Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

CHANTS REVOLUTIONNAIRES

Archives

6 février 2015 5 06 /02 /février /2015 15:47

 

                                                                 EUROFRANKENSTEINpg.jpg

 

 

Le missile de Draghi contre les résistances à l’austérité

L’institut d’émission annonce qu’il va couper les vivres aux banques grecques parce qu’Athènes refuse de se conformer aux engagements du pouvoir précédent sous tutelle de la troïka et de tirer un trait sur 
ses promesses électorales et ses premières décisions anti-austérité.

Il est 22 heures, mercredi 4 février. Réuni à Francfort au 35e étage de l’Eurotower, qui abrite la Banque centrale européenne (BCE), un petit groupe d’hommes vient de décider d’ouvrir le feu sur le peuple grec. On imagine leurs mines solennelles et satisfaites, comme celles de généraux sortant du bunker qui leur sert de quartier général après y avoir pris des décisions lourdes de conséquences mortifères. Dans la nuit francfortoise, le Conseil des gouverneurs de la BCE a décidé de «tout faire» pour sauver le vieux «modèle» austéritaire en capilotade. Au risque de précipiter l’Europe dans un terrible engrenage et de faire le jeu de forces centrifuges qui menacent le projet européen. En chef de guerre, Mario Draghi a déclenché le missile de sa propre main : face au programme anti-austérité de Syriza, la BCE coupe les vivres au secteur bancaire hellénique.

L’arme que Mario Draghi, le président de la BCE, aimerait «de dissuasion massive» contre le peuple grec, consiste à suspendre le processus autorisant les banques du pays à se pourvoir en liquidités contre le rachat de bons du Trésor locaux par l’institut d’émission européen. Cette disposition d’urgence avait été prise dans le cadre du dernier plan dit de sauvetage européen pour maintenir la tête de l’économie grecque hors de l’eau. Seulement elle était associée à de très lourdes contreparties puisqu’il s’agissait pour Athènes de se conformer strictement à son engagement dans les superplans d’austérité, dont la mise en œuvre était étroitement surveillée par une troïka des bailleurs de fonds d’Athènes (UE, BCE, FMI). Désormais seule la banque centrale grecque sera autorisée à pratiquer et donc à garantir ces opérations d’urgence.

Quelle est la faute originelle qui valent ces foudres au peuple grec ? Il a fait preuve de la plus grande légèreté le 25janvier dernier en votant massivement contre l’austérité, partant du constat de plus en plus manifeste que loin de soigner son économie, celle-ci l’empoisonne consciencieusement depuis plusieurs années. On imagine les sueurs froides au sein de l’état-major de la BCE comme chez les gardiens du temple «austéritaires» européens. L’exigence de refonte d’un système qui prend déjà l’eau de toutes parts ne risquait-elle pas d’émerger trop fort et de se propager dans l’espace de la zone euro ? Tant les opinions observent d’un œil plutôt favorable les premiers pas d’Alexis Tsipras, le nouveau chef d’État grec, et de son ministre des Finances, Yanis Varoufakis, sur la scène européenne. Tout comme elles semblent apprécier leurs premières annonces conformes à l’engagement anti-austéritaire qui les a portés au pouvoir.

La guerre de la BCE étant, comme l’autre, la prolongation de la politique par d’autres moyens, Mario Draghi entend bien signifier sur quelles conclusions doit chuter le compromis en cours de négociation autour d’un éventuel réaménagement de la dette d’Athènes : surtout ne déroger en aucun cas au cadre des mémorandums acceptés par le gouvernement grec sortant. Sinon la BCE fermera définitivement ce robinet à liquidités qu’elle s’apprête pourtant à ouvrir à fond pour répandre quelque 1 100 milliards d’euros sur les marchés financiers européens. «La Grèce ne cédera à aucun chantage», a aussitôt réagi Athènes en affichant sa détermination à poursuivre les négociations et en s’efforçant de rassurer sur sa capacité à fournir des liquidités à ses banques. Une solution que le ministre des Finances, Yanis Varoufakis, a toutefois aussitôt relativisé en creux en indiquant laconiquement que son pays «ferait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter un dépôt de bilan.»

Un document du gouvernement allemand qui présente ses exigences   ALLEMAND-MODELE.jpg

À Paris, le président Hollande s’est contenté, une nouvelle fois, de faire part formellement de son «respect pour le choix des électeurs grecs» sans pour autant désavouer le coup de force de la BCE. Tout au contraire. Celui-ci, a-t-il déclaré, «renvoie la responsabilité aux États européens. Et c’est légitime».

