L’Assemblée de Corse doit adopter une délibération finalisant un vote antérieur obtenu le 27 mai 2010 sur une motion de Corsica Libera amendée par le Front de gauche afin « que soient mis en œuvre les moyens juridiques nécessaires pour définir un cadre statutaire à la langue corse fondé sur le principe de co-officialité ».
Certains s’étonnent et nous interrogent sur ce choix politique d’une co-officialité non discriminatoire en faveur d’un bilinguisme assumé et expliquent que nous serions dans la confusion au prétexte que co-officialité et bilinguisme ne veulent pas dire la même chose.
Du point de vue du vocabulaire c’est incontestable mais pour ce qui est du concept c’est différent. Les 34 élus qui ont voté cette motion amendée se sont prononcés en faveur : « d’un cadre statutaire pour la langue corse fondé sur le principe de co-officialité » et pas pour autre chose.
Aussi, nous nous sommes permis de transmettre à chaque groupe pour information la brochure intitulée : « pour une politique démocratique de la langue » rédigée par Jean Baptiste Marcellesi sociolinguiste mondialement reconnu et éditée par Terre Corse.
Lui-même prenait soin de démontrer que ce sujet ne pouvait être laissé entre les seules mains des juristes et des sociolinguistes et qu’il fallait que les principaux intéressés s’en saisissent. C’est l’esprit avec lequel, pour notre part, nous travaillons à cet objectif qui s’impose de fait et semble accepté de tous : sauver la langue corse.
Par cet amendement nous avons voulu réaffirmer une position claire y compris dans ses implications constitutionnelles et plus largement dans une politique de promotion des langues de France sans avoir la prétention de rédiger le texte de loi qui le permettrait. Il en est de même pour la ratification de la Charte des langues régionales, en faveur de laquelle nous nous prononçons, défendue par François Hollande candidat à la présidence de la République. Dans tous les cas une réforme de la constitution est nécessaire.
Au mois de septembre la ministre de la culture, en répondant à une question écrite du parlementaire communiste, Jean Jacques Candelier, a donc annoncé que le gouvernement relancerait la procédure de ratification de la Charte des langues régionales. Le 15 novembre elle l’a confirmé et le 4 décembre la Commission des lois de l’Assemblée nationale a débattu des implications constitutionnelles de cette ratification.
Ce processus devrait aboutir en mars, et nous pensons qu’il y a un réel intérêt à y inscrire les travaux de l’Assemblée de Corse car notre langue est selon nous constitutive du patrimoine linguistique de la France avec l’ensemble des langues régionales dévalorisées.
Il n’est nullement question de mettre le doigt dans un engrenage fédéraliste et encore moins de prendre une revanche sur l’histoire pour imposer en sens inverse une minoration de la langue la plus repandue, le français.
En revanche il faut, augmenter le nombre de locuteurs de corse en sachant que l’usage de la langue ne se décrète pas, il faut aussi que cela corresponde à une réalité sociale et économique, à un territoire à son histoire comme à son avenir. Dans La liberté de l'esprit, Paul Valery montrait comment la « baisse de la valeur esprit » était induite par un état de l'économie politique.
Le monde entier connaît une crise sans précédent et la révolution informationnelle ne cesse de s’étendre. Les bouleversements sont d’une telle ampleur qu’il n'est plus possible de parler d’art et de culture, de science et d'éducation sans en prendre la mesure.
La Corse n’est ni la Catalogne ni même la l’Alsace et si la France n’est pas l’Espagne elle a néanmoins accepté l’enseignement bilingue à parité horaire de l’alsacien. Depuis longtemps nous nous sommes défaits de la référence au modèle précisément pour appréhender au mieux la réalité sans nous désintéresser de ce qui se fait ailleurs.
Par conséquent, nous considérons que nous devons en premier lieu convaincre et pas contraindre celles et ceux qui ont choisi de vivre sur cette terre pour construire ensemble, quelles que soient leurs origines, un destin commun.
C’est pourquoi nous nous opposons à cette approche absurde de la revanche des girondins sur les jacobins qui nous éloigne de l’objectif essentiel tendant à établir le cadre législatif nécessaire pour permettre, au-delà de ce qui est fait aujourd’hui par l’Etat, l’usage le plus large de notre langue.
La place accordée à la langue dans la société est, en effet, un enjeu essentiel. Une double dimension apparaît, touchant à la sphère publique et à l'individu, lui-même au cœur de celle-ci, en tant que citoyen. La langue, instrument de communication avec les autres est en même temps, dans une certaine mesure, le révélateur de son identité souvent complexe.
