Que dire de plus ? Des « Mémoires », ces temps-ci, sont de juste circonstance et si utiles qu’ils sont réclamés par tous ceux qui, à tort ou à raison, bien ou mal intentionnés, veulent savoir, entre autres faits historiques, ce qui s’est passé « exactement » dans la Zone Autonome d’Alger (ZAA), structure de l’ALN-FLN, créée le 20 août 1956 et organisée en trois régions, pendant la Lutte de Libération Nationale.
Certes, il y a eu des publications importantes (dont le célèbre ouvrage « La Bataille d’Alger » de Yacef Saadi) sur les activités glorieuses de nos combattants révolutionnaires chouhadâ ou vivants dans Alger, la capitale, pour la même période. Pour autant, il reste à connaître toujours davantage en exploitant les archives, souvent hélas, inaccessibles, et en lisant les écrits historiques rédigés par une personnalité qui se donne pour objet le récit de sa propre vie.
C’est tout à fait le cas attendu et proposé par Zohra Drif qui a récemment publié un fort volume sous le titre Mémoires d’une combattante de l’ALN, Zone Autonome d’Alger [1].
Par « Mémoires », on comprend généralement une relation écrite d’un personnage particulier sur des événements exceptionnels qui ont jalonné sa vie et qui a gardé la mémoire de ces événements. C’est une sorte de restitution d’informations emmagasinées durant une vie entière ou seulement d’une partie d’une vie au passé. Cependant, ce n’est pas une autobiographie que l’on rédige pour se raconter et se faire connaître dans une intention très spéciale.
« Mémoires » est un vocable qui désigne un genre littéraire par lequel l’auteur rapporte des faits passés qu’il les ait vécus comme acteur ou comme témoin.
On comprend donc bien pourquoi Mme Zohra Drif avise, à raison, que ce livre n’est ni « une œuvre d’historienne » ni « une autobiographie ». Elle affirme détester les ´´auto-écritures´´ aussi. Est-ce alors coquetterie de dame algérienne cultivée ou modestie absolue d’une héroïne parmi nos héroïnes de la lutte de libération nationale ? Peu importe, ici les mots s’attachent à exprimer en toute humilité la brillance des faits que nous découvrons au fur et à mesure que l’on avance dans la lecture du récit que nous confie cette libre combattante de l’ALN dans la Zone Autonome d’Alger, depuis les premiers contacts avec le FLN à Skikda, en août 1955, à son arrestation le 25 septembre 1957...
Née à Tiaret en 1934, Zohra Drif est étudiante à la faculté de droit d’Alger quand elle intègre la Zone Autonome d’Alger et décide de faire le sacrifice de sa vie à la patrie. Actuellement, dans l’Algérie indépendante, elle est avocate (retraitée) et sénatrice ; elle a été vice-présidente du Conseil de la nation.
Elle dédie son livre à « toutes les soeurs chouhadâte », à « tous les frères chouhadâ », à son « défunt époux, le Moudjahid Rabah Bitat », à sa famille et à la jeunesse. Elle offre un portrait d’une rare vérité émotionnelle sur le rôle de la femme algérienne dans les rangs de l’ALN.
Plus que jamais, nul n’ignore l’image éducative et instructive des héroïnes du « réseau bombes » dirigé par Yacef Saadi de la ZAA, par exemple : Djaouher Akrour, Hassiba Ben Bouali, Djamila Bouazza, Djamila Bouhired, Zohra Drif, Baya Hocine, Djamila Boupacha, Samia Lakhdari, Danièle Minne, Annie Steiner,... « Voilées » ou « dévoilées », elles devaient, pour sortir de la Casbah ou y entrer, franchir les chevaux de frise placés aux postes d’entrée et de sortie de la Casbah ; le haïk traditionnel servait à des dissimulations ; portant l’habit européen et le sac à la main, elles faisaient jeunes filles à la mode et, à leur allure sophistiquée, les soldats français se relâchaient d’une vigilance soupçonneuse.
Voici donc une longue étape de la lutte de Libération nationale organisée par la ZAA et racontée par Zohra Drif en personne ; du moins, raconte-t-elle, sans fioriture, ce qu’a été son engagement personnel.
On retrouve le fondement essentiel du parcours de cette combattante de l’ALN dans ses déclarations réitérées, notamment, encore une fois, lorsqu’elle a fustigé le singulier et versatile philosophe Bernard Henri Lévy lors d’une joute oratoire mémorable entre elle et lui au théâtre de la Criée à Marseille, lors du colloque (30 mars-1er avril 2012) organisé par Marianne-France Inter et El-Khabar-Algérie, autour du 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie.
