C’est une rencontre importante qui est intervenue ce mercredi au Liban, même si la presse française est plutôt discrète à ce sujet : une délégation du Hamas palestinien a été reçue par cheikh Sayed Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah libanais. La délégation du Hamas comprenait le vice-président du bureau politique Moussa Abou Marzouk.
Selon le quotidien libanais (pro-syrien) As Safir, les deux parties ont discuté des développements dans la région notamment à Gaza et en Syrie. Et c’est bien là l’intérêt particulier de cette rencontre. Hamas et Hezbollah sont deux tendances importantes de l’Islam politique au Proche-Orient, deux acteurs majeurs du conflit israélo-arabe. Dont l’un, le Hamas, est sunnite, tandis que le Hezbollah est chiite. Jusqu’il y a peu, les deux forces politiques étaient réunies par l’ennemi commun, l’Etat hébreu et Tsahal. La différence d’obédience religieuse ne pesait pas face à l’esprit de résistance arabe.
De la prise de distance au reniement
Mais le printemps arabe et la crise syrienne ont modifié la donne : le Qatar et l’Arabie Séoudite ont fait pression sur le Hamas, traditionnellement allié au régime syrien, pour qu’il prenne ses distances d’avec Damas. Et puis il y a eu ce dynamisme électoral des mouvements islamistes sunnites, Frères musulmans en Egypte et en Jordanie, Ennahda en Tunisie, sans parler de l’arrivée au pouvoir en Libye de radicaux sunnites eux aussi liés à la Confrérie. Le Hamas lui-même peut être considéré comme une branche palestinienne des Frères musulmans.
Face à une telle pression politique, le Hamas, coincé à Gaza entre une Egypte massivement acquise aux Frères musulmans et aux salafistes et Israël plus intransigeant que jamais, avait une marge d’autonomie réduite. Les promesses et les largesses des pétro-monarchies ont fait le reste : la nouvelle tombait, en janvier, que le Hamas fermait son bureau politique à Damas, officiellement pour raisons de sécurité. Mais, amis ou ennemis de la Syrie telle qu’elle est, personne n’était dupe. On apprenait à un peu plus tard, début février, le déménagement au Qatar, non seulement du chef en exil (jusque-là syrien) du mouvement, Khaled Mechaal – qui niait encore à Noël tout départ de Damas de son mouvement et toute installation personnelle à Doha -, mais encore du siège politique de l’organisation. Le Hamas, aspiré comme malgré lui par la vague du radicalisme sunnite, avait été sommé de s’aligner sur l’opposition syrienne type CNS, dominée comme on sait par les Frères musulmans, ou au moins de rompre ses liens anciens et solides avec Bachar al-Assad. C’était chose faite officiellement avec éclat le 24 février dernier, le Premier ministre du gouvernement Hamas de la bande de Gaza, Ismaël Haniyé, déclarant, depuis Le Caire, son soutien au peuple syrien dans sa lutte « pour la liberté et la démocratie« . Ces mots avaient été évidemment soufflés à Haniyé par la direction de la Ligue arabe, sous emprise qatarie. Ils résonnaient d’autant plus fort qu’ils avaient été prononcés lors d’un rassemblement, au Caire, de soutien aux Arabes de Jérusalem et… au peuple syrien, comme si les deux peuples se trouvaient dans la même situation d’oppression et d’occupation étrangère. Et Haniyé avait écouté sans broncher les très explicites slogans scandés par la foule après sa péroraison : « Ni Iran, ni Hezbollah, Syrie islamique ! Dégage Bachar, espèce de boucher ! »
Le chef du gouvernement Hamas de Gaza savait pourtant mieux que quiconque que le « boucher » al-Assad avait toujours soutenu la résistance palestinienne et le Hamas en particulier, dont plusieurs responsables, dont Khaled Mechaal, étaient résidents quasi-permanents de Damas, avant de déménager, ces dernières semaines au Caire. De même, Ismaël Haniyé ne pouvait ignorer que la Syrie accueillait sur son sol des centaines de milliers de Palestiniens, réfugiés de 67 et de 73 et leurs descendants. Quant au Hezbollah, il demeurait le mouvement frère – ou cousin très proche – du Hamas, au sein de cette famille « recomposée » de la résistance arabe anti-israélienne, un mouvement auréolé dans tout le monde arabo-musulman de sa résistance victorieuse à Tsahal au sud Liban en 2006. Enfin l’Iran était un soutien financier et politique important du Hamas.
