Intervention de Viviane Biancarelli
Rapport sur le statut de la langue Corse
Session plénière du 13/12/12.
« Nous ne considérons pas en termes d’opposition les deux langues, les deux cultures, qui nous habitent, ou plutôt qui se fondent en nous dans une culture à double appartenance :la culture française et la culture Corse ; c’est aussi cela l’identité Corse à notre époque. Quelle que soit notre appréciation, notre tendance, notre philosophie, nous ne pouvons échapper à cette réalité que pour notre part, nous acceptons comme un privilège, en n’imaginant pas qu’on puisse un jour effacer l’une ou l’autre, et nous ne considérons pas en termes d’opposition la langue française et la langue corse , menacée de disparition. Nous somme dans ce combat avec conviction, avec passion…
Il nous faut prendre en compte le fond commun à l’identité corse et la diversité, et surtout admettre le caractère évolutif de l’homme en qui le nouveau et la tradition se mélangent dans un mouvement qui fait que l’identité culturelle se crée toujours au présent. »
Monsieur le Conseiller Exécutif, chers collègues, ces mots sont ceux que notre regretté camarade Paul Bungelmi a prononcé en 1983 devant cette Assemblée.
Ce propos illustre la conception que nous avons du bilinguisme et de la co-officialité, qu‘en précurseurs, nous défendons, faut-il le rappeler, depuis les années 80.
Et si nous aimons notre langue et notre culture, notre conviction ne s’est pas moins forgée sur une base scientifique : la socio linguistique ; avec notamment, les travaux de J.B. Marcellesi, demeurant incontournables à ce jour.
Notre conception de la co-officialité ne subordonne aucune langue à une autre, tant pour nous, le bilinguisme est une chance, un atout indéniable pour une société ; une richesse qu’il faut sauvegarder.
C’est en respectant chacune de ses langues que la société Corse parviendra à promouvoir celle des deux qui est le plus en danger.
Vous l’avez compris, pour nous, la co-officialité et le bilinguisme ne menacent en rien l’unité de la République ; les conflits qui traversent les sociétés ne sont historiquement jamais d’ordre linguistique mais toujours politiques ou sociaux. Bien sûr, l’obtention d’un tel statut, ainsi que la ratification de la Charte des Langues Minoritaires, mais surtout son application dans ses propositions hautes, conduirait à une reformulation de la culture nationale, que non seulement nous ne craignons pas, mais que nous appelons de nos vœux. J’en veux pour preuve les différentes propositions de lois élaborées en ce sens par les députés communistes depuis 1949.
Notre conception de la question dépasse bien entendu les frontières de notre île pour s’étendre à l’ensemble des langues et cultures de France, prenant en compte leur spécificité et leur degré de revendication en la matière.
Le problème de la langue, de sa survie et/ou de son devenir, ne peut être distrait des autres problèmes, économiques, sociaux, culturels politiques qui affectent la situation actuelle de la Corse et de sa population, les travailleurs et les sans-travail, la jeunesse en premier lieu. Pour autant le combat pour la survie de la langue ne saurait être relégué à un quelconque arrière-plan des préoccupations.
La ré-acquisition du bilinguisme par la société Corse est un projet ambitieux et d’une importance cruciale, nous le mesurons tous. Il suscite tant d’espoir qu’on ne doit pas risquer d’essuyer un rejet de la part de l’Etat, ou de la population, parce que sa conception et son esprit, alimenteraient des craintes.
C’est l’adhésion populaire qu’il nous faut obtenir pour sa réussite, allant la chercher au cœur même de la démocratie, de l’indispensable débat public, seul en mesure de susciter la prise de conscience de la nécessité impérieuse de l’apprentissage, de la connaissance, de la maitrise et donc de la pratique courante et naturelle de la langue.
Alors, Monsieur le Conseiller Exécutif,
Je ferais plusieurs observations concernant le document que vous soumettez au débat aujourd’hui.
La première relève de la méthode :
Vous le savez, je vous ai fait plusieurs fois la remarque : nous regrettons qu’il n’y ait pas eu un débat public organisé en amont.
Une concertation préalable, large, ouverte à l’ensemble des acteurs de la société Corse, aurait sans doute permis de parvenir à un consensus sociétal réaliste, sans pour autant amoindrir l’ambition et la portée d’un tel projet ayant pour objectif, je le rappelle, la sauvegarde de la langue par la généralisation du bilinguisme.
Vous avez choisi avec sincérité, j’en conviens, une autre méthode qui nous conduit aujourd’hui à débattre, à s’opposer, ici entre nous, et dans la société, sur des aspects du texte qui font aujourd’hui obstacle, nous en sommes convaincus, à la réussite de l’objectif visé.
