Qui paiera le fédéralisme fiscal?
par Domenico Moro, économiste du PdCI (Parti des communistes italiens)
Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
Le problème de la pression fiscale se fait sentir lourdement dans notre pays, surtout par le poids excessif de la fiscalité sur les épaules des travailleurs salariés, notamment ceux aux revenus les plus faibles. Les interventions récentes ont mené à une réduction du nombre d'échelons de l'Impôt sur le revenu national, à l'introduction d'Impôts sur le revenu régionaux additionnels, et à l'augmentation de la fiscalité indirecte, c'est-à-dire sur la consommation.
La réduction à cinq des échelons de l'Impôt sur le revenu a limité la progressivité des impôts directs, sur les revenus, qui pèse sur les travailleurs salariés. Par ailleurs, les Impôts sur le revenu régionaux additionnels, contrairement à celui national, ne respectent en rien le critère de progressivité. Par exemple, dans le Latium, le taux d'imposition additionnel est de 1,4% pour tous les revenus. C'est également le cas en Vénétie, mais elle est de 0,9%. Au Piémont, en revanche, il existe trois taux d'imposition mais qui toutefois fluctuent de manière non-progressive. Par exemple, ceux qui ont un revenu inférieur à 15 000 euros paient 0,9% en plus; le taux passe à 1,3% pour ceux qui ont un revenu dépassant les 15 000 euros et à 1,4% pour ceux au-delà de 22 000 euros; mais toujours sur l'ensemble du revenu imposable et non, comme cela se produit au niveau national, seulement sur la partie du revenu supérieure à celle de l'échelon précédent. Le tableau des impôts additionnels est en un mot une véritable jungle, où chaque région adopte ses propres critères, en augmentant la confusion – aussi à cause de l'éventail complexe des déductions (au nombre de 18), niches fiscales (39) et exonérations fiscales (46) – et la disparité de traitement entre citoyens-contribuables le long de la botte.
A tout cela, s'est ajouté l'augmentation de la pression des impôts indirects sur la consommation, de l'IVA [TVA italienne] aux taxes sur les alcools et les tabacs, en passant par les péages autoroutiers. Choisir d'augmenter les impôts indirects apparaît un bon tour d'illusionniste pour des gouvernements soucieux de faire consensus, puisqu'elles apparaissent comme plus « neutres » et sont moins évidentes aux yeux de ceux qui les subissent par rapport aux impôts directs. Il y a un pourtant un hic: elle ne sont pas progressivesc'est-à-dire qu'elles ne pèsent pas de manière égale sur tous, sur Montezemolo [président de Ferrari] et sur Cipputi [personnage de BD symbolisant l'ouvrier en Italie], qui, quand ils achètent un produit ou un service, paient la même taxe, tout en ayant des revenus très différents.
La conséquence de ces mesures est une imposition fortement injuste du point de vue social, et aussi anti-constitutionnelle. En effet, la Constitution à l'article 53 affirme que les taxes doivent être progressives, doivent augmenter à mesure qu'augmentent le revenu.
Dans un tel cadre, le débat récent a conduit certains à conclure que le fédéralisme pourrait alléger la pression fiscale et résoudre le manque de services et d'infrastructures dans lequel est plongé notre pays, obligeant la classe politique à des allocations plus efficaces de ressources. Mais est-ce véritablement ainsi? Ou ne risque-t-on pas d'accentuer les tendances iniques de la fiscalité des dernières années?
Pour le vérifier, voyons ce que prévoit le décret-loi en matière d'autonomie fiscale des régions à statut ordinaire (Décret-loi du 11 octobre 2010), voté récemment en Conseil des ministres. En premier lieu apparaissent les points suivants:
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Augmentation des impôts. Le décret prévoit la possibilité pour les collectivités locales d'augmenter encore les impôts directs. Le plafond de l'Impôt sur le revenu additionnel sera de 1,4% jusqu'en 2013, de 2% à partir de 2014, et de 3% à partir de 2015 (art. 5, paragraphe 1). A cet égard, il est faux d'affirmer comme cela a été rapporté par certains journaux, que les deux premiers échelons de revenu auraient été exemptés de l'augmentation. En réalité, l'article 5 paragraphe 2, prévoit que « une augmentation au-delà de 0,5% ne doit pas concerner les deux premiers échelons de revenu ». Ce qui signifie qu'une augmentation de 0,5% est prévue pour tous.
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Redistribution du revenu national en faveur des entreprises. Tandis que l'impôt sur les revenus du travail salarié (IRPEF) augmentera, il est prévu de réduire et même de supprimer l'impôt régional sur la production (IRAP), la « taxe » imposée aux entreprises pour payer la santé des travailleurs. En fait, il est faux que l'impôt sur la production ne peut pas être diminué si l'impôt sur le revenu est augmenté, car à l'article 4 paragraphe 3, il est affirmé que, en cas de diminution de l'impôt sur la production , l'augmentation de l'impôt sur le revenu ne peut pas dépasser les 0,5%. Il convient de remarquer, enfin, que l'impôt sur la production n'est pas à proprement parler un impôt. Elle représente la vieille contribution à l'aide sanitaire des travailleurs qui en 1997 a été incluse, avec d'autres articles, à l'IRAP. Il s'agit en pratique d'une partie du salaire, celle « indirecte », payée en services publics.
