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Dix questions à Paul Antoine LUCIANI par Jacques RENUCCI de la CORSE votre Hebdo - vendredi 18 avril 2014

1-Quel est votre état d’esprit après votre défaite ?

Une défaite ne laisse jamais indifférent ! Mais, après plus de trente ans de vie municipale, d’abord comme élu d’opposition (1983-2000), puis premier adjoint au maire (2001-2014), je ne vais pas me laisser gagner par le désespoir ! C’est un revers sérieux, ce n’est pas une déroute ; d’autant qu’il y a suspicion de fraude, et que cette défaite est aussi la manifestation locale de la vague bleue qui a déferlé sur tout le pays. La météo politique prévoit, depuis quelques mois, un tsunami bleu marine pour le 25 mai prochain : s’il se produit, la Corse n’y échappera pas… Mais le pire n’est jamais sûr, et mes convictions m’ont toujours porté vers la résistance et la contre-offensive. Un électeur sur deux s’est prononcé en notre faveur : cette force est intacte. L’histoire continue, le combat aussi ! En Corse comme ailleurs.

2-On vous crédite d’un bon bilan municipal ; les électeurs ne semblent pas l’avoir apprécié. Que répondez-vous ?

Que les ressorts de ce vote sont plus complexes que la simple approbation d’un bilan éloquent. Il faut plutôt les analyser comme un ensemble composite d’éléments très différents. La division au sein de la gauche, les attaques permanentes contre la personnalité du maire (le « Simon bashing » a commencé bien avant la campagne électorale), la résurgence du vieil anticommunisme rappelant la période de la guerre froide, les critiques injustes et malhonnêtes de l’UMP contre les réalisations municipales (« bilan catastrophique », « le mal fait à Ajaccio » , le Palatinu inutile parce que non réalisé par la CAPA…), autant de moyens utilisés pour discréditer notre action, faire disparaître notre projet, et justifier l’objectif de Jean-François Copé : « reprendre Ajaccio » quelle que soit la méthode, et sans avoir à présenter un projet crédible. Notre liste portait, elle, un projet urbain de qualité ; elle n’a pas pu, ou pas su, le valoriser suffisamment dans l’atmosphère démagogique de cette campagne ; et dans le contexte de sanction nationale contre la politique gouvernementale ; une politique imputée indistinctement aux représentants locaux de la gauche…

3-Comment analysez-vous vos résultats ?

Avec 36,53 % au premier tour, et bien que nous soyons en tête avec 337 voix d’avance, notre liste perd plus de six points par rapport à 2008. (42,93 %), mais la droite avait alors présenté trois listes ! Au second tour de 2008, nous gagnons plus de treize points (66, 37 %) et trente-huit sièges sur 45. En 2014, nous gagnons près de dix points au second tour (46,03) ; mais la droite unie (35,11 % au premier tour) en gagne 12 (47,11 %) et 37 sièges sur 49. L’écart est faible (281 voix et 1,08 %!). Mais, malgré l’élargissement de notre liste, ces chiffres montrent que nous avons perdu de la force et de l’influence… dans notre propre camp .L’analyse du second tour révèle, en outre, qu’il y a 3513 électeurs qui n’ont voté qu’au second tour, alors que 1083 personnes n’ont voté qu’au premier tour. Compte tenu des positions exprimées par différents têtes de liste, on peut dire que notre progression au second tour est due principalement à la mobilisation des abstentionnistes ; tandis que la progression de la droite est principalement due à des reports de voix. Première conclusion (provisoire) : la gauche doit savoir s’adresser mieux à son électorat, c’est lui qui reste à la maison quand il n’est pas content…

4-Et ceux des autres listes ?

Ils sont, en gros, conformes aux prévisions (mais non conformes aux sondages !). Ceux de la liste Filippi sont exactement identiques à ceux de la liste Quastana de 2001 ! La bipolarisation droite-gauche, souvent très forte aux municipales dans les villes, a rarement permis aux listes nationalistes de retrouver les niveaux atteints aux territoriales. L’UMP, unie, progresse grâce à une mobilisation plus forte de son électorat ; et, surtout, à cause d’un affaiblissement de la « gauche de gouvernement », cette gauche incertaine, sensible aux pressions du patronat, et incapable, austérité oblige, d’apporter des solutions aux grands problèmes sociaux (emploi, pouvoir d’achat, logement…). La liste conduite par Anne-Marie Luciani, autoproclamée « seule liste de gauche » a réuni près d’un millier de voix au premier tour. Mais, au second tour, son refus d’appeler à barrer la route à la droite aura contribué à lui ouvrir le chemin de la mairie…

5-Quelle était la position de votre parti au moment de la constitution des listes ?