Les principaux inspirateurs de l’attaque sont en poste à Berlin. Le climat glacial qui a préludé hier à la rencontre entre le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, et son homologue grec en a fourni une sorte d’illustration sans appel. À leur sortie, les deux hommes n’ont pu faire part que de leur totale divergence de vues. «Nous sommes tombés d’accord sur le fait que nous ne sommes pas d’accord», a relevé avec humour Yanis Varoufakis.

Un document confidentiel émanant directement du gouvernement allemand et transmis à l’eurogroupe plaide résolument pour que les nouveaux dirigeants grecs tirent un trait sur leurs promesses électorales et la totalité des décisions annoncées depuis leur arrivée au pouvoir. Ce «papier» gouvernemental, que nous avons pu nous procurer via le quotidien autrichien Der Standard, souligne ainsi que «l’eurogroupe a besoin d’un engagement clair du gouvernement grec à réaliser des réformes importantes que les autorités précédentes avaient engagées avec l’argent de leurs bailleurs de fonds». Et d’énumérer point par point le détail des conditions à la pérennité de «l’aide» fournie à Athènes :

– Une poursuite du rôle joué par l’UE, la BCE et le FMI (la troïka) «dans la supervision et le contrôle de la mise en application des réformes».

– « Une déclaration » engageant la Grèce à «honorer ses engagements» à l’égard de tous ses bailleurs de fonds (BCE, FMI, FESF) «comme ceux lui ayant prêté de 
l’argent sur un plan bilatéral».

– Athènes se doit dans le courant de cette année d’avoir «un budget avec un excédent primaire de 3%. Lequel devra atteindre 4,5% dans l’année qui vient».

– Le nombre d’employés de la fonction publique doit «comme prévu être réduit de 150 000 postes».

– Le salaire minimum doit être maintenu à son niveau. Et les pensions de retraites plus étroitement liées au niveau des cotisations.

– La privatisation des ports, des compagnies qui fournissent l’énergie et des logements «doit être poursuivie avec pour objectif de verser cette année 2,2 milliards d’euros dans les caisses de l’État».

– Enfin la Grèce doit prendre des mesures pour aligner peu à peu les prix régulés de l’électricité «pour les particuliers et les petites entreprises sur ceux du marché». La chancelière, Angela Merkel, s’était déjà illustrée à l’occasion d’un précédent coup de force en 2011 contre les autorités grecques. En plein G20 de Cannes, elle était alors intervenue avec Nicolas Sarkozy pour convoquer George Papandréou, alors premier ministre grec, et lui conseiller de démissionner parce qu’il avait eu le mauvais goût de vouloir convoquer un référendum à l’issue incertaine (Papandréou sera remplacé pendant plusieurs mois à Athènes par un technicien, le banquier central Loukas Papademos). Interrogée sur la validité démocratique d’une telle démarche par une consœur de la radio publique allemande, elle s’était alors défendue en indiquant qu’il fallait faire en sorte que la démocratie soit «malgré tout aussi conforme au marché»…

Faire grandir la solidarité 
avec Syriza

Le missile envoyé mercredi par la BCE sur Athènes s’inscrit dans cette logique postdémocratique. Pour prévenir toute tentation de s’écarter de la doxa ordolibérale. Fondé sur la mise en concurrence des économies et des États, ce «modèle» porte en lui la résurgence des nationalismes. En premier lieu, en Allemagne où s’étalait hier à la une du quotidien populaire Bild (6millions d’exemplaires) un gros titre enjoignant aux Grecs de «payer leur crise eux-mêmes» et usant pour satisfaire la démonstration des raccourcis manipulateurs d’un «journalisme» de la démagogie, en s’appuyant sur une «une étude de la Bundesbank» qui prouverait que (sic) «les Grecs ont effectivement beaucoup plus d’argent que nous» (les Allemands – NDLR).

Il ne faut pas s’y tromper, cependant la brutalité avec laquelle agissent Draghi, Merkel et les partisans de la doxa ordolibérale, trahit aussi leur crainte de l’évolution des rapports de forces européens. Ils peuvent être isolés. Même en Allemagne. À côté de Die Linke qui a réagi en dénonçant hier avec force la décision de la BCE, le mouvement syndical (DGB) s’est prononcé contre la poursuite des politiques austéritaires et affiche sa solidarité avec Syriza. Une solidarité qu’il faut faire grandir aux quatre coins de la zone euro. Le défi n’est pas mince. Il s’agit ni plus ni moins de se sauver pour sauver l’Europe.

