Viol en Tunisie : "La honte doit changer de camp"
mercredi 2 avril 2014, par La Rédaction
Sept ans de prison et beaucoup de questions. Le jugement en première instance du procès des policiers accusés d’avoir violé Meriem Ben Mohamed en septembre 2012 est tombé tard dans la soirée lundi après une longue journée d’audience. Au-delà de la légèreté des condamnations pour les parties civiles, le déroulement du procès et son issue soulèvent d’autres controverses. Ainsi Slah Oueriemmi, avocat de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, s’est-il insurgé : "Ce n’était pas une affaire ordinaire. Le crime a été commis par des policiers, il fallait être exemplaire. Cette condamnation est atténuée et n’a pas le sens qu’elle devrait." Selon beaucoup d’avocats, les affaires similaires impliquant des "civils" valent aux accusés des peines de dix à quinze ans en moyenne.
Slah Oueriemmi regrette aussi la décision de traiter l’affaire à huis clos à la demande de la défense, et en vertu d’une loi qui protège les forces de l’ordre : "L’implication de policiers qui ont abusé de leur autorité, violé une femme dans leur véhicule de service, lors de leurs heures de travail, tout cela pose des questions qui doivent être débattues en public. Les victimes n’ont pas à se cacher : on veut encourager les femmes à parler."
La victime accusée
Mais, sur ces sujets, la parole des femmes est encore rare, mal assurée. C’est ce que confirme Moufida Missaoui, de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), qui dirige un centre d’écoute dédié aux femmes victimes de violences. Il en existe aujourd’hui quatre en Tunisie : dans la capitale depuis 1993 et depuis la révolution de 2011 à Kairouan, Sfax et Sousse : "Il y a eu une certaine bouffée de liberté et l’on devait faire face à beaucoup de demandes." Selon elle, la médiatisation d’un tel procès peut encourager les victimes à témoigner : "Les tabous sont nombreux, même en dehors des affaires de viol, les femmes ont du mal à raconter les cas de harcèlement ou tout simplement les problèmes sexuels qu’elles peuvent avoir avec leur mari."
Alors, à propos de la condamnation de Meriem, la militante déplore "la façon dont l’affaire et le procès se sont déroulés. Meriem a subi des attaques, des intimidations avant sa plainte et pendant les audiences. Les policiers l’ont accusée de leur avoir fait des avances". Choquant, aussi, les sous-entendus de l’un des avocats des accusés : dans sa plaidoirie, il met en avant l’expertise médicale établissant que Meriem n’était plus vierge. "Sa vie privée n’a rien à voir avec les faits", s’indigne-t-elle.Un soupçon de principe qui a empoisonné l’affaire dès le début : lorsqu’elle dépose une plainte, Meriem est d’abord poursuivie pour "atteinte aux bonnes moeurs". Célibataire, que faisait-elle seule dans une voiture la nuit avec un homme ? Devant le tollé suscité par cette décision, en Tunisie comme à l’étranger, l’instruction est finalement close.
Des progrès
La condamnation des deux auteurs a fini par établir leur culpabilité. Une autre militante, qui préfère qu’on ne cite que son nom d’activiste, Athéna Pallas, se dit choquée par la peine : "Jabeur a été condamné à sept ans de prison pour avoir publié des dessins." Ce jeune homme avait diffusé via Facebook des caricatures du prophète. Il a été gracié en février dernier. Pourtant, elle reconnaît un "acquis" : "Meriem est désormais reconnue comme une victime, on ne peut plus lui enlever cela." La marque d’un progrès, quoi qu’en dise la jeune femme, forcément déçue.
La Constitution tunisienne adoptée en janvier dernier a été célébrée comme faisant la part belle au droit des femmes. L’article 46 dispose que l’État "protège les droits acquis de la femme et oeuvre à les renforcer et à les développer". Dans le dernier alinéa, on peut lire : "L’État prend les mesures nécessaires pour éliminer la violence contre la femme." Mais, pour beaucoup de défenseurs des droits des femmes qui ont salué cette avancée, il s’agit maintenant d’aller plus loin. D’abord en abrogeant des lois qui sont en contradiction directe avec la Constitution.
Comme cet article du Code pénal (227 bis) qui traite de "l’acte sexuel sans violence" commis sur des mineures de 15 ans (six ans d’emprisonnement) ou de 18 ans (cinq ans). En cas de mariage avec la victime, les poursuites sont abandonnées ou les effets de la condamnation suspendus. Les cas sont rares, à en croire les avocats, mais le texte est toujours en vigueur.
"La honte doit changer de camp"
C’est pour mettre les lois en conformité avec la Constitution et développer une véritable politique de prévention contre les violences faites aux femmes que l’Association tunisienne de femmes démocrates entame avec d’autres associations l’élaboration d’une "loi-cadre". "La société civile doit se saisir du sujet, estime Hayet Jazzar, une avocate et militante de l’ATFD, qui a suivi le dossier Meriem. Beaucoup de femmes que j’encourage à entamer des poursuites en cas de viol refusent de le faire. Elles pensent qu’elles vont le payer cher dans leur famille. La honte doit changer de camp."
Une révolution des mentalités qui doit aussi toucher les institutions : hôpitaux, police, justice. "Il n’existe pas de services spécialisés, il faut former la police, des médecins à traiter ce genre de victimes, s’émeut Souad, psychologue au centre d’écoute des femmes. Il y a encore trop d’acquittements, trop de poids qui pèse sur les victimes. Comme cette femme de 40 ans, violée par deux hommes entrés par effraction dans son logement d’une pièce où elle vivait seule. Le juge a rejeté sa plainte en lui disant : "Si tu n’es pas une prostituée, que faisais-tu seule dans cette chambre ?"
(02-04-2014 - Par Stéphanie Wenger )
source "Assawra"