, accessibilité bancaire et service universel postal), mais sans en préciser les modalités. Il stipule qu’après l’ouverture totale à la concurrence, c’est La Poste qui restera pendant quinze ans prestataire du service universel postal, que le Code des postes définit très modestement comme la levée et la distribution du courrier tous les jours ouvrables, pour tous les usagers, à un prix « abordable ». La Poste finance actuellement cette mission grâce à son reste de monopole sur les plis de moins de 50 grammes. Comme le 1er janvier 2011 marquera la fin de tout monopole, le financement du service universel sera assuré par un « fonds de compensation » auquel contribueront les opérateurs privés, « au prorata de leur chiffre d’affaires réalisé » sur les envois de moins de 2 kg, sans que la hauteur de cette participation ne soit précisée. Enfin, le gouvernement répète à l’envi que le statut des 151 000 postiers fonctionnaires sera « préservé ». Mais, selon le projet de loi, ils seront « rattachés à la société La Poste et placés sous l’autorité de son président qui dispose des pouvoirs de nomination et de gestion à leur égard ». Ce qui les sort clairement du giron et des règles de la fonction publique, tout comme l’ont été, après 1997, les agents de France Télécom, qui ont perdu la plupart de leurs garanties, sauf la sécurité de l’emploi. Pour les syndicats, il s’agit bel et bien du lancement de la privatisation. Sur fond de multiplication des conflits locaux liés aux réorganisations et aux suppressions d’emplois, tant chez les facteurs que dans les centres de tri et les bureaux de poste, la CGT, SUD, FO et la CFTC annoncent déjà une journée d’action nationale « de grève et de manifestations » pour septembre. En parallèle, le Comité national contre la privatisation de La Poste, qui réunit ces syndicats plus 80 associations et partis de gauche, organisera le 3 octobre une consultation nationale pour permettre aux usagers de dire « non » au changement de statut. Fanny Doumayrou (l’Huma)