Publié dans Uncategorized | Marqué avec | Laisser un commentaire

La vérité des prix sur la dette grecque

Dépendance aux marchés financiers et austérité ont fait gonfler l’ardoise jusqu’à l’insoutenable. 
La renégociation engagée par le gouvernement d’Alexis Tsipras, qui entame une tournée dans l’UE cette semaine, doit constituer un premier pas pour rompre avec ce modèle, poison pour la Grèce et l’Europe.

Le sort qu’il conviendrait de réserver à la dette grecque sera tout en haut de l’agenda européen cette semaine, alors que le nouveau ministre des Finances hellène, Yanis Varoufakis, effectue une tournée des capitales européennes entamée par Paris, où il a rencontré hier soir son homologue français. Objectif : réduire le poids devenu insoutenable d’une ardoise qui s’élève à 315 milliards d’euros, soit 175% du produit intérieur brut (PIB). La volonté d’alléger ce fardeau et les premières mesures d’Athènes, prenant le contre-pied des plans d’austérité dont l’application était étroitement surveillée jusqu’alors par une troïka (UE, BCE, FMI) qui n’est plus la bienvenue dans la capitale grecque, sont pour le moins mal accueillies par les gardiens du temple ordo-libéral européen. Ceux-là naviguent depuis une semaine entre amabilités d’usage à l’égard des nouveaux représentants d’Athènes au Conseil européen et avis de non-recevoir. «Pas question de réduire la dette !» ont déclaré Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, comme la chancelière allemande. Et l’Élysée, s’il entend afficher une posture plus «conciliante», n’en fait pas moins connaître son intransigeance «pour le respect des engagements pris».

Sur la défensive, compte tenu de la sympathie que pourrait susciter l’engagement anti-austérité du nouveau gouvernement grec au sein des opinions publiques, les membres du club de l’Europe austéritaire n’hésitent pas à brouiller les cartes, martelant que les revendications du gouvernement Tsipras seraient soit «illégitimes» soit même «injustes» pour les contribuables des pays bailleurs de fonds, à qui serait, selon eux, présentée l’addition d’un abandon de créances. Intox et populisme. Ces manœuvres ne résistent pas à l’examen de la vérité des prix sur l’ardoise grecque.6902076179_b5a9761411_b

Intox sur l’origine de la dette. Elle constituerait, font valoir les communicants du modèle dominant, un problème typiquement grec. Et d’appuyer la démonstration en zoomant en permanence sur ces terribles travers locaux : la difficulté à faire rentrer les impôts, l’absence de cadastre, le clientélisme et la corruption de la classe politique, ou encore le «maquillage des comptes publics» à l’entrée dans l’euro. Ces problèmes sont réels et figurent d’ailleurs en bonne place sur la pile de dossiers que doivent étudier les nouveaux responsables hellènes. Ils ne constituent pas pour autant la source essentielle du surendettement du pays.

Les difficultés d’Athènes n’auraient jamais été portées à un tel paroxysme sans le krach financier de 2007-2008. «Le minotaure global» (1), selon le titre de l’ouvrage de l’économiste critique Yanis Varoufakis, ministre des Finances depuis une semaine, a dévoré les ressources de l’État. Début 2009, avant de sombrer dans la récession, la Grèce est passée en l’espace de quelques semaines « d’un taux de croissance parmi les plus élevés d’Europe à quasiment zéro», relève ainsi Varoufakis.

Avec le krach, le monde de la finance, gavé de titres à hauts rendements spéculatifs dont les cours s’effondraient, était devenu incapable de rembourser ses dettes. Comme toute l’Europe, Athènes vole alors à son secours. La gigantesque dette privée qui menace son secteur bancaire et financier est socialisée. Mais les dogmes de Maastricht et des traités européens, brièvement mis entre parenthèses pour réaliser l’opération, reprendront bien vite du service. Ils sont présentés comme le seul moyen de «discipliner les États» pour s’assurer du remboursement effectif de l’ardoise colossale contractée auprès de leurs bailleurs de fonds privés, ceux-là mêmes qui venaient tout juste d’être… renfloués. Conséquence : toute la zone euro entre dans les turbulences et singulièrement ses membres les plus fragilisés. Il est alors décidé de placer Athènes sous tutelle d’une troïka composée de la Commission européenne (CE), de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (FMI), qui n’accorde son aide au pays exsangue qu’en contrepartie de superplans d’austérité.

