Izquierda Unida organise avec le PGE sa mue en une SYRIZA espagnole: entre « gauchisme institutionnel » et « réformisme radical »
Près de 1 000 délégués ont assisté à Madrid entre le 15 et le 17 décembre à la X ème Assemblée d'Izquierda Unida. Une assemblée où a été présenté le projet d'IU : celui de constituer une nouvelle organisation et de représenter une « option de gouvernement » calquée sur Syriza.
« La voilà la SYRIZA espagnole, pas besoin de la chercher ailleurs ! », ces mots lancés par le coordinateur général d'IU, Cayo Lara, à la presse espagnole révélait l'enjeu de ce Congrès : transformer la formation créée en 1986 et moribonde il y a quatre ans en SYRIZA espagnole.
Les « guest-stars » parmi les invités internationaux confirment le projet : le Bloc de gauche côté Portugais et surtout SYRIZA en Grèce. Deux modèles du PGE en lutte acharnée contre les deux Partis communistes. Alexis Tsipras, a ainsi pu délivrer un long message depuis Athènes.
Les médias l'ont souligné, le contraste avec la IX ème Assemblée de 2008 est saisissant : une impression d'unité si ce n'est d'unanimité, un climat de paix interne après des années de querelle.
Dans un climat de crise interne et de remise en cause de la stratégie institutionnelle et réformiste de la « gauche unie », le projet avait alors été sauvé par des dirigeants membres ou proches du PCE, inscrits dans le projet européen du PGE (Parti de la gauche européenne)
L'élection de Cayo Lara en 2008 a ainsi permis de relancer le processus de « refondation d'Izquierda Unida ». Malgré de bons résultats tardifs (6,8% en 2011 avec un effondrement du PS), ces quatre années ont été émaillés de crises politiques aiguës : en Andalousie, Asturies, Extrémadure.
L'objectif de cette Assemblée est bien de parachever ce projet en suivant trois axes : radicaliser le discours sur les questions « identitaires », dessiner une alternative institutionnelle et réformiste et enfin construire une nouvelle organisation éliminant tout risque de fronde des bases communistes.
Sur l'UE, le rapport au PS : derrière la radicalisation du discours, des positions de compromis
Dans la résolution finale « Transformer la mobilisation en organisation, la rébellion en alternative et l'alternative en pouvoir », au-delà de la radicalisation dans le vocabulaire employé, plusieurs discours co-existent dans la résolution.
Un double discours même, fruit autant d'un compromis entre divers courants internes qu'il n'est lui-même expression d'une ligne politique délibérément éclectique et ambiguë :
On peut y parler tantôt de « dictature du capital » que de « pouvoir des marchés » ; d'une « Union européenne sans issue » pour ensuite évoquer « la refondation de cette Union européenne ».
Dans ce document, sur les deux questions centrales que sont l'Union européenne et le rapport au Parti socialiste, derrière la radicalisation du discours, un flou intégral est délibérément maintenu sur le concret :
Sur l'Union européenne : maintien du cap de l'Europe sociale
La critique semble radicale d'une « UE sans issue » qui n'est pas « au service des gens ». Or, dans le détail, IU ne fait que re-proposer le projet d'une « Europe sociale » tout en escamotant le débat actuel, brûlant à gauche en Espagne, celui sur la monnaie unique.
Ce que reproche IU à l'UE, c'est d'avoir « dérégulé le marché et le système financier » et d'avoir créé une « monnaie unique sans Trésor public ni Banque centrale capable d'agir comme une Réserve fédérale », donc d'avoir rendue impossible « une intégration régionale au service des gens » et une réelle « cohésion sociale, territoriale et la création d'emplois ».
Ce n'est donc pas le processus d'intégration européenne capitaliste qui est en cause, mais son orientation actuelle. Et la solution, c'est donc « Plus d'Europe », l'approfondissement d'une autre intégration européenne au service des gens.
Ce que propose IU, c'est une « refondation de l'UE pour la mettre au service des gens ». Comme l'a affirmé Cayo Lara lors de son discours en plénière : « Ce que nous voulons, c'est une Europe sociale ».
Dans son élan, il a rajouté un éclairant : « Ce qu'il nous faut c'est une Gauche unie dans toute l'Europe pour obtenir la majorité au Parlement européen et changer les institutions européennes ».
