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CHANTS REVOLUTIONNAIRES

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22 avril 2010 4 22 /04 /avril /2010 15:17

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Leïla Marouane, écrivaine algérienne, a fait de ses livres une lutte contre l’obscurantisme. Contrainte de se réfugier en France, elle garde une vision partagée de son pays natal, entre crainte et amour. Combattante, elle n’a jamais baissé les bras. Portrait d’une femme sans compromis.

Une littérature du combat

 


C’est à Djerba qu’est née Leïla Zineb Mechentel qui se fera appeler plus tard Leïla Marouane. Pourtant, c’est en Algérie qu’elle passe son enfance et son adolescence au milieu des troubles qui secouent le pays après l’indépendance en 1962. Son père est un homme de lettre éduqué et marxiste, membre du parti communiste français. Sa mère mène aussi un combat : féministe et anticolonialiste, elle est surnommée « la Jeanne d’Arc des Djebels ».

 

A 6 ans, la jeune Leïla écrit déjà. Entourée des livres qui remplissent le bureau de son père, elle se lance rapidement à la découverte de Sartre, son père lui ayant interdit d’ouvrir la comtesse de Ségur : « Trop bourgeoise » disait-il. Très vite, ses instituteurs remarquent son goût ainsi qu’un certain talent pour l’écriture : à 12 ans, on lui propose de publier un premier recueil, mais il faudra attendre vingt ans de plus avant qu’elle ne se décide à faire partager ses écrits.

 

A 25 ans, après des études de lettres à l’Université d’Alger, elle devient journaliste à Horizons, quotidien algérien. Après une série d’articles et de tribunes touchant les interdits de la société algérienne, elle reçoit des lettres d’insultes et de menace. Son combat a commencé : elle le paiera lourdement.

 

Cinq ans après être rentrée à Horizons, des hommes l’attaquent, la frappent et la laissent pour morte, en sang, sur un trottoir de Bou Ismaïl, le long de la côte algérienne.

Elle sera sauvée, mais décide de quitter pour de bon son pays et s’installe à Paris « le temps que les choses se calment ». Un an plus tard, sa mère décède. Leïla est à Paris, les menaces qui pèsent sur elle l’empêchent de retourner en Algérie assister aux obsèques. La jeune fille le vit très mal : c’est à partir de cette année qu’elle décide de publier ses écrits, ressentant un « besoin de partager, comme certains ressentent, après la mort d’un proche, un besoin d’enfanter ». Depuis, huit ouvrages sont parus dans un style qu’elle définit elle-même comme celui d’une « littérature de combat ».

 

Entre un père communiste antireligieux et une mère féministe anticolonialiste, tout prédisposait la jeune Leïla Mechentel à entrer elle aussi dans la lutte. Du côté paternel, elle a gardé une méfiance vis-à-vis de la religion et un regard noir sur la politisation d’un islam rigoureux aux interdits foisonnants. Côté maternel, le combat est resté celui de l’affranchissement des femmes : celui qui s’oppose au port du voile, à la répudiation, à la polygamie, à l’excision … la liste est longue et les sujets ne manquent pas pour sa « littérature du combat ».

 

Si Leïla Marouane s’est toujours placée du côté des femmes, son dernier livre, La Vie sexuelle d’un islamiste à Paris, est une immersion dans la peau d’un homme, de ses complexes et de ses fantasmes. Derrière un titre provocateur, c’est un monde loin des clichés habituels sur les « extrémistes de banlieues » qui se dévoile au lecteur. Si l’auteur avoue le « peu d’empathie pour son personnage, avec lequel elle prenait soin de garder une certaine distance », l’immersion fut cependant totale dans la tête de Mohammed, personnage à la limite de la schizophrénie, partagé entre religion, sexe et famille. « Sans personne pour m’informer sur la vie masculine, il ne m’était pas facile d’entrer dans l’intimité sexuelle de mon héros », avoue-t-elle.

 

Le résultat donne une analyse tant psychologique que sociétale, évitant la haine et préférant l’humour à la colère. Mais le travail semble avoir été pénible. « Ce roman m’a fatiguée, poursuit l’auteur, j’avais hâte de me débarrasser d’un personnage qui ne m’était pas sympathique », ajoute-t-elle. Entre une féministe active qu’est Leïla Marouane et un islamiste — son héros — au regard naïf et sournois sur les femmes, le fossé est important. Chercher à comprendre, « à viser juste », mais sans dépasser les frontières menant à une certaine estime de son héros signifiait, pour l’auteur, un jeu avec son ennemi. Un ennemi dont il faut s’approcher pour mieux le contrer et le combattre.

