Plan d’aménagement et de développement durable de Corse
Par Evelyne Didier / 18 octobre 2011
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi qui tend à revoir la procédure d’élaboration et le contenu du plan d’aménagement et de développement durable de la Corse, cela pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, l’insécurité juridique est forte : en effet, l’absence de SCOT, combinée à l’échec du précédent PADDUC, a abouti à un vide juridique et à une absence d’articulation entre les documents d’aménagement, ce qui constitue un handicap pour le développement du territoire corse et sa compatibilité avec la protection de l’environnement.
Ce vide juridique est d’autant plus grand que bien peu de communes sont dotées de documents d’urbanisme, qu’il s’agisse de cartes communales, de plans d’occupation des sols ou de plans locaux d’urbanisme. Par ailleurs, plusieurs PLU ont été annulés par le tribunal administratif au cours des deux dernières années.
Rappelons que l’ancienne Assemblée de Corse n’était pas parvenue à un consensus et avait été critiquée en raison d’un manque de concertation, d’une part, et de sa volonté d’apporter des assouplissements à la loi Littoral, d’autre part.
La nouvelle Assemblée de Corse, élue en 2010, s’était alors vu soumettre par l’État une proposition de modification législative du cadre d’élaboration du PADDUC, qu’elle a examinée en décembre 2010 et sur laquelle elle a adopté, à l’unanimité, un certain nombre de propositions. Certaines d’entre elles ont été reprises par l’État et intégrées dans le texte qui a été discuté en commission.
La volonté du groupe CRC est double : assurer à la Corse la possibilité de se doter dans les meilleurs délais d’un PADDUC juridiquement renforcé et soutenu par les élus de l’Assemblée de Corse, tout en veillant à ce que ce texte n’altère pas l’esprit des grandes références législatives que sont les lois Montagne et Littoral.
D’emblée, je tiens à souligner la qualité du travail du rapporteur, qui est allé au fond des choses, même si certains choix peuvent être contestés et si certaines dispositions sont d’un maniement délicat. L’examen des amendements que nous avons déposés nous donnera l’occasion d’en débattre.
Auparavant, je souhaite revenir sur les motifs de satisfaction que nous offre ce texte : l’intégration d’un certain nombre d’apports de la loi Grenelle II, en particulier la compatibilité du PADDUC avec les objectifs des plans de prévention des risques d’inondation, les PPRI, et la mise en œuvre de la trame verte et bleue, sur laquelle je reviendrai plus en détail ultérieurement ; la référence aux articles L. 110 et L. 121-1 du code de l’urbanisme, qui s’inscrit dans la création d’un cadre juridique commun à l’ensemble des documents d’aménagement et d’urbanisme ; la tenue d’un débat au sein de l’Assemblée de Corse préalablement à l’élaboration du PADDUC, qui permettra de s’assurer des attentes des élus corses, avant même d’engager tout le travail d’élaboration de ce plan, la procédure permettant en outre d’associer un maximum d’acteurs ; la procédure de modification, plus souple que celle de la révision, destinée à permettre d’intégrer plus efficacement des modifications marginales et d’adapter le document aux évolutions de l’île ; la mise en cohérence du délai au terme duquel est menée l’évaluation environnementale avec celui qui est prévu pour les SCOT, soit six ans au lieu de dix ; la possibilité de tenir compte de cette évaluation par le biais de la procédure de modification, et non par la seule procédure de révision, ce qui permet aussi de justifier la suppression de la menace de caducité qui pesait, dans le texte initial, sur le PADDUC, en cas d’absence de délibération de l’Assemblée de Corse sur l’opportunité d’une révision, dans la mesure où, avec une procédure simplifiée, il est plus facile de tenir des délais raisonnables ; enfin, les mesures transitoires concernant la trame verte et bleue, ainsi que la mise en compatibilité avec le PPRI.
Quelques sujets de débat subsistent toutefois dans ce texte.
Le principal concerne l’application des lois Montagne et Littoral.
Si la possibilité de préciser dans le PADDUC les modalités d’application des lois Littoral et Montagne faisait en effet partie des demandes exprimées par les élus corses, il ne me semble pas que ces derniers aient jamais évoqué l’adaptation de ces lois aux particularités géographiques locales. L’Assemblée de Corse avait bien demandé que soit ouverte la possibilité de préciser la législation en vigueur dans les zones littorales et de montagne, mais jamais celle d’adapter cette législation ! À moins que l’on ne nous démontre le contraire, il s’agit bien là d’une porte ouverte à l’instauration de dispositions dérogatoires à ces deux textes de loi. Vous avez dit dans votre propos liminaire, monsieur le ministre, qu’en aucun cas il ne pourrait être porté atteinte aux lois Littoral et Montagne ; nous espérons que vous nous apporterez, au cours de l’examen des amendements, des précisions susceptibles de nous rassurer sur ce point. D’ailleurs, n’évoquer que les particularités « géographiques » locales, c’est peut-être adopter une vision assez restrictive des choses.
