Introduction à la discussion Michel Stefani lors du Conseil départemental PCF du 12 avril dernier
Au sortir de ces élections municipales il se dégage de l’analyse de la campagne électorale et des résultats une situation politique nouvelle et plusieurs enseignements à tirer. Sans pour autant être exhaustif à cet instant, il s’agit de jeter les bases d’une orientation politique les prenant en compte pour parvenir à reconstruire une perspective à gauche. Avant d’y arriver je voudrais souligner la qualité de l’engagement des camarades dans cette bataille difficile. Elle le fut plus que nous l’imaginions, de partout, mais particulièrement à Bastia où nos candidats, notre tête de liste Francis Riolacci, les militants de la section ont mené une campagne courageuse, conforme aux principes politiques aux valeurs de gauche et républicaines. Cette campagne, nous l’avions mesuré avec les incursions d’éminents dirigeants de la majorité régionale, a été d’autant plus rude que les véritables enjeux de l’élection municipale étaient détournés. Il s’agissait d’une part, de faire prévaloir, à travers une personnalisation excessive, une critique caricaturale de l’action de la municipalité sortante, et d’autre part, de centrer le débat à travers une stratégie régionale de recomposition politique autour de la réforme institutionnelle.
Ce sont les lignes forces qui ont structuré la campagne électorale de Bastia, abondamment relayée par la presse régionale, dans certains cas ouvertement engagés au mépris de la déontologie. Il y avait d’un côté, les « corsoprogressites » dans le sens de l’histoire et de l’autre côté, les tenants de l’immobilisme, à fortiori stigmatisés par la dénonciation de l’accord PRG PC datant de 1968. Le « tout sauf Zucarrelli » a prospéré la dessus. Il est toujours intéressant de rechercher nos erreurs, il y en a eu, mais comme souvent on les voit mieux après coup. C’est vrai sans doute de l’impossibilité à obtenir suffisamment tôt une rencontre des trois partis de gauche. C’est également vrai de certaines faiblesses qui, sans parler de rejet, ont permis de travailler l’opinion sur ce mot d’ordre comme la transmission du pouvoir de père en fils...
Il reste que sans une alliance contre nature, l’assemblage composite du second tour n’aurait certainement pas réussi à renverser « la citadelle bastiaise » et surtout l’ancrage à gauche imposé par la présence des élus communistes et d’un parti communiste faisant obstacle aux manœuvres de recomposition politique liées a la réforme institutionnelle. Contrairement à ce qui a été dit, l’imposture politique qui a connu son épilogue avec l’élection de François Tatti par 36 voix à la présidence de la CAB, n’est pas du courage politique mais de l’opportunisme politicien, chargé par les ambitions personnelles, prétendument plus vertueuses que les logiques d’appareils. Dans les faits, la pseudo modernité cache une conception de la politique éculée, fondée sur le non respect des engagements pris devant les électeurs avant le premier tour par les uns et les autres. Gilles Simeoni dénonçait l’ostracisme envers les nationalistes mais il le pratique avec ses alliés naturels de Corsica libera. François Tatti et Emmanuelle Degentile juraient de ne pas l’installer dans le fauteuil de maire, en quelques heures, ils auront oublié. Jean Louis Milani a dit pis que pendre du gouvernement et de François Hollande, il composera désormais avec.
9431 électrices et électeurs ont cependant validé leur démarche. C’est au total 181 voix de moins que le total des voix des 3 listes Simeoni Tatti Milani au premier tour. Toutefois, la liste de gauche de la municipalité sortante progresse de 2082 voix et 12 % avec une participation légèrement supérieure mais un nombre d’exprimés supérieur d’à peine 69 voix par rapport au premier tour. On peut valablement considérer que sans les alliances contre nature, la gauche l’aurait emporté. Le désistement de Jean François Bacarrelli (397 voix au premier tour) en faveur de la liste de Jean Zuccarelli, laisse penser qu’il y a eu un mouvement d’électeurs assez important à l’intérieur de l’électorat de gauche du premier tour provenant de la liste Tatti Degentili.