On connaît la suite : les mémorandums auxquels se sont soumis les gouvernements dits d’union nationale (droite et Parti socialiste), ont eu des effets ravageurs. Les salaires ont été amputés de 20 à 30%. Le pays s’appauvrit. D’où un terrible marasme qui va faire grimper toujours davantage une dette que les «purges» étaient censées faire diminuer. Loin de soigner le malade, les médicaments prescrits l’achèvent. La situation actuelle ne tient donc pas d’une faillite individuelle de la Grèce, comme l’affirment les communicants officiels, mais d’un échec collectif des dirigeants européens et de leur modèle austéritaire.

Des arguments nationalistes 
et anti-euro travaillent 
aujourd’hui l’opinion germanique

Arc-boutés en défense, les partisans de cette doxa se cabrent, n’hésitant pas aujourd’hui à jouer d’une dangereuse fibre populiste. En pointe sur le sujet, les dirigeants allemands affirment qu’en ne remboursant pas une partie de la dette, le nouveau pouvoir grec ferait les poches des contribuables de leur pays. «Ce qui ne va pas, c’est que ce sont ceux qui travaillent ailleurs qui paient. Je ne peux pas expliquer cela aux Allemands», s’emporte Sigmar Gabriel, ministre de l’Économie (SPD) du gouvernement Merkel, qui ne craint pas de se mettre ainsi à l’unisson des arguments ouvertement nationalistes et anti-euro qui travaillent aujourd’hui l’opinion germanique.

La réalité est pourtant loin d’épouser ces raccourcis démagogiques. Dans la panique en 2012, alors que le recouvrement de la dette grecque s’avérait déjà intenable, CE, BCE et FMI ont permis aux banques et autres investisseurs privés de sauver leurs meubles. Ces derniers ont pu se séparer de leurs titres hellènes à bon compte (à 50% de leur prix initial, alors qu’ils ne valaient quasiment plus rien sur le marché), transférant ainsi près de la totalité de la dette et de ses risques vers la sphère publique (européenne ou internationale).

Les créances grecques sont donc aujourd’hui entre des mains publiques, celles de la BCE, du FMI et, pour plus de 40%, du Fonds européen de stabilité financière (Fesf). L’Allemagne en détient à hauteur de 41 milliards d’euros, la France de 31 milliards (au prorata de leurs engagements au sein du Fesf). À cela s’ajoutent des prêts bilatéraux accordés à Athènes par Berlin et Paris en 2010 dans le cadre d’un premier dispositif dit de sauvetage. C’est là-dessus que s’appuient les dirigeants des deux principaux pays bailleurs de fonds pour justifier leur refus de couper dans l’ardoise grecque.

Mais les apparences sont très trompeuses. Le fisc allemand, par exemple, est objectivement un énorme «profiteur» de la crise grecque. Berlin a prêté en effet de l’argent à Athènes, à des taux certes très inférieurs à ceux, usuraires, du marché – ils ont atteint jusqu’à 18% pour les emprunts à dix ans en juin 2011 – mais bien au-dessus (entre 2 et 5%) de ceux auxquels il avait lui-même emprunté sur les marchés financiers pour alimenter le fonds de secours européen. Depuis près de deux ans, l’Allemagne se finance en effet sur les marchés à moins de 1,5%, et même à moins de 0,5% depuis l’automne dernier. Techniquement cette situation traduit un afflux de capitaux sur la place allemande. Autrement dit : une réduction du coût du capital emprunté par la puissance publique germanique. Au total, une étude sur ce thème réalisée par des économistes du groupe Allianz chiffre à 40 milliards d’euros les gains réalisés sur quatre ans par Berlin grâce à cette conjoncture ultrafavorable.

C’est là que se situe la plus grande faille d’un modèle européen placé sous la férule des marchés financiers : la mise en concurrence entre États s’est exacerbée dans la crise et c’est le plus fort, devenu le plus hégémonique, qui en tire les plus grands bénéfices. Voilà pourquoi les terribles déséquilibres intra-européens s’aggravent sous l’effet des purges de la troïka au lieu de se résorber. Voilà pourquoi ce modèle austéritaire alimente partout des dérives nationalistes. Très mauvais pour la Grèce, le programme d’austérité, relevait hier le ministre des Finances grecs en marge de sa visite à Paris, l’est aussi pour toute l’Europe.

(1) Yanis Varoufakis, The Global Minotaur, éditions Z, collection « Economic Controverses ».

Partager cet article
Repost0

commentaires