Athènes (Grèce), envoyée spéciale. Il y avait hier soir à Athènes quelque chose de léger dans l’atmosphère, qui éclairait les visages et réchauffait les cœurs. Après cinq années de calvaire social, de gâchis économique et de tutelle politique, le peuple grec a exprimé un rejet sans appel des politiques d’austérité qui ont laissé le pays exsangue. Ils ont placé leurs espoirs bien à gauche, en offrant une victoire historique à Syriza. Avec 35,38 % des suffrages, selon les premières projections officielles, sondages sortis des urnes, le parti d’Alexis Tsipras devance largement la Nouvelle Démocratie du premier ministre conservateur, Antonis Samaras (28,93 %), sévèrement sanctionné. Si les électeurs ont entendu l’appel de Tsipras à donner à la gauche anti-austérité un mandat clair, une ombre terrible plane, comme au printemps dernier, sur ces élections : c’est le score des néonazis d’Aube dorée, qui arrivent en troisième position (6,35 %), devant les libéraux de To Potami (5,69 %). Concurrencés par Syriza, les communistes du KKE, avec 5,28 %, maintiennent leur base électorale et seront représentés au Parlement. De leur côté, les sociaux-démocrates du Pasok, autour de 5 %, paient au prix fort leur participation à la coalition d’Antonis Samaras. Les Grecs indépendants (souverainistes) recueillent 4,69%. À l’heure où ces lignes étaient écrites, Syriza frôlait de quelques sièges la majorité absolue de 151 députés.
Les politiques de privatisation ont provoqué une véritable crise humanitaire
Première impression, il y a dans ce scrutin dont les résultats résonnent sur tout le continent un irrépressible élan de dignité. Par-delà les clivages politiques et les bulletins choisis dans l’isoloir, tous les électeurs rencontrés hier nous ont fait part du sentiment d’humiliation suscité par la mise sous tutelle du pays par la troïka (Banque centrale européenne, FMI, Commission européenne). Dans le laboratoire grec, les politiques de privatisations, de démantèlement du droit du travail, de précarisation, de compression des dépenses sociales ont provoqué une véritable crise humanitaire, sans pour autant alléger le fardeau de la dette, passé 115 % du PIB en 2009 à 175 % aujourd’hui. Dans ces conditions, comment les Grecs auraient-ils pu acquiescer aux exhortations déplacées à consentir encore de nouveaux « sacrifices » ?
« Mettre fin à la trahison de ceux qui ont vendu la Grèce à vil prix »
En prônant la renégociation et l’effacement partiel d’une dette non viable, Alexis Tsipras est paradoxalement apparu comme le responsable politique le plus réaliste. « J’ai l’espoir que ma patrie se libère de la dictature des marchés. Les Grecs ne sont pas les profiteurs paresseux décrits pour justifier le choc d’austérité que nous avons subi. Les responsables de cette faillite sont les usuriers qui se font de l’argent sur la dette. Unies, les forces de gauche peuvent ouvrir un autre chemin, non seulement pour la Grèce, mais pour toute l’Europe », nous confiait avant de se rendre aux urnes Kostas Katramanos, un habitant de Petroupouli, ville de la banlieue rouge d’Athènes. Ancien cadre de l’industrie pharmaceutique, passé par trois interminables années de chômage, il a vu ses revenus divisés par trois depuis 2011. En votant pour Syriza, cet ancien électeur du KKE dit aussi vouloir « mettre fin à la trahison de ceux qui ont vendu la Grèce à vil prix ». C’est sans doute là l’une des clés de cette victoire de la gauche anti-austérité. Elle a su promouvoir de nouveaux visages, qui tendent un cruel miroir aux vieux responsables politiques jugés corrompus, dogmatiques et serviles face aux injonctions de la troïka.
Après cette large victoire, pour Syriza et pour Alexis Tsipras, le plus difficile commence aujourd’hui. La gauche s’est engagée à former, qu’elle dispose ou non de la majorité absolue au Parlement, « un gouvernement de tous les Grecs ». Avec une extrême droite tapie en embuscade, Syriza n’a pas le droit à l’erreur. Dans les bureaux de vote d’une école d’Ambelokipi, près du stade de football qu’occupe le Panathinaïkos, les militants d’Aube dorée pariaient déjà, hier, sur l’échec. « Tsipras ne fera rien pour les pauvres, pour ceux qui ont vu leurs retraites et leurs salaires amputés. Le seul espoir pour nettoyer la Grèce des immigrés, sortir de l’euro et retrouver les fondements de notre civilisation chrétienne, c’est Aube dorée », écumait Hélène, une nostalgique de la dictature des colonels, entrée dans l’organisation néonazie il y a cinq ans alors qu’était entériné le premier plan d’austérité.
Guetté à Bruxelles et à Berlin, attendu au tournant par ses adversaires politiques autant que par une partie de l’oligarchie qui redoute ses promesses de justice sociale et fiscale, Alexis Tsipras espère pouvoir compter sur la mobilisation du peuple grec pour imposer la renégociation de la dette et rompre avec des choix néolibéraux destructeurs. C’est sans doute là que réside le plus grand défi pour Syriza, jeune parti au fragile enracinement social et militant. Par-delà les frontières du pays, c’est aussi l’avenir européen d’une gauche capable de se confronter aux forces de l’argent qui se joue sur la scène grecque. Les attentes sont immenses, la tâche est prométhéenne.