Ce débat a déjà eu lieu devant le Parlement voilà précisément dix ans, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la Corse, qui intégrait la question du nouveau PADDUC. Le problème suivant s’était alors posé : la loi Montagne, et surtout la loi Littoral, pouvaient-elles éventuellement faire l’objet d’adaptations, afin de permettre une meilleure valorisation du littoral à des fins touristiques et de développement économique ? Plusieurs dispositions avaient fait l’objet de vifs débats, tant à l’Assemblée nationale, alors majoritairement de gauche, qu’au Sénat, alors majoritairement de droite…
Les choses ont bien changé depuis ! Le gouvernement de Lionel Jospin et les parlementaires socialistes cherchaient à satisfaire les revendications de certains élus corses, qui constataient que le littoral insulaire n’avait rien à voir avec le littoral continental et que des adaptations étaient nécessaires. La droite, alors qu’elle était farouchement opposée à toute dérogation à la loi Littoral à l’Assemblée nationale, en avait accepté le principe au Sénat, à la surprise générale. Plus compliquée était la situation au sein de la majorité de l’époque. Certains députés lui appartenant, après avoir cherché à renforcer les conditions de ces adaptations, avaient finalement considéré que celles-ci échapperaient rapidement au contrôle des élus, et demandé la suppression de cette possibilité. Les communistes défendaient déjà cette idée, et le député Michel Vaxès était parvenu à établir, avec la majorité plurielle, un compromis tendant à limiter considérablement les possibilités d’adaptation. Or il semble que notre rapporteur nous propose aujourd’hui d’ouvrir à nouveau la boîte de Pandore… Nous en discuterons.
Mes chers collègues, si les majorités se sont inversées depuis lors dans les deux chambres, nos convictions, quant à elles, sont restées les mêmes : nous demeurons opposés à toute dérogation à la loi Littoral et à la loi Montagne. Nous reviendrons sur ce sujet à l’occasion de l’examen des amendements.
Je souhaite à présent aborder une réflexion plus générale sur l’économie du texte qui nous est soumis.
Il est certain qu’il existe une tension forte entre la nécessité de pouvoir déterminer de façon lisible la destination générale des différentes parties du territoire et celle de ne pas imposer, pour autant, la tutelle d’une collectivité sur les niveaux de collectivités inférieurs. Si je reconnais que ce texte parvient à concilier ces deux impératifs de manière assez satisfaisante, certaines incohérences et certaines contradictions demeurent néanmoins. En particulier, le plafonnement de l’échelle de la carte associée au PADDUC peut sembler surprenant, dans la mesure où il reviendra à l’Assemblée de Corse de déterminer les échelles pour toutes les cartes précisant ce plan. La fixation de ce plafond relève-t-elle vraiment du domaine de la loi ? Je pense que les élus chargés de l’élaboration du PADDUC sauront montrer suffisamment de bon sens pour faire en sorte que leur plan ne soit pas entaché d’inconstitutionnalité, au motif qu’il présenterait un degré de précision excessif, transformant le rapport de compatibilité avec les documents de niveau inférieur en rapport de conformité. Cela correspond tout de même à une revendication des élus de l’Assemblée de Corse : ils veulent pouvoir s’emparer de cette question technique déterminante pour la qualité et la pertinence des documents d’aménagement. Il me semble que nous pouvons tous nous accorder sur le point que, en matière d’aménagement, un minimum de décentralisation est de mise.
À l’opposé, toutes les spécifications liées à la trame verte et bleue ne descendent-elles pas parfois à un degré de précision excessif ? Il est question d’une carte au 1/100 000e, précisée par des cartes plus détaillées encore pour certaines zones. Considérons les ordres de grandeur : avec une telle échelle, un centimètre sur la carte représente un kilomètre sur le terrain. La bande des 100 mètres de la loi Littoral tiendrait alors dans l’épaisseur du trait, et que dire de la bande des 5 mètres le long des cours d’eau ? Il faudrait retenir une échelle au 1/10 000e, voire moins, pour la faire apparaître dans l’épaisseur du trait ! Il me semble que l’on devrait réserver certains détails aux documents de rang inférieur, sauf à mettre à mal le difficile équilibre entre lisibilité des documents et libre administration des communes.
Bien entendu, nous n’avons pas l’intention d’entraver le cheminement de ce texte : j’ai dit combien il était urgent qu’il aboutisse. Toutefois, il me semble indispensable d’avoir une discussion permettant d’approfondir la réflexion menée par le rapporteur et d’amender ce projet de loi, pour garantir que les lois Montagne et Littoral ne seront pas écornées – les propos de M. le ministre seront importants à cet égard –, que la sécurité juridique ne sera pas amoindrie, que les élus corses s’y retrouveront ; il s’agit, en définitive, d’améliorer la qualité d’un texte dont l’équilibre, j’en conviens bien volontiers, est difficile à trouver.