Alors qu’elle est traversée par des contradictions fortes relatives à la défaite voulue de Jean Zuccarelli par Jean Charles Orsucci, Pierre Chaubon, Emmanuelle Degentili et François Tatti, la majorité régionale ne peut pas ne pas s’interroger sur la lisibilité de sa politique et la place de la droite désormais en position de reconquête de la région avec le concours si besoin de la mouvance nationaliste en tout ou partie. La recomposition politique, validée par les 3 parlementaires UMP s’agissant de Bastia, tend à le démontrer. La mouvance nationaliste modérée est ainsi très courtisée et l’élection de François Tatti à la présidence de la CAB ne s’en départie pas non plus. Sa candidature, présentée non par les élus communautaires de Bastia mais par les quatre maires des autres communes, est significative du sens politique des choses et de l’ultime abandon, pour ne pas dire du coup de grâce, de ceux-là mêmes qui, hier encore, faisaient antichambre. Difficile de ne pas y voir non plus l’accord de Paul de Giacobbi et une contremesure à l’ambition de la droite de reconquête du pouvoir régional voire départemental en Haute Corse.
Belle modernité politique, elle est ici dans ses habits d’or et la moralité politique en berne. La méthode nouvelle est ainsi faite de peu d’élégance et de trahison recyclée. Dans ce voyage peu glorieux, les trois communes de gauche, San Martino, Santa Maria et Furiani ont été ralliées par celle de droite, Ville de Pietrabugno. Les prochaines échéances régionales et cantonales sont déjà là. Bastia est bien devenu le tremplin d’une « gauche moderne » en mal d’exercice du pouvoir régional et à la remorque de Gilles Siméoni. La chute de « la citadelle bastiaise » n’annonce pas, dans ce cadre, « une ère nouvelle » mais plutôt l’acceptation de l’austérité, abritée par des pratiques archaïques, mollement contestatrices du libéralisme. Or, cette question reste fondamentale et indissociable de la question sociale qui implique de reconstruire la gauche pour faire une politique de gauche. En ce sens il ne s’agit pas de génération mais de contenu politique. Nous pourrions ainsi rédiger un manifeste appelant à la révolte civique et sociale des femmes et des hommes de gauche à Bastia et au-delà de celles et ceux qui refusent cette conception de la politique, ce partage honteux du pouvoir, habillé de modernité pour masquer une similitude clanique, renvoyant à un passé prétendument révolu et à un présent baignant dans l’approbation de l’austérité prônée par Manuel Valls.
Dans ce contexte, la chronique de notre mort annoncée a repris de plus belle en Corse et au plan national. Sans entrer dans des comptes d’apothicaires, le nombre de villes majoritairement communistes reste à un niveau qui n’est pas celui d’un parti au bord de l’abîme comme cela fut relater à longueur de colonnes et d’émissions de télé ou de radio. Après avoir assuré la promotion du FN pendant toute la campagne électorale, les mêmes ont fait mine de s’inquiéter des résultats de l’extrême droite quand en définitive 14 villes, et c’est assurément 14 de trop, seront dirigées par des lepenistes. Incontestablement il y a deux poids deux mesures et cela laisse perplexe quant à l’instrumentalisation de ce courant idéologique antirépublicain. Là-dessus s’est greffée une forte abstention, inédite pour ce scrutin, une mobilisation forte de la droite et à l’arrivée un gain massif de villes pour l’UMP largement et l’UDI dans une moindre mesure.
Je parle ici des résultats dans l’hexagone sachant qu’en Corse la participation a été la plus élevée de France métropolitaine sans perdre de vue qu’à la présidentielle Lepen et Sarkozy ont fait respectivement 24 et 31 %. Dans le contexte de rejet de la politique de Francois Hollande cela a eu un impact localement mais il est difficile à quantifier notamment sur Bastia et Ajaccio où le second tour recentré sur la seule question de la majorité municipale nuance l’analyse.
La gauche dans son ensemble a souffert et singulièrement le PS. Si le message des urnes exprime une défiance lourde de la politique de François Hollande il est aussi la manifestation d’une société déstabilisée en perte de repères dans une crise économique et sociale destructrice des fondements démocratiques. Comment pourrait-il en être autrement quand le gouvernement reste sourd aux aspirations populaires, indifférent à la souffrance sociale, et durablement marqué par un renoncement cynique aux engagements pour lesquels François hollande a été élu à la place de Sarkozy. L’intervention de Gattaz, le patron des patrons, l’exhortant à poursuivre dans la voie de l’austérité quelques heures après le dernier bulletin dépouillé, est significative de la dérive du système de plus en plus contrôlé par le grand patronat et sa structure financière. L’inversion du calendrier électoral en 2001 par Lionel Jospin montre désormais des limites désastreuses d’une démocratie représentative en turnover où le sacrifice d’un président de la République tous les cinq ans permet de changer en apparence les choses pour continuer une politique sinon identique proche en de nombreux points essentiels.
