Dimanche 28 septembre 2014, le coup le plus dur reçu par François Hollande et son gouvernement depuis le début du quinquennat. À peine à mi-mandat, après une série de défaites aux élections locales, la gauche devait rendre à la droite les clés du Sénat qu’elle avait exceptionnellement gagné fin 2011. Ce soir-là, les hautes personnalités de l’UMP défilent sous les dorures de la magnifique salle des conférences du palais du Luxembourg, se partagent les micros et les objectifs des caméras. La re-conquête est en route, affirme-t-on. Pourtant, trois mois après, la Haute Assemblée semble retombée dans la discrétion. Alors que dans la période allant de sa victoire fin 2011 jusqu’au début du quinquennat Hollande en mai 2012, la gauche avait multiplié les votes symboliques, du droit de vote pour les résidents étrangers à un « contre-budget », aujourd’hui, aucun coup d’éclat comparable n’est à signaler. Il y a sans doute plusieurs raisons à cela. La principale relève sans doute du fait que si la droite est bien majoritaire dans l’hémicycle, elle y est aussi divisée. Certes l’UMP, avec ses 142 sénateurs, est le premier groupe. Mais les dernières sénatoriales ont aussi marqué la montée en puissance à droite des « centristes » de l’UDI, qui ont vu leurs effectifs passer de 31 à 42 fauteuils, s’arrogeant au passage une position charnière : il n’existe pas de majorité de droite au Sénat sans les voix centristes.
La bataille du plateau, miroir de la lutte Sarkozy-Juppé
Mais les divisions existent aussi au sein même du premier groupe de la majorité sénatoriale, conséquence de celles qui existent au sein du premier parti de droite. Il n’y a qu’à se souvenir de la bataille du plateau, nom donné à la présidence du Sénat, qui, en miroir de la lutte Sarkozy-Juppé à l’UMP, a opposé Jean-Pierre Raffarin à Gérard Larcher. L’ancien premier ministre, soutenu par l’ex-président de la République, annonçait vouloir « préparer l’alternative » pour 2017. Mais c’est Gérard Larcher (qui avait déjà occupé le poste en 2008) qui l’a finalement emporté sur une ligne « d’opposition constructive ». Tellement constructive que l’on se demande parfois où se trouve l’opposition. « À l’évidence, le groupe socialiste et l’UMP se retrouvent sur beaucoup de textes proposés par le gouvernement », remarque Éliane Assassi, présidente du groupe Communiste, républicain et citoyen (CRC). Il y a par exemple eu la loi antiterroriste, adoptée sans souci par les deux Assemblées après un passage en commission mixte paritaire. Ou le projet de loi de finances rectificative pour 2014, que la majorité sénatoriale a modifié de façon à pouvoir le voter aux côtés des sénateurs socialistes. Une configuration « révélatrice de rapprochements idéologiques », selon Éliane Assassi, qui rappelle qu’elle avait été théorisée lors du dernier renouvellement de la moitié des sénateurs par le ministre des Finances, Michel Sapin, juste avant l’examen du projet de loi de finances pour 2015. Sans complexe sur ses orientations sociales-libérales, il avait alors déclaré : « C’est plus facile de débattre avec un Sénat de droite animé de cet état d’esprit qu’avec un Sénat de gauche ingouvernable. On va pouvoir enfin s’intéresser aux textes qui aboutissent plutôt qu’à ceux qui sont rejetés. » En référence à la période entre 2012 et 2014, quand bien qu’ayant une majorité de gauche composite, le Sénat se retrouvait très souvent à rejeter les projets de loi du gouvernement, à cause de l’intransigeance de celui-ci, peu ouvert à la discussion, et de son virage libéral rédhibitoire pour les sénateurs du Front de gauche notamment. Deuxième chambre largement contemptée, à tel point que certains veulent le voir disparaître, le Sénat ne semble donc pas s’être profondément renforcé en changeant de majorité. Pourtant, ces dernières semaines, il a eu un rôle central dans certains des grands débats présents dans l’actualité. Et bizarrement, il ne doit pas cela à sa majorité, mais à un groupe minoritaire au sein de la minorité. C’est au palais du Luxembourg, et plus particulièrement dans les bureaux du groupe CRC, que la résolution parlementaire demandant la reconnaissance par la France de l’État de Palestine trouve son origine. De celle-ci, mise à l’ordre du jour de leur niche parlementaire par les communistes, le gouvernement s’est saisi. De même le débat sur les profits des sociétés autoroutières découle d’une proposition de loi pour leur nationalisation déposée par la sénatrice communiste Mireille Schurch. C’est le rôle que veut jouer aujourd’hui le groupe CRC : déclencher des débats.