Ce projet de statut confond selon nous deux niveaux distincts, à savoir : le statut de la langue lui-même et les modalités de mise en œuvre de la co-officialité qui quant à elles suscitent un certain nombre de craintes, voire pour certains, le rejet.
Pour la clarté des débats et l’efficacité de nos travaux, il serait souhaitable, selon nous, de séparer ces deux niveaux. Il serait de bonne méthode de les traiter successivement.
Car en définitive, ce document traite moins de la co-officialité entre la langue corse et la langue française, que des renforcements des prérogatives de notre Assemblée.
En l’état, certains aspects du texte ne sont pas acceptables selon nous, notamment ceux qui touchent à l’enseignement et au statut des enseignants.
Faut-il rappeler que la question du mode de nomination des enseignants, autrefois directement soumise à l’autorité du politique, a fait l’objet d’une grande bataille en France et que ce que vous nous proposez constituerait une régression et une remise en cause fondamentale du principe arraché de haute lutte par le camp progressiste sur ce point.
Il en va de même pour les programmes scolaires.
Bien sûr qu’il faut enseigner l’histoire et la géographie de la Corse ! Faut-il pour autant soumettre les programmes à l’approbation de notre Assemblée? Quelle société voulons-nous ? Les programmes scolaires doivent-ils être soumis à l’approbation directe d’une assemblée qui peut changer de coloration politique (c’est le principe même de la démocratie) et donc orienter à son gré les contenus? Quelles garanties pouvons-nous proposer ?
Si comme vous le soulignez, il y a un hiatus entre service de l’Etat et la CTC, trouvons les moyens de le dépasser en précisant et en augmentant le rôle de la CTC. Ne facilitons pas le désengagement de l’Etat, qui doit fournir les moyens de la mise en œuvre de notre politique en la matière. Votre rapport rend seul responsable la CTC. Alors même que nous proposons un statut de co-officialité nous dispenserions l’État de son devoir de mobiliser les moyens en ce sens.
L’essentiel de vos préconisations concerne l’enseignement, or en l’état actuel, ni la rue, ni la famille, ni l’école, prises isolément ne sont en mesure, loin s’en faut, d’assumer une telle charge. De plus il nous semble important de rester vigilant quant à une certaine décentralisation néolibérale et bureaucratique, qui vise à accélérer le transfert des charges sur les collectivités locales et les familles.
Aujourd’hui s’impose le recours à une multiplicité de démarches et de moyens divers dont il convient d’assurer la convergence, les interrelations et interactions indispensables.
La question de la langue, de la culture Corse est mieux ressentie dans les milieux où la culture en général revêt un caractère d’importance.
La conscience de l’importance de l’apprentissage et de la pratique courante de notre langue recule parce que l’importance de la culture en général recule dans les valeurs de la société, et c’est aussi contre cela qu’il faut lutter.
Les progrès de la co-officialité dépendent des progrès de l’alphabétisation dans son ensemble.
Le statut que vous proposez n’aborde pas la question des moyens financiers nécessaires à la mise en œuvre des mesures que vous préconisez. Il s’agit là encore, sans aucun doute, d’un effet du décalage de niveaux dont je parlais au début de mon propos.
La question des moyens est une question d’importance, car tout projet aussi pertinent soit-il, est inefficace si les moyens nécessaires à sa mise en œuvre sont insuffisants.
Et pour exemple, prenons la Charte de la Langue Corse que toutes les communes de Corse n’ont pas signée car, dans un contexte économique où la mode est plus à l’économie, voire à l’austérité, qu’à la dépense, le coût il de leur mise en œuvre leur revient.
Pour finir, nous souhaitons qu’un accord soit possible sur ce qui, pour nous, sont les points essentiels du statut de la langue, à savoir : la place du corse dans les médias et dans la société civile, dans les services publics, et bien entendu, sa place et son rôle dans l’enseignement, sur lesquels nous sommes prêts à avancer pour que la co-officialité soit effective.
Si nous sommes d’accord ici sur ces points, nous serons en mesure de formuler une synthèse la plus large possible, rendant notre démarche crédible au regard de l’Etat.
Si nous y parvenons, il serait dommage d’échouer en raison de divergences portant sur des aspects dont le caractère indispensable n’a pas été démontré pour la mise en œuvre de la co-officialité, pour atteindre le bilinguisme. Nos travaux doivent donc se poursuivre pour que nous trouvions ensemble mais aussi avec l’ensemble des composantes de la société, qu’il faut gagner à cette cause, un chemin praticable vers le bilinguisme.