La nomination de Manuel Valls dans la précipitation est le signe d’une grande fébrilité et d’une non moins grande incapacité auditive face au mécontentement et à la colère des femmes et des hommes qui souffrent dans les quartiers populaires, sont déçus des abandons de François Hollande auquel ils ont fait confiance pour connaître une amélioration de leur vie. Dans son discours d’intronisation le nouveau premier ministre a présenté la feuille de route de ce « gouvernement de combat ». La décentralisation revisitée n’en est plus une, la casse des solidarités est planifiée, la baisse du coût du travail est encouragée par la suppression des cotisations patronales sur le SMIC, les collectivités locales, communes et départements perdront la clause de compétence générale, devront faire plus avec moins de moyens financiers et humains et préparer leur sabordage. En définitive, quel que soit le pacte de solidarité flanqué au pacte de responsabilité, il n’y aurait qu’une seule politique possible, la même que celle de la droite avant 2012 avec un même objectif, se plier aux logiques ultralibérales de l’Union européenne. Pour équilibrer les 15 milliards d’euros supplémentaires de cadeaux au patronat le « pacte de solidarité » mobiliserait 5 milliards en faveur des salariés. Ce tour de passe-passe exonérera le patronat et les salariés financeront l’augmentation de leur salaire net en voyant diminuer leur salaire indirect. En ce sens c’est une attaque centrale contre tout ce qui fonde la protection sociale en France depuis 1945.
L’alternance aurait du bon, c’est vrai, mais toujours pour les mêmes, ceux dont les comptes en banques bien fournis peuvent traverser les mauvaises périodes sans encombre. Pour ceux-là, l’austérité est un mal nécessaire qui garantit la bonne santé du capital, la bonne tenue des marchés financiers et peu importe si elle se nourrit de la réduction de la dépense publique au détriment des services publics, de la solidarité, de l’emploi, du logement, de la santé, du lien social... Ces élections sont donc le reflet de tout ça et la victoire par défaut de ceux qui affirment des objectifs politiques ultralibéraux contre la nécessité, défendue notamment par les communistes, de promouvoir une société juste et solidaire où la devise, liberté égalité et fraternité ne serait pas galvaudée afin que chacun puisse y trouver sa place et s’y épanouir.
Dans ce contexte le PCF a été pour partie affecté par la débâcle électorale du PS. Cependant, il résiste bien malgré des résultats contrastés selon les départements, par exemple dans les Hauts de Seine, la Seine Maritime, l’Essonne, la Meurthe et Moselle où il ne perd aucune ville. Pour la première fois depuis 1995 il gagne des villes de plus 80 000 habitants avec Aubervilliers et Montreuil en Ile de France et garde Vierzon dans le Cher. Sans échapper totalement à la poussée de la droite, le parti communiste a donc montré une bonne tenue, contraire à l’annonce de son extinction. Précédemment, 184 villes de plus de 3500 habitants étaient gérées par un maire communiste. 46 ont été perdues, 138 gardées et 11 gagnées, cela en fait la troisième force politique en termes de réseau d'élus dans le pays. Il sera certes moins dense non seulement dans les villes à majorité communiste perdues, mais aussi dans les villes qui basculent de gauche à droite où les élus communistes exerçaient des responsabilités dans l'exécutif. Voilà des points d'appui politiques en diminution pour faire face à l’urgence sociale et aux attentes populaires. Le PS perd 177 villes de plus de 3 500 habitants dont 60 de plus de 30 000 au profit de la droite et beaucoup de communautés d'agglomération vont basculer à droite. Le Front national, même s'il n'a pas obtenu tout ce qu'il voulait, l'emporte dans 14 villes. Tout cela aura des répercussions graves pour les populations, en matière de restrictions budgétaires, de logiques d'austérité, d'attaques contre les services publics.
