La décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2013 suscite des interrogations sur son contenu et une dramatisation qui n’a pas lieu d’être comme le rapport du Groupe de travail (1) le confirme.
En effet, la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2013 renvoie au dispositif transitoire issu de l'article 51 de la loi n°2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse, modifié par l’article 33 de la loi n°2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, qui continue à s’appliquer.
Sont également annulées pour vice de forme les dispositions proposées par le gouvernement et destinées à aménager, sur l’ensemble du territoire national, les modalités d’imposition en cas de défaut de titre de propriété immobilière. Il s’agissait d’inciter au titrage des biens par une exonération de 30 % sur les droits à acquitter dans le cas où la constitution du titre précéderait une donation.
Dans ces conditions entrent en vigueur d’une part, l'exonération partielle de droits de succession de 50 % de la valeur vénale des biens situés en Corse pour les successions ouvertes entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017. D’autre part le délai légal de dépôt des déclarations est ramené à six mois.
Le rapport du Groupe de travail relève ainsi que « le premier symptôme des successions non réglées » est relatif au nombre de biens non délimités (BND). Les données de la Direction générale des finances publiques et du Groupement d'intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse (GIRTEC) permettent de les situer sur le territoire.
Les BND sont plus fréquents en zone montagneuse et d’une valeur foncière faible. En plaine, ils peuvent également exister mais souvent en parcelles cultivées. L’examen des fichiers fonciers montre que 23.3 % des propriétaires nés avant 1900 sont décédés. De ce fait, 63,7 % des parcelles et 62,1 % de la surface sont détenus par des propriétaires dont la succession n’a pas été réglée. Dans de nombreuses communes, notamment rurales ou montagneuses, des parcelles de terre et des propriétés bâties, souvent en mauvais état, sont délaissées. Lorsque les propriétaires ont disparu ou sont inconnus, le bien est réputé vacant ou sans maître et sa propriété peut être transférée de plein droit à la puissance publique, la commune ou l'État si la commune a renoncé à exercer le droit de propriété qui lui est reconnu par la loi. L'attribution à la commune ou à l'État ne peut intervenir qu'après des tentatives pour identifier les propriétaires.
L’article 1400 du code général des impôts dispose que toute propriété, bâtie ou non bâtie, doit être imposée au nom du propriétaire actuel. Le propriétaire concerné par cet article est le propriétaire apparent. Peu importe qu’il dispose ou non d’un titre de propriété pour être inscrit au rôle de taxe foncière. Le nombre total de personnes physiques enregistrées en tant que propriétaires dans les fichiers fonciers en Corse est de 397 000 personnes physiques, dont 174 800 en Corse-du-Sud et 222 200 en Haute-Corse. En moyenne, la moitié des parcelles n’ont fait l’objet d’aucune publication pendant 47 ans (1956/2003), ce qui laisse supposer une absence de régularisation des successions. Ce pourcentage peut monter jusqu’à 60 % pour certaines communes.
Pour mesurer le pourcentage de déclarations de succession comportant des immeubles situés dans l’île, un échantillon de déclarations de successions déposées en 2012 a été étudié. Il ressort de cette étude que 81 % d’entre elles comportent un immeuble situé en Corse. Au regard de la taxe d’habitation au titre de 2012 le nombre de résidences secondaires s’élève à 35 % en Corse-du-Sud et à 34 % en Haute-Corse, alors qu’il s’établit à 11 % au niveau national. Selon l’INSEE 132 000 ménages 55 % sont propriétaires de leur résidence principale inversement 45 % ne le sont pas et 39.4 % en sont locataires. En même temps la Corse est faiblement peuplée et la population y est très concentrée. La densité de population y est de 36 habitants/ km2, contre une moyenne nationale de 115 habitants/ km2 mais 43 % des habitants vivent sur 2 % du territoire. Ce phénomène de concentration, plus marqué que sur le continent, résulte de l'attraction urbaine des communes centres : Ajaccio et Bastia où 36 % de la population insulaire vit, contre 28 % au niveau national. Ces communes à forte attractivité, comme celles qui les jouxtent et plus largement celles qui ont une façade littorale, hors sites préservés, ne présentent aucune difficulté liée au désordre juridique ou à l’absence de délimitation, constatés par ailleurs.
Les ratios établissent que 78 % des déclarations faites en 2012 sont d’un montant, en valeur, inférieur à 250 000 € et que 76 % concernent un nombre d’héritiers de une à trois personnes. Ces chiffres montrent que la décision du Conseil constitutionnel devrait avoir un impact pour 9 % des transmissions de biens immobiliers dont la valeur serait comprise entre 500 000 € et 1 000 000 € et qui seraient soumises à contribution. Pour 91 % des transmissions dont la valeur est comprise entre 0 et 500 000 €, selon les mêmes critères, les droits seront acquittés jusqu’en 2018 avec l’abattement supplémentaire de 50 % s’ajoutant à l’abattement de 100 000 € par héritier l’un et l’autre procurant une exonération totale dans 9 cas sur 10.
