Patrick LE Hyaric,
député européen
Au nom du sacro-saint principe de compétitivité avec l’Allemagne, on voit de plus en plus se développer des thèses sur la nécessité de transformer profondément nos systèmes agricoles dans une voie encore plus ultralibérale. Ceci serait motivé par le fait que l’agriculture et l’agro-alimentaire allemands surpassent notre pays. Il est vrai, qu’après nous avoir dominés avec son industrie, l’agriculture allemande est en passe de dépasser définitivement l’agriculture française. Ses exportations agricoles sont supérieures aux nôtres. Nous mangeons en France de plus en plus d’asperges, de lait, de fromages et de volailles produits Outre-Rhin. Mais ceci ne résulte d’aucune fatalité. Ceci a été voulu et organisé de longue date, dès la création du marché commun agricole. Souvenons-nous, de ce que l’on appelait, dans les années 70, des montants monétaires compensatoires européens, qui jouaient comme des subventions en faveur des pays à monnaie forte, dont l’Allemagne, avec son mark fort. Puis, les aides publiques européennes subventionnant la réunification allemande, puis des élargissements réalisés en dépit de tout bon sens et qui servent d’arrière cour aux productions allemandes et de réservoir de main d’œuvre mal payée, avec la directive dite « travailleurs détachés », qui permet aux « fermes-usines » allemandes d’employer des travailleurs de l’Est européen aux salaires et protections sociales de leur pays d’origine, contre les travailleurs allemands eux-mêmes.
Ce que l’on appelle la concurrence est en fait une « inégalité de la concurrence organisée », au détriment des petits et moyens paysans et des salariés. Notre industrie agro-alimentaire, à commencer par les abattoirs bretons, est placée dans une implacable compétition à armes si inégales qu’elle les fait chuter un à un.
Alors, les bons apôtres du libéralisme, qui n’ont que faire ni de la vie d’un paysan ou d’un salarié, ni de la biodiversité, ni de ce que nous mangeons, nous proposent leur solution : celle de la fuite en avant dans l’ultralibéralisme, le productivisme échevelé et le gigantisme. Des fermes aux mille vaches, mille veaux, mille cochons, cinquante mille poules. Il faudrait imiter l’Allemagne et la Pologne, où les troupeaux de 1000 à 3000 bêtes sont courants. Mieux, disent-ils, aux Etats-Unis, il y a des troupeaux de 40 000 animaux ! Qu’en est-il de l’emploi, de la surexploitation des hommes et de la nature, dans un tel système ? Il ne peut y avoir de projet agro-écologique, dans un tel modèle. Une contradiction existe donc entre ce modèle agricole-capitaliste-productiviste, que les autorités publiques laissent se développer au nom du principe de « compétitivité » et la loi agricole d’avenir, portée par le gouvernement. Cette voie, poussée au bout, conduira à la fabrication de viande ou de lait de synthèse et à la fuite en avant, sans contrôle, du développement des OGM, au péril de la biodiversité déjà attaquée.
Ce dont nous parlons ici est donc d’une extrême importance car il s’agit de la vie de nos territoires, mais surtout de la vie de nos sols, de nos rivières, de la santé animale, végétale et de la vie et de la santé humaine. Laisser se développer ce modèle capitaliste de production agricole créera, à terme, des effets pervers tels que nous mettrons des dizaines d’années à réparer -peut-être plus encore- s’agissant des conséquences sur la santé des êtres humains.
Mieux vaudrait sortir rapidement de ces concepts de concurrence pour avancer vers des systèmes de coopération européenne, avec l’harmonisation des mécanismes de protection sociale et des salaires vers le haut, la mise en place de prix minimums à la production agricole intra-européenne et le lancement d’un processus de discussion populaire pour une transformation de la politique agricole européenne, de telle sorte qu’elle favorise l’agriculture paysanne et la qualité de l’alimentation. Les parlements, comme le gouvernement, devraient prendre la mesure des énormes dangers en cours et réunir une conférence associant agriculteurs, médecins, écologues, consommateurs, élus locaux et nationaux, ingénieurs agronomes pour faire évaluer les conséquences des orientations en cours.
C’est l’intérêt de tous, agriculteurs et consommateurs, de changer de modèle et de système. La France a besoin de ses usines comme de ses champs, dans le cadre d’un nouveau projet de développement humain durable.