samedi 21 juin 2014
Seul et unique pays au monde dans ce cas – une exception française parfaitement contraire aux valeurs universelles de la République – l’Etat français considère que les actions de boycott concernant Israël, afin d’exiger que ce pays applique le droit international, sont passibles des rigueurs de la loi.
On notera bien : il s’agit, par ces actions pacifiques et citoyennes, d’obtenir l’application du droit international, et rien d’autre que le droit. Comme hier des citoyennes et des citoyens ont pu boycotter l’Afrique du Sud pour qu’il soit mis un terme à l’apartheid. L’apartheid tombé et devant le linceul de Mandela, tout le monde – inclus en France – s’est félicité de ces actions. Au reste, personne ne songerait à poursuivre des appels au boycott concernant la Syrie, la Chine, la Russie ou naguère le Mexique. Mais s’agissant d’Israël, plus exactement de la politique des dirigeants israéliens, il y a dérogation. Ce simple fait donne d’emblée à comprendre que ce n’est pas la loi qui est en cause mais une volonté politique qui est à l’œuvre.
La loi est bonne en effet : il s’agit – article 24 et suivants de la loi de 1881sur la presse – de condamner toute discrimination, notamment ethnique, contre une personne ou un groupe de personnes. De lutter contre tous les racismes en somme. C’est une loi qui non seulement est bonne mais qui est absolument nécessaire.
Ce qui est en cause, ce n’est donc pas la loi. C’est l’interprétation qui en a été faite par le politique – en l’occurrence par la ci-devant Garde des Sceaux, Madame Alliot-Marie – qui a envoyé, via la direction des affaires criminelles et des grâces, une circulaire aux Parquets pour leur expliquer, contre tout bon sens, que des produits boycottés ou des appels à les boycotter c’était du racisme passible des rigueurs de cette loi, dès lors qu’Israël était en cause ! Cette aberration politique aboutit à des aberrations juridiques et plonge les magistrats dans un désarroi évident. Pour l’heure, sauf dans deux cas, les procès qui ont eu lieu à partir de cette circulaire ont abouti à la relaxe des inculpés. Se pose donc un problème sérieux : cette circulaire aboutit à ce que la Justice ne soit pas égale pour tous et que la loi ne soit pas prévisible dans ses effets. C’est instaurer en matière judiciaire le Loto… ou la roulette russe. Et c’est le résultat d’une circulaire politique et uniquement politique. J’entends de « savantes » personnes expliquer gravement – sans y croire un instant, bien entendu, tellement c’est ridicule et contraire au fonctionnement de la Justice – que cette circulaire ne donnant pas des résultats équivalents sur tout le territoire, il ne faudrait pas l’abroger mais attendre simplement qu’elle meure de sa propre mort.
On notera le courage de ces « savantes » personnes ! Mais aussi leur incroyable désinvolture. Ou bien une circulaire est juste, et alors on la maintient, ou bien elle est infondée, et alors on l’abroge. Comment dire et rendre la Justice autrement ? Comment les citoyens peuvent-ils s’y retrouver ? Et les magistrats ? Et les juges ?
Il y a trop de technocrates que le courage effraie, qui croient intelligent d’essayer d’éviter un obstacle et qui finissent étonnés que leur bateau se soit échoué. Car on ne peut esquiver les obstacles ou les problèmes. On les affronte. Remarquez : ils ne risquent rien, eux. Ils conseillent – retenez le mot « conseil » – les ministres. Et si un ou une ministre trinque du fait de leur inconsistance, peu leur importe ! Leur carrière se déroulera sans problème majeur. « Les ministres passent, les fonctionnaires restent » – vieux théorème de la haute fonction publique. Tout cela prêterait à rire si ce n’était très grave car il en va du fonctionnement de la Justice, de notre République et de la République elle-même. En effet, il y a une distinction fondamentale entre une ou des personnes et un ou des produits. Bien évidemment. Nul besoin de sortir de l’ENA, de l’école nationale de la magistrature ou de Polytechnique pour comprendre cela. Boycotter des produits – on peut être pour ou contre – relève de la liberté d’expression que personne ne peut fouler aux pieds dans notre République et en Europe. Personne. Pas même un « conseiller » de ministre. Depuis plus de deux ans le gouvernement d’une autre majorité est en place. Malgré nos appels appuyés et soutenus il n’a toujours pas abrogé la circulaire Alliot-Marie.
Il est temps – plus que grand temps – que cela soit entendu là où c’est nécessaire : ça suffit les tergiversations ! Au politique de décider de la politique pénale et de son application ! Abrogation pure et simple de la circulaire Alliot-Marie ! Liberté d’expression ! Justice égale pour tous !
Jean-Claude Lefort Député honoraire