Grève générale massive en Italie, plus d'1 million de personnes dans la rue contre le 'Jobs act' qui casse le Code du travail
Article AC pour http://www.solidarite-internationale-pcf.fr/
L'heure est grave en Italie. Le gouvernement de Renzi, frère de Valls acte la casse du Code du travail, les syndicats ont voulu négocier l'inamendable, la gauche institutionnelle sombre. Les travailleurs sont désarmés malgré un potentiel de mobilisation extraordinaire.
70 % de grévistes : les transports italiens paralysés
Les chiffres communiqués par l'UIL (Union italienne du travail) et la CGIL (Confédération générale italienne du travail) – relayés par l'agence de presse ANSA – donnent le vertige : 1,5 million de manifestants, et un taux de grévistes national compris entre 60 et 70 %.
L'objectif de la journée de mobilisation du 24 octobre – 1 million de manifestants – est dépassée ce 12 décembre.
A la mi-journée, les cortèges étaient massifs : entre 2 et 5 000 à Padoue, Venise, Brescia, Pescara, entre 10 et 15 000 à Ancone, Bari, Palerme, 30 000 à Bologne, Florence, enfin 50 000 à Naples, Milan, Turin et Rome.
La grève a conduit à une paralysie du pays qui s'est sentie avant tout dans les transports : annulation de plusieurs centaines de vols (300 pour le seul aéroport romain de Fiumicino), de la moitié des trains, alors que 70 % des métro et bus sont restés au dépôt (avec des pointes à 90%).
« Jobs act », une déclaration de guerre contre le monde du travail
Ce qui mobilise les travailleurs italiens, c'est la déclaration de guerre du nouveau Président du Conseil, le leader du Parti démocrate (PD, ex-Parti communiste reconverti en Parti à l'américaine!), Matteo Renzi contre le monde du travail.
Sa réforme du travail inspirée de Blair et Clinton, son « Jobs act » (la tonalité anglo-saxone n'est pas une coincidence!) cible un marqueur identitaire du monde du travail italien : l'article 18 du Code du travail qui conditionne tout licenciement jugé abusif à un reclassement du salarié.
Cela fait 15 ans que le patronat essaie à tout prix d'annihiler cette disposition. Berlusconi en a rêvé, les manifestations réelles de 2002 l'avaient fait chuter, celles qui craignaient en 2011 l'avaient incité à faire marche arrière.
L'homme de gauche, libéral-populiste, Renzi abolit ce qu'il appelle ce « totem », ce tabou de la gauche. Dans la réalité, l'article 18 joue un rôle moins important que celui qui lui est accordé. Il protège de façon importante les travailleurs individuellement mais les entreprises italiennes le contournent par des licenciements collectifs maquillés en chômage technique forcé.
Mais c'est le symbole qui compte, il s'agirait d'un signe fort de la casse du Code du travail, de la flexibilisation totale des licenciements pour le patronat, la porte ouverte aux réformes structurelles voulues par la Confindustria (le MEDEF italien), l'UE, la finance internationale.
Avec une forme de discours populiste, qui « parle aux gens » et méprise « les partis, la bureaucratie, les syndicats », revalorise le « sens du travail » au service de l' « esprit d'entreprise », Renzi est entre Berlusconi et Sarkozy, Valls et Grillo.
Contrat unique de travail, garantie-jeune, revenu minimum universel : danger !
Renzi prévoit certes des réformes inspirées par celles de Blair, Clinton, Schroder. Mais elles ont aussi un caractère nouveau qui préfigure celles qui vont être mises en œuvre en France.
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Un « contrat unique de travail » pour les nouvelles embauches, officiellement un CDI, comprenant une période probatoire de 3 ans (au lieu d'1 an) où le licenciement économique est autorisé ;
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La « libéralisation des licenciements », donc l'abolition de l'article 18 du Code du travail. Le recasement du salarié licencié est remplacé par une indemnisation du travailleur, en fonction de son ancienneté ;
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Une « garantie-jeunes » qui consiste en une allocation minimale de 400 € pour les jeunes en grande précarité, un dispositif coordonné par l'Union européenne. Une allocation conditionnée à leur suivi par l'agence nationale pour l'emploi, ainsi qu'à la réalisation de missions de travail, de stages et de formations liées aux besoins des employeurs ;
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Enfin, une « allocation chômage universelle » qui est une remise en cause du droit à l'assurance chômage, maquillé derrière une allocation de 1 000 € puis 700 €, qui peut être supprimée après 2 ans, et destinée avant tout à 300 000 travailleurs aux carrières fragmentées ;
On note la perfidie de Renzi. Il reprend des idées superficiellement progressistes – revenu minimum universel, CDI pour tous, universalisation de l'aide pour les précaires – afin de faire passer la précarisation de l'ensemble des salariés, la casse du Code du travail et de la Sécurité sociale.
Les syndicats divisés sur la réforme, unis sur le « dialogue social » !
Enfin, les syndicats réagissent. Très tard, et sans unité. La CISL (démocrate chrétienne) trouve la réforme du travail positive. La CGIL (ex-communiste), dans un premier temps, avait salué le revenu minimum universel, le contrat unique d'insertion, ne réclamant que plus d'ambition (!).