A noter que le débat autour de la monnaie unique a été totalement escamoté. La question a été soulevée par de nombreux intervenants lors de l'Assemblée, posant la question d'une sortie de l'Euro. Un débat qui monte dans les milieux de gauche en Espagne, pourtant totalement passé sous silence dans les documents finaux.
Sur le rapport au PS : silence sur la collaboration dans les exécutifs régionaux
Dans le discours, la prise de distance est nette avec un PS assimilé au PP (droite) : par les mesures libérales qui ont conduit à la crise, par leur soumission aux diktats des marchés et de Bruxelles, par leur connivence dans les réformes constitutionnelles
« La gauche ne doit pas seulement parler d'une autre politique, mais la mettre en pratique », proclame la résolution finale.
Qu'a fait concrètement Izquierda Unida à l'échelon où elle a pu agir jusque-là, c'est-à-dire dans les régions pour mener « une autre politique » que celle du PS ?
Dans les Asturies, après plusieurs années de collaboration dans la mise en œuvre des réformes de libéralisation, les bases d'IU refusent en 2012 un nouveau gouvernement PS-IU. La direction nationale d'IU tente d'imposer un « pacte de gouvernement » mis en échec par les bases militantes qui désavouent leur direction à 51% lors d'un référendum pourtant verrouillé.
En 2011, en Extrémadure, la direction régionale décide courageusement de refuser de cautionner un gouvernement social-libéral et s'abstient lors de l'investiture. La direction nationale lance une chasse aux sorcières contre la direction régionale pour lui imposer un pacte de gouvernement.
Enfin, en Andalousie, deuxième région d'Espagne, la direction régionale et nationale d'IU est parvenu à faire imposer un pacte de gouvernement avec le PS régional, particulièrement corrompu et libéral. Une première depuis trente ans. Parmi les premières mesures de la Junta de Andalucia : baisse de salaires, hausse des impôts, réduction du nombre de fonctionnaires.
Derrière les grandes proclamations, aucune réflexion critique sur les expériences gouvernementales, régionales, à laquelle a participé IU depuis 2008. Frappant dans un pays où la régionalisation est si poussée, où la santé et l'éducation sont quasiment intégralement à la charge des régions.
Une alternative moulée dans le « gauchisme institutionnel » et le « réformisme radical »
L'alternative avancée par Izquierda Unida s'inscrit à la fois dans un discours nettement radicalisé mais inséré dans une perspective réformiste keynésienne sur le plan économique, et institutionnel sur le plan politique.
L'alternative économique, c'est un keynésianisme de gauche : une politique d'investissement public pour créer des emplois, la création d'un « système bancaire au service des gens », un « audit sur la dette » pour ne pas payer la partie illégitime de la dette (donc l'acceptation de payer le reste), enfin la « modernisation » des services publics.
Si le flou est maintenu sur l'échelle à laquelle pourrait être mise en place cette politique, la partie sur l'Europe regrette cette UE « sans trésor public ni Banque centrale comme l'est la FED ». Autrement dit, le projet d'une politique d'investissement européenne, d'une ré-orientation de la BCE et enfin d'un approfondissement du fédéralisme fiscal est donc présent.
Sur le plan politique, selon les mots du secrétaire du PCE, José Luis Centella, il s'agit de « transformer une majorité sociale en majorité politique ». Cesser d'être le « point de référence politique » pour « organiser politiquement la rébellion sociale ».
Le projet, radical en apparence, s'inscrit dans une perspective institutionnelle : faire d'Izquierda Unida une « option de gouvernement » plus crédible à gauche que le Parti socialiste, canaliser les mouvements sociaux que connaît l'Espagne, des travailleurs en grève dans tous les secteurs aux « Indignés » vers une solution institutionnelle à la crise.
IU dénonce un Parlement, une constitution vidés de leur sens, une « démocratie formelle pour proposer le changement... par la voie parlementaire, « démocratique ». Les trois propositions phares d'IU sont :
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un processus constituant pour une nouvelle Constiution « démocratique et républicaine », masquant une volonté d'éviter la question de la rupture avec le système économique derrière la proposition d'un changement institutionnel juste par ailleurs ;
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l'organisation de référendums contre les mesures libérales, au lieu de mettre l'accent sur la convergence des luttes et la grève générale - au moment où un potentiel de lutte inédit existe dans le pays - c'est proposer le vote comme seule solution ;
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enfin, la conquête de toutes les institutions, des communes à l’État. Le mot d'ordre « Prenez le pouvoir » signifiant « prise de pouvoir » par les élus d'IU dans toutes les institutions « démocratiques » en espérant pouvoir les subvertir de l'intérieur. On a vu ce qu'il en est advenu en Andalousie ou dans les Asturies.