Bref, ce discours du vendredi au Caire apparaissait bien comme un reniement, certes motivé peut-être par de hautes considérations politiques, mais néanmoins choquant, même au regard des traditions de retournement d’alliance qui ponctuent l’histoire des nations arabes. Et, de fait, tout le monde n’était pas d’accord, à la direction du Hamas, pour avaliser ce virage à 180 degrés, dicté voire payé par des monarchies arabes, nettement moins en pointe dans le soutien aux Palestiniens que la Syrie et le Liban, pays de la ligne de front.
Le poids de réalités récentes
Ce sont peut-être ces dissensions, ces hésitations qui expliquent la rencontre, trois semaines après la tonitruante sortie de Haniyé au Caire, des dirigeants du Hamas avec Nasrallah, ferme allié, lui, de Damas dans la tourmente, et principal artisan de la neutralité « amicale » du Liban avec la Syrie. Tout chiite qu’il soit, cheikh Hassan Nasrallah jouit, on l’a dit d’un grand prestige dans tout le monde musulman, tout comme le Hezbollah, puissante force politico-religieuse, et militaire, une des rares forces à avoir fait plier l’armée israélienne.
En délicatesse avec le gouvernement syrien – bien que conservant encore un certain nombre de locaux à Damas – la direction du Hamas ne souhaite pas pour autant rompre les ponts, ni avec le Hezbollah ni avec l’Iran : Ismaël Haniyé s’est d’ailleurs rendu début février à Téhéran pour « négocier son virage » politique, voyage au résultat encore incertain.
Au fait, que se sont dit Moussa Abou Marzouk et Sayed Hassan Nasrallah ce mercredi à Beyrouth ? Eh bien, selon des sources cités par le quotidien As Safir, « les deux parties sont convenues que la crise syrienne ne serait pas résolue par les voies militaires, soulignant la nécessité d’une solution politique, conformément à l’initiative russe soutenue par la Chine et l’Iran ». Voilà qui sonne plutôt comme un recentrage du Hamas par rapport au récent discours de son Premier ministre. Concernant Sayed Nasrallah, il aurait informé la délégation du Hamas que les « autorités syriennes se sont engagées à s’ouvrir sur les différentes compositions de l’opposition nationale, si ces dernières sont prêtes à une solution politique et refusent de parier sur l’étranger », Nasrallah insistant sur « la nécessité d’élaborer un accord politique semblable à l’accord libanais de Taëf (qui a mis fin à la guerre civile libanaise) ».
Hamas et Hezbollah ont également discuté, selon As Safir, du développement des relations entre les Frères musulmans et le Hezbollah et l’Iran, « à la lumière des tentatives occidentales et arabes d’encercler les mouvements islamiques et de mettre à échec leur expérience au pouvoir« . Une telle formulation suggère là encore un rapprochement du Hamas avec ses fondamentaux géo-politiques, sinon avec Damas. Mais qui croire ? Mechaal est toujours hôte du Qatar, et Marzouk du Caire, semble-t-il.
Peut-être ce voyage libanais d’une partie de la direction du Hama s’explique-t-il par la récente évolution des rapports de force, en Syrie et dans la région : en Syrie, Bachar a pris l’ascendant sur la révolte armée, et contenu l’agitation plus politique ; il n’a perdu aucun de ses alliés arabes, russes et chinois et s’efforce avec succès de reprendre l’initiative politique vis-à-vis de son opinion. Dans le même temps, l’opposition radicale et exilée se déchire, et peine à dégager un leader, une coalition et un programme crédibles. Par ailleurs le Qatar pourrait perdre un peu de son influence sur la région, avec sa perte, d’ici la fin de ce mois, de la présidence de la Ligue arabe. Et puis le Hamas, engagé ces derniers jours dans une énième confrontation armée avec Israël, a besoin d’alliés lui aussi, des alliés plus présents que l’émir du Qatar et le roi d’Arabie Séoudite. Enfin Khaled Mechaal, chef historique du mouvement, a annoncé fin janvier sa volonté de ne pas être candidat à la direction du mouvement, déclenchant une ébullition de tendances et de personnalités. Là encore, la rencontre Hamas-Hezbollah s’inscrit sans doute dans cette ébullition.
Il est bien trop tôt et il serait imprudent de dire ce qui va sortir de tout ça : le Hamas semble en tous cas concentrer en lui toutes les contradictions et incertitudes d’une région durablement déstabilisée par les révoltes arabes, le conflit israélo-palestinien, la rivalité entre l’Iran et le Golfe, la montée du radicalisme sunnite sans oublier les manoeuvres et manipulations des Occidentaux. Puisse-t-il toutefois se rappeler que, malgré ses fautes, le régime syrien n’est pas, loin s’en faut, l’ennemi public n°1 de la cause palestinienne, et que le Qatar n’est pas le pire ennemi d’Israël.
Source : agence de réinformation sur la Syrie