« J’ai combattu, lui a-t-elle précisé, pour l’indépendance d’un pays qui a sa propre culture et sa propre Histoire... Nous avons pris les armes pour la libération de l’Algérie. [...] Ne m’interroge pas à propos de la bombe [Attentat dit du Milk-bar du 30 septembre 1956], mais interroge les grands responsables français qui ont décidé de coloniser notre pays et tué des milliers et des milliers d’Algériens. [...] Les colons n’étaient pas de simples civils... Notre guerre, nous l’avions menée contre le régime colonial injuste... Cependant, cette guerre est finie. »
Quelle belle leçon d’histoire et de dignité donnée par la Moudjâhida à nos détracteurs indécrottables ! Une leçon de plus, par parenthèse et indirectement, à l’adresse de notre jeunesse mal informée.
Et quel âge a-t-elle, au vrai, notre jeunesse ? Il est des quinquagénaires qui n’ont reçu aucune instruction avancée sur ce point d’histoire de la lutte de libération, - que peuvent-ils alors, eux pareillement sans la connaissance de l’histoire de leur pays, pour faire apprendre à leurs enfants qui ne lisent pas non plus et, à dire vrai, qui ne savent pas lire parce qu’on ne leur a pas appris à lire.
Mme Zohra Drif, d’autres auteurs de « Mémoires », ont espéré livrer leur témoignage à « notre jeunesse ». Or, notre jeunesse, difficile à en déterminer le nombre, vagabonde dans les rues, fait du « bizness », et l’on sait ce que c’est ! Non, ce n’est pas une boutade à la mode de chez nous, en ce temps d’espérance ardente, de ressaisissement, de reprise de conscience.
C’est une réalité qui nous interpelle pour un apprentissage du sens de la patrie dans la famille, dans la rue, dans les stades,... j’allais oublier « l’École » ! Il faut bien se rendre à l’évidence que la jeune étudiante Zohra Drif a d’abord vécu dans un milieu favorable chez elle et autour d’elle, et c’était une époque d’éveil au nationalisme. Son livre est, à mon sens, éminemment important à lire pour nous tous, car il développe des éléments documentaires considérables pour concevoir une leçon d’essai modèle de formation à l’éducation générale par le concret, - celle-ci devant être toujours « une œuvre de raison et de liberté ».
Ainsi donc, en dehors de toute émotion que l’on éprouve inéluctablement à la lecture de l’ouvrage de Zohra Drif, on mesure la force d’âme et l’abnégation héroïque qui ont constamment animé cette combattante et, à travers elle, celles aussi de ces « voilées » et « dévoilées » dont la plupart nous sont encore anonymes.
« Comment dire, écrit Zohra Drif, comment recréer et raconter des faits, des circonstances, des ambiances mais surtout des êtres de chair et de sang dans leur vérité et leur humanité ? [...] En convoquant ma mémoire, je voudrais - enfin et surtout - être la plus honnête, la plus sincère et la plus fidèle à mon identité première, mon identité de femme. »
Son ouvrage comprend neuf chapitres : « Dans le giron familial » ; « Prise de conscience » ; « Les premiers contacts avec le FLN » ; « Au cœur de l’action armée » ; « Dans la Casbah, au cœur de la résistance » ; « L’internationalisation de la question algérienne » ; « Grève des 8 jours » ; « Arrestations et assassinats de combattants de la Zone Autonome d’Alger » ; « Arrestation de Zohra Drif ».
Suivent des « Annexes » : photos pertinentes et documents divers, et un utile index des noms.
Un trait admirable est à relever dans la conclusion à son ouvrage Mémoires d’une combattante de l’ALN, Zone Autonome d’Alger.
En effet, après sa satisfaction d’avoir servi sa patrie, Zohra Drif écrit : « C’est la plus belle victoire sur cette bête immonde qu’est le colonialisme. » ; elle termine son témoignage, fièrement, en militante constante :
« Mon souhait, maintenant, est d’avoir l’énergie et la force de témoigner - auprès de nos jeunes - des années de détention aux côtés de dizaines de sœurs, de l’euphorie de l’indépendance, puis du difficile travail de construction. In challah, si Dieu me prête vie. Vive l’Algérie libre et indépendante, honneur et gloire à nos martyrs. »
Kaddour M’HAMSADJI - Mercredi 08 Janvier 2014.