La question qui se pose, c'est celle d'un changement de politique. L'austérité mène l'ensemble de la gauche dans un abîme. Une autre politique est nécessaire mais la réponse de François Hollande après ce 30 mars désastreux, c’est plus de libéralisme, en passant outre la demande d’une grande majorité des électeurs. Il ne se trompe pas, c’est un choix délibéré. Le débat politique à venir, sera inévitablement marqué par les questions de salaires et du pouvoir d'achat, de justice fiscale et sociale, de services publics, de réorientation des politiques européennes. Les élections européennes du 25 mai se distinguent ainsi à plus d'un titre des précédentes. Au cœur d'une crise aggravée aux plans économique, social et politique, la construction européenne ultralibérale est à présent massivement rejetée et sa légitimité contestée. Le mouvement social peut être l'invité surprise de ces échéances. L’euro-manifestation organisée avec succès le 4 avril par la Confédération européenne des syndicats (CES) permet de le penser. Il s’agissait ce jour de demander un plan d'investissements européens, des emplois stables et l'égalité. Le 2 mars à Lisbonne, le 22 mars à Madrid, des centaines de milliers de femmes et d'hommes ont manifesté contre les politiques d'austérité et l'autoritarisme qui l'accompagne. Depuis 2010, les mobilisations se sont multipliées en Espagne et au Portugal, en Grèce, en Italie, en Roumanie, et même en Grande- Bretagne ou en Allemagne. Toutes convergent et exigent un véritable changement de cap, un fort rejet de l'austérité, du dumping social, des attaques contre les droits des travailleurs et la protection sociale. Il ne peut y avoir d’Union européenne durable, dans sa conception actuelle donnant priorité au marché et à la concurrence débridée, au mépris des besoins élémentaires et des conditions de vie de la plus grande partie de la population. Comment les 85 personnes les plus riches du monde peuvent elles accumuler une richesse équivalente aux revenus dont disposent 3,5 milliards des personnes les plus pauvres ! Il y a donc une réelle volonté de ne pas partager la richesse créée, ce qui conduit à un profond rejet, non de l’Europe au sens de la coopération et de l’harmonie entre les peuples, ce qu’elle devrait être, mais de celle de la finance insolente, des injustices sociales et de la guerre.
En France ce rejet était au cœur de la défaite de Nicolas Sarkozy mais son successeur a décidé de poursuivre sur la même voix au détriment de ses électeurs de gauche. L'appel de plus de deux cents personnalités, responsables syndicaux, associatifs et politiques pour la marche du 12 avril à Paris contre l'austérité, pour l'égalité et le partage des richesses invite à l'action et au rassemblement pour reconstruire cet espoir trahi. Une majorité existe dans notre pays pour imposer une politique de gauche. Elle doit reprendre le dessus, se faire entendre. Elle peut mettre en échec le pacte de « responsabilité » dicté par le MEDEF. Les dizaines de milliers de marcheurs qui envahiront Paris créeront l'événement et pour le coup lanceront la campagne électorale des européennes jusque là occultée par les municipales. La débâcle du PS, lors de ce scrutin, moins de deux ans après les élections présidentielle et législative, démontre que la politique menée par le Président et son Premier ministre, non seulement tourne le dos aux attentes de la majorité qui l'a porté au pouvoir, mais aussi provoque le découragement dans l’électorat de gauche. Cela laisse présager une très forte abstention aux élections européennes, alors que nous sommes de plus en plus régis par la réglementation européenne et que se discute le marché transatlantique. En même temps, la diversion classique, faisant la part belle à l’extrême droite, déjà surmédiatisée, préservera sociaux-démocrates, libéraux et conservateurs de la sanction qu’ils méritent.
L'engagement populaire dans le débat politique et la lutte seront déterminants pour faire entendre la voix des travailleurs et des peuples en faveur d’une Europe de solidarité et de co-développement plutôt que de concurrence et de compétitivité. Les semaines à venir seront décisives pour redonner confiance et espoir au mouvement populaire, social et citoyen dans sa capacité à infléchir une construction européenne ultralibérale et va t’en guerre. A nous de démontrer que ces élections sont une étape importante si l’on veut changer le cours des choses et exiger le progrès social, l'emploi, la démocratie et la paix pour tous. Dans un paysage politique sinistré pour les forces de progrès et un contexte des plus inquiétants pour l’avenir des peuples européens, la candidature à la présidence de la Commission européenne d'Alexis Tsipras, portée par le Parti de la gauche européenne (PGE), offre une nouvelle vision de l'Europe et permet d'inscrire dans chaque pays les campagnes nationales dans une dynamique européenne inédite. Luttes sociales et politiques doivent converger dans cette campagne où le peuple pourra reprendre la main.