Cette fois, la CGIL et l'UIL (la FO italienne) ont affiché leur opposition à la réforme. Renzi ne leur a laissé aucun espace de négociation, il a foncé, manifesté son mépris envers « ses syndicats qui ne savent que faire des grèves, alors que lui essaie de trouver des emplois aux gens ».
Certains leaders syndicalistes ont rejoint les thèses de Renzi, dans les rangs mêmes de la CGIL. On peut penser à un certain Guglielmo Epifani qui s'était fait connaître en 2002 par son statut de leader de l'opposition à la casse par Berlusconi de l'article 18.
Il a été le secrétaire de la CGIL de 2002 à 2010. Député du PD depuis lors, il a voté la Réforme au Parlement et la défend, tout comme Cesare Damiano, membre de la direction nationale de la CGIL, de sa branche métallurgique la FIOM, dans la mythique usine FIAT-Mirafiori, de Turin.
Malgré tous ces accros, les bras d'honneur de Renzi, la secrétaire de la CGIL, Susanna Camusso, est loin d'être catégorique devant les micros : « C'est au gouvernement de décider si il veut l'escalade du conflit ou si il veut retourner à la table des négociations ».
Hypocrisie du PD qui a deux fers au feu
C'est sur les représentants et locaux du Parti démocrate (PD) que se sont concentrées toutes les colères des manifestants ouvriers, étudiants, salariés, lors des manifestations organisées ce 12 décembre. Les sièges du PD ont été agrémentés de jets de peintures, d'oeufs et de tomates.
Le chef du gouvernement, leader du PD, Renzi a été raillé en « Pinocchio » à Rome, en « Terminator du monde du travail » à Turin, en « Riformatic » à Gênes. De la créativité, mais aussi une personnalisation qui – comme du temps de Berlusconi – fait le jeu du pouvoir.
Stefano Fassina – qui se fait passer pour l'aile gauche, sociale, du PD – était présent au cortège à Rome, comme Pippo Civati à Milan. Ce sont les « frondeurs » du Parti démocrate, Fassina insiste : « il fallait que quelqu'un du PD soit dans la rue, avec les travailleurs ».
Le 25 novembre, ils avaient oublié leurs frondes à la maison. Le « Jobs act » est passé à 316 voix pour, 6 contre. 29 députés PD, autour de Fassina, ont refusé de participer au vote.
Les caciques « de gauche » du PD, représentants de l'héritage communiste, ont choisi l'hypocrisie jusqu'au bout. Pier-Luigi Bersani, secrétaire-général du PD, a exprimé certaines contrariétés mais a voté pour, « par discipline de parti ».
Massimo d'Alema qualifie lui le gouvernement Renzi d' « épisode » - on a l'impression d'entendre Benedetto Croce face au fascisme, « une parenthèse » ! -, il exprime certaines réserves face au Jobs Act, lui qui a toujours favorisé la précarisation du travail. Il n'a pas voté contre.
Les travailleurs ne se sont pas trompés. D'Alema a osé se pointer au cortège de Bari. Il a été accuelli par des « Dégage », « Bouffon », « Vendu ». Massimo d'Alema a répondu : « C'est normal. Les gens sont en colère, en particulier contre le PD ». De quoi justifier les noms d'oiseau.
Et à la gauche du PD ? Nichi Vendola – l'ancien liquidateur de Refondation communiste, qui s'est fait élire à la tête de la région des Pouilles et s'est forgé un bel appareil d'élus grâce aux voix du PD –, qui joue le jeu des primaires du PD – occupe tout l'espace médiatique.
Un drôle de personnage qui a commencé par valoriser le style Renzi, plein de nouveautés dans la forme, rupture avec le discours politique conventionnel. Il avait loué certaines mesures démagogiques comme les crédits d'impôts de 85 € par mois.
Depuis la rentrée de septembre, Vendola se montre plus critique. Son objectif, fracturer le PD pour emporter son aile-gauche et former une nouvelle organisation qui lui permettrait de devenir le leader du centre-gauche.
Sa nouvelle formation ? « Human factor » (le facteur humain, si! Et en anglais dans le texte !) qui lui aurait été inspiré par les paroles du pape François (si!). Il s'agirait de rassembler toutes les forces de gauche, du centre qui refusent la politique de Renzi.
Vendola dénonce les inspirations de Renzi chez Blair, mais il cherche la sienne dans les expériences de Romano Prodi, l'ancien Président du Conseil qui a mis en place des réformes structurelles libérales (sur les retraites notamment), plongé l'Italie dans les guerres américaines, enfoncé l'Italie dans l'Union européenne austéritaire. Quel beau programme !
Et pendant ce temps, les communistes ne parviennent pas à sortir de l'ornière, piégés dans les combinaisons politiciennes passées et présentes, contraints d'accepter le cirique électoral alimenté par les Vendola, Fassina, d'Alema, pour l'avoir alimenté trop longtemps.
L'espoir n'est pas mort en Italie. Mais il viendra décidément de la rue, des luttes, du mouvement social, plus que des combinaisons politiciennes. Même si ce mouvement a désespérément besoin d'une perspective politique.