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Réduction de la progressivité de la fiscalité. Avec le fédéralisme fiscal augmentera le poids de la TVA et des autres impôts indirects, comme les taxes sur l'essence et la vignette automobile, parce qu'elles devront compenser la suppression des fonds alloués par l'État central aux régions (articles 14 et 15). Avec la TVA, par exemple, on alimentera le fonds de péréquation des dépenses régionales (articles 11, paragraphe 5). On en vient ainsi à créer un mécanisme qui emmènera à augmenter justement les taxes sur la consommation, soit la forme d'imposition non-progressive par excellence.
Quels seront les conséquences sociales du fédéralisme fiscal? Elles seront graves sur au moins trois plans:
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Cela creusera le déséquilibre entre salaires et profits au profit des derniers. Dans les 25 dernières années, 8% de la richesse nationale est passée des salaires aux profits. Avec le fédéralisme fiscal, l'écart se creusera. Le salaire direct sera amputé directement par l'augmentation du plafond de l'Impôt sur le revenu et indirectement avec la diminution des services publics payés grâce à l'Impôt régional sur les sociétés. Dans le même temps les profits, libérés entièrement ou partiellement de l'Impôt régional sur les sociétés, augmenteront. L'écart s'aggravera – il est bon de le préciser – également au Centre et au Nord, justement parce que les régions avec le moins de difficulté budgétaires et avec l'Impôt sur le revenu additionnel à 0,9%, seront plus enclines à favoriser les entreprises, en coupant dans l'Impôt sur les sociétés et en compensant cette perte en augmentation le taux additionnel de l'Impôt sur le revenu.
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Cela augmentera les inégalités entre les régions du Sud et celles du Nord. Pas seulement en termes d'écart dans la qualité des services et d'accessibilité des infrastructures. Il y a un autre aspect qui n'a pas été pris en compte: la réduction et encore plus la suppression de l'Impôt régional sur les sociétés faciliteront l'attraction des investissements. Et à partir du moment où seules les régions au budget positif, c'est-à-dire les plus riches du Nord, pourront le faire, le Sud connaîtra une diminution encore plus forte de l'afflux de capitaux et une accentuation de la fuite déjà substantielle de la production vers le Nord. Le PIB du Mezzogiorno, descendu en 2009 au niveau le plus bas depuis l'Unité italienne (23,2% du PIB national), risque de s'effondrer.
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Les services de santé publics seront gravement réduits. Avec le fédéralisme, on pourra diminuer l'Impôt régional sur les sociétés seulement si les comptes sont en règle et/ou en présence de coupes massives dans les dépenses, autrement dit par la diminution des services rendus. On ferme déjà en ce moment des dispensaires et des hôpitaux entiers, avec le fédéralisme fiscal, il y aura une véritable hécatombe. Dans de nombreux territoires de province, les patients seront contraints de se rendre à des structures distantes de plusieurs dizaines de kilomètres, avec tout ce que cela implique. De nombreux travailleurs resteront sans assistance, avec comme effet non-négligeable le fait que la santé privé aura plus de place pour s'imposer.
Il y aura, donc, un effort de fait pour diminuer les taxes sur les entreprises, ce qui est le véritable objectif du fédéralisme, et c'est pour cette raison que le projet est soutenu par la Confindustria (MEDEF italien). Par conséquent, on compensera les exonérations patronales par la réduction des services et/ou par l'augmentation de l'Impôt sur le revenu et des taxes à la consommation, également parce que la baisse de l'IRAP est de la seule responsabilité des régions (article 4, paragraphe 2).
Le vrai point crucial de la fiscalité italienne est le fait qu'elle couvre l'évasion fiscale la plus élevée d'Europe, estimée à 100 milliards d'euros, soit 7% du PIB, un chiffre supérieur à celui du déficit public, qui s'élève à 5,2%. Les principaux responsables de l'évasion sont les industriels (32%), et l'augmentation la plus forte des évadés fiscaux en 2010 s'est enregistré au Nord, en particulier dans les vertueuses Lombardie (+10,1%) et Vénétie (+9,2%). La question fiscale est et deviendra de plus en plus important dans notre Pays et en général dans les pays les plus avancés. Naturellement, c'est une question cruciale dans la fixation du salaire réel global, couvrant le salaire indirect et les aides sociales, qui sont attaqués dans toute l'UE. Et puis, avec la persistance de la crise et la pression des marchés pour réduire les déficits et les dettes publics, la pression à l'augmentation des taxes risque d'être de plus en plus forte. Ensuite, décider et qui, et dans quelle mesure, doit payer les impôts sera décisif.
Domenico Moro