L’affaire Karachi appelle une nouvelle République,
L’affaire Karachi appelle une nouvelle République, tribune publiée dans l'Humanité du 30 septembre 2011
Jean-Jacques CANDELIER, Député PCF du Nord
J’ai en mémoire la venue, le 28 avril 2010, d’Édouard BALLADUR à l’Assemblée nationale. Après avoir longtemps refusé de venir s’exprimer devant la mission d’information sur l’affaire Karachi (la droite arguant d’incompatibilités de toutes natures), le candidat à la présidentielle de 1995, acculé par la presse, avait souhaité être entendu.
Il confirma que des millions de francs avaient été versés en espèces sur son compte de campagne. Les rapporteurs du Conseil constitutionnel avaient préconisé le rejet de ce compte, doutant de l’origine de fonds, notamment de 10,25 millions de francs. Pour eux, cette somme colossale ne pouvait être inscrite à la ligne « dons des personnes physiques », ni provenir de « ventes de gadgets et T-shirts ». Au dernier moment, 77,5 % des recettes en espèces avaient été versés d’un coup, sans justificatif, pour un montant 26 fois supérieur à celui du candidat Jospin ! Selon les aveux d’un ancien membre de l'association de financement de la campagne, il était impossible que les fonds proviennent des quêtes de meetings.
La défense de BALLADUR ne tenait pas. À l’époque, je m’attendais à des mises en examen. Nous y sommes. Les langues se délient. Il faut s’en réjouir. Mais ce que révèle l’affaire Karachi, en plus du summum du sordide et de la corruption, c’est qu’un clan utilise de manière scandaleuse tous les moyens d’État pour faire entrave à la vérité.
Interrogé en juin 2009 sur l'hypothèse d'un lien entre l'attentat et l'arrêt, par Jacques CHIRAC, du versement de commissions suspectes, Nicolas SARKOZY avait qualifié la thèse de « grotesque ». « Qui peut croire à une fable pareille ? ». Le but était de tourner en dérision le travail d’un juge d’instruction. Comment le Président de la République, garant de l’indépendance de la justice, pouvait-il s’exprimer ainsi ?
En 2010, quand le juge Renaud VAN RUYMBEKE se proposait d’instruire la plainte déposée par les familles de victimes pour corruption, le procureur de la République décidait de faire appel de l’ordonnance. Michèle ALLIOT-MARIE, Ministre de la Justice, indiquait à l’Assemblée nationale en octobre 2010 que « le cadre juridique choisi n’a pas paru être le plus approprié pour cette enquête, non pas sur le fond mais sur la forme ». Je l’interrogeais en vain : en quoi l’ouverture d’une information judiciaire pour corruption ou abus de biens sociaux serait inappropriée pour approfondir l’enquête préliminaire ouverte ? Il y avait manifestement une tentative d’étouffement de la procédure. On comprend mieux pourquoi l’exécutif avait dans ses plans la suppression du juge d’instruction !
Suite aux mises en examen de deux proches du chef de l’État, l'Élysée a dénoncé « calomnie et manipulation politicienne ». Là encore, il faut s’interroger. En quoi des mises en examen, basées sur des indices graves ou concordants, peuvent justifier une réaction aussi violente ? Puis, de manière maladroite, l’Élysée a indiqué : « s'agissant de l'affaire dite de « Karachi », le nom du chef de l'Etat n'apparaît dans aucun des éléments du dossier. Il n'a été cité par aucun témoin ou acteur de ce dossier. » Je viens de relayer la colère des magistrats auprès du Ministre de la Justice Michel MERCIER : comment la présidence s’est procuré des informations couvertes par le secret de l’instruction ?
Nouvelle affaire dans l’affaire, le porte-flingue Hortefeux a été pris la main dans le sac d’une tentative d’obstruction à la justice. La chronologie des faits est accablante. Elle démontre qu'il était bien informé des déclarations devant la justice d'Hélène de Yougoslavie, bien avant que la presse n’en fasse écho…
Valises de billets, immixtion dans la justice, utilisation de moyens de police à des fins personnelles, mise en cause des magistrats indépendants, obstruction des procédures, parquet aux ordres, entrave du Conseil constitutionnel et du « secret défense »… L’affaire Karachi était une affaire d’État, elle devient une affaire de régime.
J’ai déjà eu l’occasion de déplorer le manque de collaboration du Gouvernement pendant les travaux de la mission d’information. Le 17 juin 2010, les députés communistes et du Parti de Gauche exigeaient une commission d’enquête pour poursuivre les auditions (notamment de Jacques CHIRAC, Dominique DE VILLEPIN et Ziad TAKIEDDINE).
La justice doit avoir tous les moyens pour contrer ces intouchables, c’est une évidence. J’ai apporté personnellement ma contribution, en lui communiquant les documents dont je disposais. Mais, de manière complémentaire, pour restaurer le sens de la République, une commission d’enquête s’impose. En toute circonstance, pour respecter la séparation des pouvoirs, le Parlement doit pouvoir enquêter pour éclairer sur des faits. C’est impossible dans le cadre de l’ordonnance du 17 novembre 1958 : lorsque les faits ont donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours, les parlementaires ne peuvent pas créer de commission d’enquête. C’est une amputation inacceptable de leurs prérogatives, contraire à la vraie séparation des pouvoirs qui voudrait que Parlement et justice puissent agir de manière autonome et complémentaire. L’affaire Karachi appelle donc ni plus ni moins qu’à une nouvelle République.