Reste-t-il une place en Corse pour une société et une économie alternatives, justes et équitables, qui tiennent compte des besoins des hommes et de la finitude des ressources de la planète alors que se décide, en dehors de toute légitimité démocratique, des accords internationaux, qui passent outre la souveraineté des peuples ?
(Première partie) par Fabienne SALVATORI
L’île, depuis quelques années déjà, tente de poser les bases de son développement pour aménager son territoire et n’a pas d’autres choix que de se lancer dans un exercice de planification en imaginant la Corse à 30 ans. C’est donc ce qu’elle a fait avec le PADDUC, en décidant tout d’abord des grandes orientations politiques qui ont défini le projet de société et qui guideront l’élaboration de ses politiques publiques. Projet alternatif et solidaire, son objectif premier est de limiter la dépendance de la Corse vis-à-vis de l’extérieur en augmentant la part de l’économie productive à partir de ses ressources et richesses (humaines, environnementales, patrimoniales….), mais sur la base d’un système de péréquation, pour que les bénéfices d’une telle politique concernent tous les territoires de l’île et notamment l’espace rural, espace productif à réinvestir mais aussi espace environnemental à préserver.
Car il faut bien le souligner, le modèle économique de notre île de 310 000 âmes, reposant sur un tissu économique de petites entités (68 % des entreprises ne comptent aucun salarié et 96 % en ont moins de 10) a été basé jusqu’à aujourd’hui essentiellement sur la consommation et l’immobilier, que ce soit dans le secteur public (santé, social, éducation, infrastructures) ou privé (construction, tourisme, distribution). Nous sommes une région qui captons de la richesse (enfin certains) mais ne la produit pas sur son territoire, ce qui nécessite de beaucoup importer et fait donc croître le taux de chômage. Pour changer les choses et encore plus dans un contexte d’austérité budgétaire imposé aux populations, l’île doit renouer avec la fonction de production.
Il est donc primordiale comme précisé dans le PADDUC « d’aller vers la reconquête du marché intérieur, un développement et une promotion de ses propres productions, la valorisation des circuits courts afin d’inscrire l’histoire dans une stratégie économique « durable ». Une manière aussi de redonner à la terre une valeur et un usage réels. »
Pour ce faire, les élus de l’Assemblée de Corse ont souhaité que le projet de société soit :
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« Un modèle en rupture avec les modes de production et de gestion que l’on a connu jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit bien d’inventer dans le cadre du PADDUC un modèle “alternatif”.
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Un modèle non productiviste, c’est à dire entre autre respectueux de grands équilibres et ayant intégré l’impérieuse nécessité de ne pas “assécher” les ressources naturelles à mobiliser.
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Un modèle qui mobilise en priorité les ressources du territoire, qui les valorise de façon à limiter les facteurs de dépendance territoriale dans un nouveau contexte dans lequel les échanges massifs de biens entre territoires pourraient être de plus en plus onéreux.
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Un modèle qui mobilise sa culture et son identité pour faire ciment social autour de cette nouvelle construction du territoire.
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Un modèle qui élève le travail et l’activité de production locale au rang de valeurs prioritaires.
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Un modèle qui mobilise l’ensemble de la société insulaire. La Corse est trop petite et trop peu peuplée pour se permettre d’avancer sans rassembler l’ensemble de sa population autour d’un même projet.
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Un modèle qui soit juste et qui stoppe les dérives de la spéculation d’une part, et du creusement des écarts de richesses, d’autre part. »
Car au-delà des institutions politiques qui le régissent, la souveraineté d’un territoire ou d’un pays, se mesure à sa capacité à assurer au minimum son autosuffisance alimentaire et son autonomie énergétique pour répondre aux besoins des habitants ; nécessités s’imposant encore plus dans une île et dans un contexte où les Etats-Unis et l’Europe continuent leurs guerres pour s’arroger l’utilisation de ressources fossiles, de toute façon en voie de disparition comme le pétrole d’ici 30 ans. Pourtant nous en avons les moyens et davantage encore si nous ne consacrions pas nos budgets au secteur de l’armement pour mener des guerres préventives !
Cette capacité du territoire à se prendre en main, doit s’appréhender également au regard de son aptitude à échanger avec les autres. Pour cela, la question des transports externes est primordiale dans cette île où la majorité des élus (excepté les élus Communistes et Front de Gauche) qu’ils se revendiquent socio-démocrates ou nationalistes, fait le choix du monopole privé avec des compagnies low costs qui bafouent les réglementations sociales et environnementales du pays et coûtent extrêmement chers aux contribuables locaux, au détriment d’un service public rendu par la SNCM, à réorganiser certes mais viable, battant pavillon français 1er registre, donc garant de l’application de normes respectueuses des salariés et de l’environnement et servant les intérêts des Corses. Je dis bien les intérêts des Corses, car la liquidation de cette société c’est 1200 emplois menacés, la remise en cause de l’école de marine, la perte de marché pour la SITEC qui gère la billetterie, une perte d’activités également pour les entreprises locales de blanchisserie, de fourniture de produits de consommation et de restauration…
Pourtant le PADD semblait vouloir préserver l’activité maritime en Corse en s’appuyant sur elle « pour assurer une meilleure intégration à l’environnement et un développement durable des zones côtières » qui impliquait :
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D’assurer la pérennité du service public de transport Corse-continent dans les meilleures conditions sociales et environnementales possibles.
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De soutenir le financement en motorisation GNL des navires de transport et développer les infrastructures adaptées ;
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De mettre en place un volet développement durable dans les formations professionnelles maritimes, notamment au Lycée Maritime et Aquacole de Bastia de la même façon que pour les apprentis pêcheurs ;
Mais comment développerait-on une filière si la SNCM disparait ainsi que le lycée professionnel Maritime et Aquacole de Bastia ? Et pourquoi créer maintenant une compagnie régionale quand, comme le demandait en 2008 le syndicat des marins appuyés par les élus communistes, il suffisait que les collectivités locales de part et d’autre de la Méditerranée entrent au capital de la société, en place et lieu du privé ?
Si la grande majorité des élus ne respectent pas eux-mêmes ce qu’ils ont décidé en 2012 alors on peut s’interroger sur la capacité du PADDUC à répondre aux besoins du territoire face aux politiques nationales et européennes décidées, sans l’assentiment des peuples et à des accords internationaux dont on se garde bien d’expliquer les enjeux, comme celui entre l’Union européenne et les Etats-Unis, appelé TAFTA (Trans-Atlantic Free Trade Agreement), mais aussi celui entre l’Union européenne et le Canada, appelé CETA pour Canada-EU Trade Agreement (en français Accord Économique et Commercial Global (AÉCG) qui vontconduire à l’ouverture des marchés publics aux entreprises des États-Unis et les lobbies d’affaires qui s’en prendront à tout programme visant à la relocalisation des activités…
Fabienne SALVATORI