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On devrait lire plus souvent Yves de Kerdrel. D’abord, il a la double casquette de chroniqueur du Figaro et de directeur de la rédaction de Valeurs Actuelles, ce qui prouve que le cumul n’est pas l’apanage des parlementaires. Ensuite, il est membre de la commission éthique du Medef. Quand il prend la plume, c’est aussi une éminence patronale qui s’exprime.
Par conséquent, son avis doit être apprécié avec la considération qui sied à son auguste fonction, assurée sous le magistère morale de Laurence Parisot, cette dame qui est capable dans un même mouvement de faire la leçon de démocratie à feu Chavez et d’organiser un putsch à la sud-américaine pour sauver sa tête à la direction du patronat.
Dans une récente chronique du Figaro, Yves de Kerdrel a signé un article d’une rare violence contre la gauche. Il y est question, excusez du peu, de « honte », de « conflagration générale », de « scénario à l’italienne » , et même d’une « sorte de guerre civile ». Après une telle lecture, on imagine déjà les beaux quartiers accumuler les réserves de victuailles en prévision d’un siège d’une durée indéterminée.
De quoi s’agit-il donc ? Serait-on à la veille d’une insurrection animée par la branche malienne d’Al Quaïda ? Y aurait-il un risque de prise du Palais de l’Elysée par une antenne de terroristes partisans de l’indépendance du Pays Basque ? La Chine aurait-elle l’intention d’envahir la France pour y supplanter l’influence du Qatar ?
Rien de tel. Yves de Kerdrel sort de ses gonds dorés car il considère que « Hollande insulte les employeurs » avec la loi d’amnistie sociale adoptée par le Sénat. Il y voit un blanchiment des « casseurs », ainsi qu’une réhabilitation de syndicalistes contre lesquels il dresse le réquisitoire suivant : « cassage organisé, séquestrations de dirigeants, actes de sabotage ». En d’autres temps, cela aurait valu qu’on demandât la perpétuité contre des apprentis démolisseurs pris la main dans le sac de boulons.
Un peu de calme. En l’occurrence, la gauche n’a fait que voter une loi a minima pour que des hommes engagés dans le feu de conflits toujours propres à susciter des débordements incontrôlés ne soient pas marqués au fer rouge comme de vulgaires délinquants. Rien de plus et rien de moins. A l’exception de Nicolas Sarkozy, tous les présidents de la Vème République ont procédé de la sorte au lendemain de leur élection. Personne n’aurait l’idée saugrenue de les suspecter de collusion avec de présumés casseurs.
On ne voit pas donc pas au nom de quelle fatalité il faudrait qu’elle s’alignât sur Sarkozy en ce domaine. Elle le fait assez dans des choix économiques marqués du sceau de l’orthodoxie néolibérale pour qu’il soit nécessaire d’en rajouter.
Certes, si la vie sociale était ce qu’elle devrait être - et non ce qu’elle est – l’amnistie serait superfétatoire. Mais comme le déclarait Jean Jaurès : « l’ordre social n’est pas conforme à la justice ». Il faut méconnaître la violence au quotidien dans les entreprises pour s’étonner des débordements auxquels elle peut conduire en cas de conflit, dans un pays où les salariés sont tétanisés par la peur de perdre leur emploi. A contrario, les patrons voyous qui ne respectent pas le droit sont souvent exempts de toute condamnation.
La lutte des classes, quoi qu’on en dise dans les salons fréquentés par Yves de Kerdrel, n’est pas le fantasme d’une époque révolue. C’est la triste réalité d’aujourd’hui. Les premières victimes en sont souvent des gens amenés à défendre jusqu’au bout leur outil de travail. On ne peut à la fois regretter la faiblesse du syndicalisme en France et s’accommoder d’une répression qui frappe en vertu de jugements marqués du sceau de l’injustice.
En ce sens l’amnistie sociale n’est pas la forme suprême du droit, mais simplement la possibilité pour des hommes de retrouver un peu de leur dignité perdue.
Par Jack Dion source Marianne 2 le 14/03/2013
Source:Rouges vifs