L’année commence, c’est le moment des audiences solennelles de rentrée. Dans son discours le président du Tribunal de commerce dresse l’état des lieux de l’économie insulaire après avoir rappelé en préambule que les 3 200 juges consulaires de France n’avait « aucune carrière à défendre, aucun salaire ni rémunération à préserver, aucun intérêt personnel à sauvegarder ». Jean Marc Cermolacce dénonce à juste raison une réforme négative portée par le gouvernement Valls Hollande de plus en plus sensible aux sirènes du libéralisme et de la concurrence débridée.
Le point commun dans ces discours de bons libéraux c’est de vouloir résister « aux tenants de l’immobilisme ». De ce point de vue le président du Tribunal de commerce se place en porte à faux en expliquant que le gouvernement agit par pure idéologie pour démonter une institution qui « depuis 400 ans donne satisfaction ». Le gouvernement en effet se targue d’agir dans le sens des évolutions nécessaires, de la modernité économique. Les moins affectent l’intérêt général et la dépense - publique et sociale - utile les plus se lisent inversement sur le volume des transactions financières et les dividendes versés aux gros actionnaires.
Dans cette course à l'accumulation de richesses, la France du CAC 40 arrive en deuxième position derrière les Etats Unis du Dow Jones. La doxa européenne néolibérale s’impose ainsi dans notre pays dans tous les secteurs d’activités pour préserver la domination des marchés financiers et ces critères d’enrichissement de quelques uns au détriment du plus grand nombre.
Selon le rapport de l’ONG Oxfam, « la part du patrimoine mondial détenu par les 1 % les plus riches était passée de 44 % en 2009 à 48 % en 2014, et dépasserait les 50 % en 2016 ». Cela signifie que s'ils continuent à s'enrichir, ils posséderont plus que l'ensemble des autres habitants de la planète réunis. La quasi-totalité des 52 % de patrimoine restant sont aux mains des 20 % les plus riches. « Au final, 80 % de la population mondiale doit se contenter de seulement 5,5 % des richesses ».
Autant le dire Jean Marc Cermolacce ne fait aucune allusion à cette situation d’inégalité et d’injustice sociale qui s’est affirmée en Corse aussi durant les 25 années écoulées. C’est bien le résultat d’un modèle économique d’autant plus défaillant chez nous qu’il repose quasi exclusivement sur le tourisme, la rente fiscale et la commande publique. Trop sensible aux aléas conjoncturels ce modèle révèle toute sa fragilité avec la crise et son corollaire la politique d’austérité. L’aggravation du chômage de manière continue et forte depuis 2009 y compris en pleine saison touristique est tout aussi révélatrice de cette faiblesse que le nombre de procédures ouvertes au Tribunal de commerce pour cessation de paiement.
« Nous allons connaître une situation de crise comme nous n’en avons plus connue depuis 1989 ». Le spectre du grand mouvement social ressurgit dans son discours. Ainsi les victimes de cette politique seraient les principaux responsables de la situation « avec un énième conflit à la SNCM qui s’annonce en forme d’apothéose ». Le président du Tribunal de commerce redoute un « scénario à la grecque » et s’inquiète « des lourds nuages qui s’amoncellent dans le ciel de notre compagnie régionale ». La concurrence déloyale des low cost dans l'aérien et le maritime ne retient pas son attention contrairement « à l’afflux massif de main d’œuvre étrangère à bas couts » dans le BTP qui « permet d’affirmer que la bataille du chômage et perdue d’avance ».
Cette capitulation face aux 21 139 chômeurs recensés dans notre région est conforme à la réglementation, que le patronat revendique et applique parfois avec abus, selon la directive européenne, dite « services », incluant la possibilité de recourir aux « travailleurs détachés ». C’est d’ailleurs cette directive « bulldozer » qui vient aujourd’hui percuter les professions de notaires ou d’avocats dont Jean Marc Cermolacce se dit solidaire. De même, il doit savoir que les parlementaires européens de droite ont refusé que les Services d’intérêt économique général (SIEG) soient exclus du champ d’application de cette directive antisociale.
Donnant libre court à sa réflexion, on ne sait plus qui parle le dirigeant du MEDEF ou le président du Tribunal de commerce, Jean Marc Cermolacce crie cependant son amour du service public, non pour dénoncer les milliers de postes supprimés et le recul du service à la population, du fait de cette politique néolibérale désastreuse, mais pour fustiger les Chemins de fer de la Corse qui percevraient 25 millions de subvention pour seulement 5 millions de recettes. Indépendamment du chiffre inexact, on est à 22 millions de compensation financière versée au titre de la convention et du service effectué, il ne peut ignorer que cela est conforme au choix de la délégation de service public comme dans l’aérien et le maritime où toute proportion gardée le schéma est identique.
Faut-il penser dés lors, que Jean Marc Cermolacce préférerait voir les nuages qui obscurcissent le ciel de notre compagnie régionale étendre leur voile sur les Chemins de fer de la Corse ?
Alors dans un élan de générosité, il préconise la gratuité totale pour un « vrai service public » laissant entendre qu’aujourd’hui produire un million de kilomètres trains et transporter un million de passagers, parmi lesquels 1 250 étudiants gratuitement, ce ne serait pas du vrai service public. A défaut de pouvoir mettre en cause une telle évidence, le président du Tribunal de commerce défend en fait avec cynisme cette position qui n’en doutons pas fera hurler les détracteurs du service public ferroviaire en faisant croire aux usagers une chose improbable dans l’immédiat.
Comme il a pu le dire avec gourmandise dans son discours nous lui retournons l’expression latine utilisée dans la Rome antique : « In cauda venenum ».
Michel Stefani