« L'organisation de demain » : mouvementisme, centralisme anti-démocratique et petits arrangements entre amis
C'est dans le cadre de ce projet d'une « alternative » institutionelle et réformiste que se dessine l'ambition de créer une nouvelle organisation à partir de la « refondation d'Izquierda Unida » dont les yeux sont rivés vers la Grèce et SYRIZA, le modèle antagoniste à celui du Parti communiste.
Si les contours définitifs de cette organisation sont encore à définir, les traits de ce SYRIZA espagnol semblent les suivants :
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une « aspiration mouvementiste » dépassant la vieille forme-parti autour d'un « Bloc politique et social » envisageant dans le discours une fusion entre « mouvements sociaux » notamment des Indignés et « mouvement politique » représenté par IU et d'autres partenaires. Concrètement, le modèle actuellement mis en avant est celui de la coalition « Alternative galicienne de gauche » (AEG) qui a réalisé une percée électorale aux élections régionales galiciennes d'octobre 2012. Or, loin de représenter une « nouvelle forme d'organisation », il ne s'agit que d'un cartel électoral avec la frange de « gauche » des nationalistes galiciens, autour de Xosé Manuel Beiras, dirigeant historique du nationalisme social-démocrate galicien.
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le renforcement d'un « centralisme anti-démocratique », paradoxalement ce discours mouvementiste s'alimente d'un retour à une gestion centralisée et autoritaire depuis Madrid de l'organisation. L'idée est d'éviter les rebellions des organisations régionales refusant la collaboration avec le PSOE. Non moins de quatre mesures ont été adoptées en catimini lors de l'Assemblée par la révision des statuts : une réduction du poids des fédérations dans la structure centrale, un renforcement de la gestion nationale du fichier des adhérents, la possibilité de faire annuler nationalement toute décision prise par les organes régionaux et enfin l'octroi exclusif à l'échelon national de la décision de la politique d'alliances ;
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dernier point éclairant, le maintien des « négociations de couloir entre courants ». Dans ce nouveau parti déstructuré en apparence mais centralisé comme jamais, le règne des petits arrangements entre « amis », courants supposés contradictoires. Un seul exemple, le cas du courant « Gauche ouverte » de Gaspar Llamazares. L'ancien secrétaire d'IU entre 2000 et 2008, partisan zélé des alliances avec le PS, a servi d'épouvantail de droite commode à la direction nationale. Pestant contre un discours trop anti-PS, posant la menace d'une scission interne, il a joué son rôle jusqu'au bout obtenant finalement le statu quo institutionnel, soit 20% des postes de direction, négociés directement avec Cayo Lara. Comme le rappelle avec cynisme ce spécialiste des magouilles institutionnelles : « Il y a bien plus de choses qui nous rapprochent que ce qui nous sépare » ;
Ce projet explique mieux les fortes tensions entre le Parti communiste grec (KKE) et Izquierda Unida. Le KKE avait proposé l'an dernier une critique intégrale du programme d'aménagement du système d'IU. Récemment, le KKE s'est opposé à ce que le PCE organise la prochaine « Rencontre des partis communistes et ouvriers ».
Il faut rappeler que la Jeunesse communiste d'Espagne (UJCE) a récemment clarifié sa position sur la situation en Grèce, affirmant haut et fort que son référent en Grèce était le Parti communiste et non l'organisation « réformiste » que constitue SYRIZA. Sa position peut servir de point de repère pour refuser ce processus d'effacement et de liquidation de l'organisation communiste en Espagne.
Comme en Italie, quatre ans après l'existence d'un rapport de force historique pour reconstruire un véritable Parti communiste dans un pays laminé par trente ans de liquidationnisme dans la veine euro-communiste, le rapport de force a été anéanti, perverti, récupéré par les directions proches du PGE pour les orienter vers un projet de « Bloc de gauche », à la SYRIZA, tantôt compatible avec la social-démocratie, tantôt force de substitution de cette social-démocratie
Article AC