 

Simple mais affirmée, Leïla Marouane est une femme entière croyant en ses combats et à l’écriture pour y parvenir. Même s’il faut parfois en payer le prix. Grande gueule, elle l’a toujours été et ne s’est jamais refusée de dénoncer ce qu’elle jugeait scandaleux, de grandes questions sociales au fait divers de « viande avariée ». La censure ? Elle la connaît bien depuis avoir travaillé dans le journalisme algérien. A cette époque, le ministère la convoquait pour lui signifier de changer son article, de modifier telle ou telle information. « Ils m’envoyaient un chauffeur qui me conduisait au ministère où l’on me dictait la mise au point », se souvient-elle.

Elle la connaît aussi de la France où règne « une censure non dite » et « où me faisait jouer le rôle d’arabe de service », poursuit-elle. Femme de caractère, elle ne s’est jamais laissée intimider malgré les menaces, les insultes et les coups. Mais elle reste aujourd’hui plus prudente qu’à l’époque où elle « fonçait tête baissée » dans les tabous et les interdits d’une Algérie malade.

 

De l’Algérie, elle garde des souvenirs brûlants de sa jeunesse et de ses débuts dans le journalisme. Des souvenirs d’une enfance heureuse passée plongée dans les livres de la bibliothèque paternelle ou dans l’écriture de ses textes de jeune fille griffonnés sur sa table d’études du pensionnat Ben Bouali. Des souvenirs douloureux aussi, mais qui ne l’empêchent pas de vouloir retourner à Bou Ismaïl, là ou elle passa une partie de son enfance. Pour autant, Leïla Marouane continue d’avoir peur de retourner chez elle. Crainte de l’extrémisme, de la folie, de la terreur. Crainte du politique ou de la censure, les raisons pour ne pas y retourner tout de suite font légion. Le temps est désormais son meilleur allié.

 

Leïla Marouane fait partie de cette génération d’écrivains maghrébins en lutte contre les maux qui touchent leurs pays. Souvent d’expression française, ces auteurs, qu’ils écrivent de Paris, de Rabat ou d’Alger, ont fait de leur littérature un moyen de résistance. Que la dénonciation des normes sociales soit évoquée en toile de fond ou s’impose comme l’objet du livre, beaucoup considèrent l’écriture comme le meilleur moyen d’opposition aux dérives sociales, religieuses ou politiques qui touchent les milieux qu’ils côtoient, de près ou de loin. De Tahar Ben Jelloun à Assia Djebar, rares sont ceux dont les regards ne se font pas critiques lorsqu’ils évoquent leurs sociétés.

Entre ces auteurs, Leïla Marouane est peut-être un des plus virulents, si ce n’est par les mots mais par l’implication dont elle fait preuve depuis toujours. Un combat d’une vie qui n’utilise que la force de l’imagination pour dénoncer des vérités bien réelles. Inventer pour finalement décrire ce qui existe. « La littérature doit mentir pour être vraie », avoue l’auteur.

 

Réveiller les consciences en accentuant la réalité pour la rendre plus vraie est un des buts de l’écrivain pour qui le journalisme a pourtant marqué une partie de sa vie. Jeune Afrique, Politis ou encore des hebdomadaires allemands, Leïla Marouane mène son combat par les mots, qu’ils soient ceux de la presse ou du roman. Celle qui, dans ses derniers ouvrages, « a mis à nu les femmes », comme elle aime le dire, ne rechigne pas à changer de casquette pour défendre ses objectifs. Des objectifs de changement prônés par une féministe se disant « consciente de la condition des femmes » dans les pays arabes en particulier et dans le monde en général.

 

Celle qui a décidé de vouer sa vie à l’écriture, non pas seulement pour la beauté des mots, mais aussi pour leur pouvoir de faire changer les choses, n’aspire qu’à une chose : continuer son action qu’elle a commencée il y a trente ans en Algérie. La route est encore longue, mais Leïla Marouane, comme d’habitude, ne baissera pas les bras.

 

Alban de Ménonville

 

http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2010/4/21/visa0.htm

 

 

Jalons

1960 : Naissance à Djerba (Tunisie) mais passe son enfance en Algérie.
1980 :
Etudiante à la faculté des lettres d’Alger.
1991 :
S’installe à Paris après avoir été victime d’une agression suite à la publication d’une série d’articles.
1996 :
Publication de La Fille de la Casbah (Juillard), son premier roman.
2007 :
Publication de La Vie sexuelle d’un islamiste à Paris (Albin Michel).

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