La majorité sortante disposait d’un bon bilan et d’un projet urbain de qualité. L’enjeu étant essentiellement local, les militants ont choisi, par un vote largement majoritaire, une liste de rassemblement dès le premier tour. Et nous avons obtenu une représentation plus équitable pour le parti communiste et le front de gauche. Autant d’éléments rendus publics en novembre dernier. Cette position a donné lieu à une critique publique contre notre parti de la part de quelques anciens militants socialistes et communistes qui ont refusé d’appeler à voter au premier tour pour la liste d’union au motif qu’il fallait sanctionner François Hollande ! A la différence de la «seule liste de gauche », ils se sont ravisés au second tour ; mais la modeste représentativité des premiers ne leur permettait pas de compenser la défection de la seconde. Le choix initial de notre parti était le bon, mais les dégâts politiques causés par d’autres, à gauche, dès le premier tour sont devenus des obstacles au second ! Et l’UMP a gagné avec 281 voix d’avance…

6-Pourquoi la fusion avec la liste nationaliste n’a-t-elle pas été possible ?

Parce que la majorité de ses représentants n’en voulait pas ! Trois moyens ont été utilisés pour faire porter à Simon Renucci la responsabilité d’un échec que, visiblement, certains dirigeants souhaitaient sans l’avouer. D’abord, l’argument politique (en substance, « notre programme et nos options ne sont pas compatibles ») ; la perspective d’une triangulaire avait été d’ailleurs largement évoquée. Ensuite la question des « places » : refus de la première proposition de quatre places éligibles ; et surenchère face à la deuxième proposition (sept places éligibles, deux adjoints et un vice-président de la CAPA) : on demande alors à Simon Renucci dix places, quatre adjoints, et un vice-président ! Impossibilité, mardi à 14 h, de conclure sur une telle base. Troisième étape, et troisième moyen, on joue la montre : à 17h 10, quand il est devenu impossible de constituer une liste crédible avant 18 h, on ne demande plus « que » huit conseillers, dont trois adjoints et un vice-président ! On dira plus tard qu’on a manqué de temps. C’est surtout la volonté d’aboutir qui a manqué. Et la sanction est tombée : un seul élu pour une liste qui en voulait dix…

7-La situation ajaccienne est-elle comparable à celle des deux autres villes corses où les nationalistes avaient des chances de victoire ?

Il y a un point commun : la victoire de l’UMP partout ! Mais il y a aussi des différences : sans le concours de l’appareil UMP, y compris à l’échelle nationale, Gilles Simeoni aurait eu plus de mal à s’emparer de Bastia. Il gagne grâce à la convergence improbable entre une fraction de la gauche, une fraction de la droite qui avait déjà délégué quelques éclaireurs sur la liste nationaliste, et son propre mouvement. Cette configuration, nouvelle dans une ville corse, a été présentée comme une victoire nationaliste. Elle devrait plutôt s’analyser comme l’émergence d’un centrisme « spécifique », associant a testa mora et l’écharpe tricolore, dans le contexte particulier de Bastia où la droite avait besoin d’alliés. A Ajaccio et Porto Vecchio, elle était unie et pouvait s’en tirer toute seule.

8-La « vague bleue » corse vous paraît-elle spécifique ?

Pas vraiment. Elle revêt des formes particulières selon les contextes locaux, mais elle ne prend sa signification et sa portée en Corse que par les mouvements électoraux constatés à l’échelle nationale. Y compris à Bastia : la personnalité de Gilles Simeoni , sa capacité à nouer des alliances inattendues, et même à se séparer d’une partie du mouvement nationaliste, ont frappé l’opinion ; mais son dispositif électoral avait été validé par Jean-François Copé.

9-Le parti communiste perd le premier adjoint d’Ajaccio et celui de Bastia ; il échoue à reprendre Sartène. Assiste-t-on à la disparition du parti communiste en Corse ?

Certainement pas. Nous avons subi, avec toute la gauche, un revers important, il serait ridicule de le nier. Je ferai deux observations : 1) Nous ne sommes pas seuls à céder du terrain ; toutes les forces de gauche reculent, toute la Corse est devenue bleue. Nos résultats s’inscrivent dans ce contexte. On remarquera cependant que, nationalement, le Parti communiste et le Front de gauche résistent un peu mieux que d’autres à la vague réactionnaire. 2) Dans les trois cas que vous évoquez, même si nous ne sommes plus en situation de responsabilité, nous sommes toujours là, élus et disponibles, au service des plus faibles. Nous n’avons jamais eu de souci de carrière, mais la volonté de servir le peuple et de défendre la Corse. La libération humaine restera notre horizon, quels que soient les aléas de la vie politique. Prochain objectif : la refondation de l’Europe, telle que la proposent notre parti et les différentes composantes du front de gauche dans un texte important qui va servir de référence pour les élections européennes.

10-Quid des prochaines échéances ?

Commençons par tirer toutes les leçons de ces municipales ; et préparons les européennes avec une conscience vive de leurs enjeux. Les sénatoriales et les territoriales viendront plus tard. Nous sommes entrés dans une période nouvelle : les rapports de force se sont durcis et les options très libérales du gouvernement socialiste désespèrent le peuple de gauche. Dans cette situation, le Parti communiste et le Front de gauche ont une grande responsabilité : rassembler toutes les victimes de la politique d’austérité, organiser leurs combats pour arracher une rupture avec cette politique, et pour créer les onze millions d’emplois exigés par les syndicats européens : la mobilisation autour de ces options alternatives est la seule politique susceptible de faire barrage aux dérives nationalistes qui menacent l’Europe d’aujourd’hui.

logo_hebdo.jpgEntretien avec Paul Antoine Luciani, réalisé par Jacques Renucci