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CHANTS REVOLUTIONNAIRES

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15 novembre 2009 7 15 /11 /novembre /2009 16:36


                                                                                                    
                                                                                                          Michel Feher « La gauche doit oser dire
qu’il n’y a pas de problème »

Michel Feher, philosophe, président de l’association Cette France-là, décrypte lesdiscours de l’opposition face à la politique mise en place par Nicolas Sarkozy.



Éric Besson prétend qu’il fait la même politique que Jean-Pierre Chevènement (1). Est-ce le cas
 ?

Michel Feher. Depuis 1974 et l’arrêt officiel de l’immigration de main-d’œuvre, tous les gouvernements considèrent l’immigration comme un problème. De ce point de vue, on peut parler de continuité. Mais il existe aussi des ruptures. Depuis 2007, l’immigration a pris une importance énorme dans la rhétorique et dans la pratique du gouvernement. Pratiquement, l’affichage des quotas de sans-papiers à expulser et le soupçon jeté sur l’immigration familiale se traduisent par une brutalité et une répression sans précédent, qui a d’abord pour fin de fidéliser l’ancien électorat du FN. Mais dans le discours, le gouvernement ne dit plus seulement que l’immigration est un problème, il ajoute qu’elle peut être une chance, pour autant qu’on choisisse les immigrés en fonction des besoins de la France, ce qui a pour objet d’apaiser la droite et de gêner la gauche.

Vous dénoncez une politique irrationnelle…

Michel Feher. L’un des principaux enseignements de l’enquête menée par les auteurs de Cette France-là (2), c’est l’incohérence de cette politique au regard des objectifs qu’elle affiche. Bien sûr qu’elle est cruelle, dérogatoire au droit, immorale… Mais j’ai bien peur que ces condamnations n’aient pas énormément de portée par les temps qui courent. C’est sur le plan de la rationalité qu’il convient d’attaquer la politique d’immigration. Car le vrai succès des gouvernants actuels est d’avoir fait passer la brutalité pour un gage d’efficacité. Par conséquent, il convient de montrer que son activisme supposé relève d’une agitation fébrile et masque une inquiétante inefficacité.

Comment expliquer qu’il y ait si peu de contre-propositions à la politique migratoire actuelle ?

Michel Feher. Dans leur ensemble, les formations de gauche craignent que la défense des migrants ne soit pas une cause très populaire… en particulier au sein des classes populaires. Aussi, même lorsque leur programme est généreux, elles se gardent de le mettre en avant. Le Parti socialiste demeure largement prisonnier du partage entre le cœur et la raison. On concède que la régulation des flux migratoires est bien un « douloureux problème », mais on se targue de le résoudre avec davantage d’humanité et de souci de la légalité républicaine que la droite. Les Verts sont sur une position courageuse d’hospitalité et de respect des droits. Mais il leur reste à montrer que leur perspective ne relève pas d’un utopisme naïf mais au contraire d’un réel pragmatisme. Le Parti de gauche et le Parti communiste ne mettent pas trop en avant leurs propositions, de peur d’un mécontentement de la base. On noie le poisson en disant qu’on défend tous les travailleurs, français et étrangers, mais leurs discours sur l’immigration ne sont pas très clairs. Pour le NPA, les immigrés seraient les prolétaires par excellence, l’armée de réserve du capitalisme. Or, je crois que nous ne sommes plus dans cette situation. Depuis les années 2000, il s’agit de constituer les étrangers en objet de phobie plutôt qu’en variable d’ajustement des profits. Comme une reprise des années trente, mais enrobée dans une autre rhétorique. Dans les années trente, la menace représentée par les étrangers visait avant tout des gens déracinés – le juif, communiste et banquier – et corrosifs pour une identité nationale faite de sang et de terre. Aujourd’hui, au contraire, l’identité française telle que la vantent Nicolas Sarkozy et Éric Besson n’est faite que de valeurs universelles : liberté, égalité, laïcité, voire diversité et ouverture au monde. Les candidats à l’immigration sont, quant à eux, soupçonnés de ne pas adhérer à ces valeurs et de vivre selon un idéal de pureté dangereuse. Pour garder une société mixte, diverse et ouverte, le gouvernement filtre les frontières et traque les sans-papiers.

Quel serait le discours à tenir ?

Michel Feher. Il faut avoir le courage de dire que si l’emprise du capitalisme financier sur l’économie et la détérioration de l’environnement sont bien des problèmes vitaux et urgents, l’immigration, elle, n’en est pas un. Si problème il y a, il ne vient pas de l’immigration, mais des effets de la politique d’immigration. Oser dire qu’il n’y a pas de problème – et le montrer, ce qui n’est pas très difficile – n’est pas seulement une affaire de courage et de réalisme pour la gauche, mais aussi une condition nécessaire si elle veut arrêter de perdre et de s’abîmer chaque jour davantage. La crise doit être un moment clé à cet égard : les partis de gauche doivent dire qu’il devient totalement irresponsable d’inventer des problèmes, à un moment où d’autres, véritables, se posent avec autant d’acuité.

Marie Barbier

(1) Dans Libération du 20octobre 2009. (2) Écrit et auto-édité par un collectif d’universitaires (2009), 445 pages, 15 euros

 

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