Les éléments de diagnostic développés attestent des particularités de la situation foncière à prendre en compte et montrent que la question de la reconstitution des titres de propriété demeure une préoccupation au regard des difficultés pratiques rencontrées. La voie la plus sérieuse au regard de ces éléments ne peut être la réforme constitutionnelle mais bien la reprise de l’amendement du gouvernement dans une loi ordinaire respectant « le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques ». L’objectif étant non pas de maintenir un privilège fiscal pour une infime minorité mais de sortir du désordre juridique qui entrave l’établissement de titres de propriété et d’aboutir à une situation conforme à l’expression d’une justice fiscale.
C’est l’esprit avec lequel nous avons amendé la délibération de l’Assemblée de Corse demandant un transfert de compétence concernant la fiscalité du patrimoine pour dégager les moyens financiers nécessaires à la mise en œuvre d’une politique de maîtrise du foncier et de construction de logements sociaux dans le but de réduire la pression spéculative et les dérives affairistes mafieuses qui la caractérisent. Or l’exonération totale de droits sur les successions a comme conséquence d’inciter à une surestimation des biens qui constitue une forme d’optimisation fiscale à la revente du bien sans plus-value avec un effet spéculatif indiscutable. Cela peut expliquer pour partie que les biens anciens soient plus couteux avec une moyenne de 260 000 € en Corse très supérieure à la moyenne nationale de 162 000 €. Seules les régions PACA (299 000 €) et l’Ile-de-France (302 300 €) enregistrent des prix plus élevés au second trimestre 2013. Et contrairement à ce qui se dit, le volume des donations montre une anticipation sur le retour au droit commun au 1er janvier 2018 sinon en 2023 puisque plus de 2 000 actes de ce type ont été enregistrés en 2013. Ainsi si un couple donateur est âgé entre 50 et 60 ans au moment de l’acte, le bénéficiaire de la donation ne sera imposé que sur 50 % de la valeur du bien. De cette façon, le bien transmis en nue-propriété à 2 enfants d’une valeur de 800 000 leur sera acquis en pleine propriété au décès des parents sans qu’aucune contribution ne soit réclamée.
Par ailleurs, s’agissant des biens immobiliers transmis sur plusieurs générations par des décès successifs et restant en indivisions, les héritiers qui souhaitent régulariser la situation de ces biens n’ont pas à acquitter des droits de succession et des droits de partage correspondant à toutes les transmissions intervenues. Seules les transmissions postérieures au 1er janvier 2007 sont légalement taxables. Les héritiers n’ont donc pas à acquitter des droits de succession pour les transmissions antérieures intervenues au cours de la période où l’action de contrôle de l’administration est prescrite. Le droit de reprise de l'administration, pour les droits de mutation par décès, peut s'exercer jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant l'enregistrement d'un acte ou d'une déclaration. Sous réserve des dispositions particulières prévue, c’est en revanche la prescription sexennale de droit commun qui est applicable. Elle court à compter de la date du décès qui constitue le fait générateur des droits de succession et le point de départ du délai qu’a l'administration pour agir, quelle que soit la nature du manquement : absence de déclaration, omission de bien, inexacte indication du lien de parenté entre le défunt et les héritiers, etc.
On le voit nous sommes loin d’un régime fiscal confiscatoire dans tous les cas de figures. Cela vient contredire les arguments trompeurs dont la base n'est plus la fiscalité du patrimoine et le désordre juridique constaté sur ce plan, mais la réforme constitutionnelle. De même on ne peut accepter que toute recherche du gouvernement hors cette réforme, et allant dans le sens d’ailleurs des sollicitations des parlementaires corses, soit qualifiée d’obstacle au dialogue initiée avec lui à la demande l’Assemblée de Corse. Présentée de cette façon la réforme constitutionnelle est un préalable qui ne repose sur aucune démonstration sinon la demande de transfert de la compétence fiscale avec les dangers qu’elle comporte d'autant que les détournements de réfactions de TVA ou de la taxe de transport ne plaident pas pour un tel transfert dont on sait par avance qu'il sera inspiré par le patronat. Par conséquent le dialogue avec le gouvernement ne peut être fondé sur ce préalable mais sur l'examen de ce qui fonctionne ou pas, l'évaluation précise des choses, la définition de ce qu'il est possible et nécessaire de faire pour répondre en priorité aux fortes attentes sociales exprimées en Corse.
Michel STEFANI
(1) Groupe de travail
le Préfet de Corse, le Directeur régional des finances publiques, le Directeur des affaires civiles et du Sceau, André Valat, Conseiller-Maître honoraire à la Cour des comptes, José COLOMBANI, inspecteur général des services à la Collectivité territoriale de Corse, Paul GRIMALDI, président du GIRTEC, Louis ORSINI, maître de conférences en droit de l’Université de Corse, Alain SPADONI, président du conseil régional des notaires corses.