Editorial de l'Huma du mardi 12 juin 2012
Claude Cabanes
Insupportable ! La droite nous met dans le même sac que le Front national.
Le 15 mai 1987, Michel Noir, une des figures de la droite de l’époque, lançait à l’occasion du deuxième tour des élections cantonales : «Il vaut mieux perdre une élection que perdre son âme !» Il signifiait par là, sans appel, son opposition totale à quelque alliance que ce soit avec le Front national. Un quart de siècle plus tard, la formule n’a pas vieilli d’un pouce et est toujours tranchante comme une lame. Et on a le sentiment que les leaders de l’UMP, en perdant les élections, perdent aussi ce qu’il leur reste d’âme… Et entraînent le pays vers le désastre.
Écrivons clair et net. Tout de suite. Avant tout autre considération. Sans prendre de gants. Ici, dans ces colonnes, chez nous – autrement dit chez les communistes ; autour de nous – parmi nos amis politiques ; donc, nous n’allons plus supporter encore bien longtemps d’entendre sortir de la bouche de certains hommes politiques, à longueur de journée, cette « saloperie » : l’assimilation de notre combat avec celui de l’extrême droite. Ainsi, hier, Jean-François Copé, par exemple, pour justifier ses petites finasseries et les obscures approches de certaines organisations lepénistes (le «ni, ni» – ni Front national ni front républicain, qui, relève du cadeau à ces messieurs…), déclare : «Quel est le sens d’appeler à voter pour le PS, qui lui s’allie avec l’extrême gauche de Mélenchon ?» En somme, cela signifie, historiquement, mettre dans le même sac et renvoyer dos à dos le secrétaire général de la police de Vichy, René Bousquet, et le jeune communiste Guy Môquet, fusillé à Châteaubriant. Cela signifie, encore historiquement, mettre dans le même sac le fondateur du Front national, Jean-Marie Le Pen, tortionnaire avéré de militants algériens à l’aide d’un poignard des Jeunesses hitlériennes (a-t-on jamais entendu sa fille regretter cet épisode de la vie de son père ?), donc le mettre dans le même sac que le communiste Henri Alleg, soumis à la Question à Alger. Cela signifie mettre dans le même sac les idéaux de l’internationalisme avec les fureurs nationalistes, mettre dans le même sac l’attention à tous les hommes, d’où qu’ils viennent, avec la haine xénophobe, etc., etc.
On voit bien le sens de ces misérables politicailleries : Nicolas Sarkozy et la droite ont depuis longtemps eu les yeux de Chimène pour l’extrême droite, son programme de guerre civile et ses vieilles lunes rétrogrades. La stratégie de campagne de l’ancien président de la République, dite stratégie Buisson, a porté cette ligne à son paroxysme. Elle a échoué et c’est tant mieux : Nicolas Sarkozy en a payé le prix. Mais elle a fait sauter la ligne de démarcation qui tenait à l’écart le territoire néofasciste. Car, il faut appeler un chat, un chat : la soi-disant « banalisation » ou « dédiabolisation » du Front national est un leurre dangereux… Même si dorénavant affluent vers ce camp-là de jeunes messieurs diplômés en costard-cravate, des petits-bourgeois enrichis qui roulent en BMW dernier modèle, ou des rentiers joueurs de golf…
La société française subit en profondeur cette pollution idéologique. Un processus inquiétant de décomposition est à l’œuvre : il atteint aujourd’hui les rivages de la droite.