Ce paradoxe souligne le caractère aberrant de la logique marchande qui pousse à la standardisation linguistique et culturelle quand la prise en compte de la diversité est constitutive de richesse intellectuelle, collective et personnelle. D’où l'affirmation : « langues communes oui langue unique non », car, effectivement, le plurilinguisme est un avantage pour l'épanouissement de l'individu.
Par contre, le sentiment de perte d'appartenance sociale et la frustration de ceux qui n'ont pas accès à la formation, à l'information et aux échanges, se conjuguent et trouvent dans l’expression politique de division et de stigmatisation de communautés entières, un exutoire dangereux.
La précarité, l’isolement individuel conduisent au rejet et au repli face à un système qui broie les hommes, leur statut social, leurs origines. Le passé et les valeurs ancestrales deviennent, parfois à tort, de nouvelles références pour des rapports sociaux, dans certains cas non laïcs, fondés sur une conception ethnique voire communautariste.
En ce sens, on ne peut prétendre qu’il soit urgent de s’attaquer à la fracture sociale, pour la réduire, et ignorer la dimension économique, la démographie, la diversité sociale et culturelle, l’histoire du territoire sur lequel elle se développe. Aujourd'hui le bilinguisme doit s'inscrire dans un projet sociétal dont la caractéristique essentielle serait l'ouverture face à ces risques terribles.
Par l’affirmation, d’un bilinguisme assumé et respectueux de notre diversité comme de notre histoire, d’une co-officialité dont le champ d’application serait définie après une véritable et large concertation pour écarter toute forme de discrimination, il s’agit de poser dans la sérénité les conditions d’un processus démocratique pour préserver et promouvoir la langue corse sans dresser de murs entre celles et ceux qui parlent ou ne parlent pas le corse.
En conséquence, nous rejetons l'idée de la sélection à l'embauche par la maîtrise de la langue pour « corsiser » l'emploi. Nous pensons particulièrement au respect des règles établies avec le code du travail, les statuts de la fonction publique d’état et territoriale, les statuts des agents des entreprises nationales et les conventions collectives.
Dans le prolongement de la proposition de loi 2321 des députés communistes, déposée en 1984, à travers les travaux de Jean Baptiste Marcellesi, nous avons proposé en 1985, la co-officialité dans le but de sauver le corse en préservant le bilinguisme franco corse précisément parce que depuis l'édit de Viller Cotterets les langues de France ont été occultées par une politique d'uniformisation au bénéfice du français.
Ainsi valorisé, l’identique est devenu facteur de dépossessions à plus forte raison quand la volonté politique signifie : « même langue et mêmes façons de penser » sur fonds de rentabilité et de productivité capitalistes. En même temps nous ne pouvons pas ignorer que le français a été la langue de la promotion sociale. C’est ce mouvement contradictoire qui fonde notre réflexion.
De fait, la langue minorée est aussi celle du peuple et son usage est resté limité malgré les dispositions prises ces dernières années pour l’enseignement du Corse. La République une et indivisible, l'unité de la Nation ont souvent été les arguments développés pour justifier une politique fondée avant tout sur des enjeux économiques et des données démographiques.
Or, nous voyons aujourd’hui que les exigences capitalistes d'un monde sans entrave pour la spéculation financière menacent les Etats. Ce n’est pas le cas de la diversité linguistique. Nous en avons eu l’exemple avec la ratification du traité Merkel Sarkozy qui consacre l’abandon de souveraineté budgétaire au bénéfice de la Commission non élue de l’UE.
La société est donc transformée pour l'adapter à ces règles de la mondialisation capitaliste imposées à l'homme, au mépris de son propre avenir et de son environnement, en vantant les mérites d'un individualisme forcené pour mieux détruire les principes de solidarité donc du vivre mieux ensemble.
Et s’il faut revenir quelques années en arrière pour convaincre de la validité de notre démarche, nous retiendrons qu’en 2008 la discussion à l’Assemblée nationale, ouverte sur la question des langues régionales et la modification de la Constitution, s’était conclue à la demande du gouvernement par le refus d'une loi offrant un cadre juridique plus fiable que la loi Deixonne de 1951.
On se souviendra également du refus de Jacques Chirac de ratifier la Charte des langues régionales, pourtant signée par la France en 1999, au motif que le Conseil constitutionnel jugeait plusieurs clauses contraires à la Constitution.
Sur le plan des principes, c’est intéressant de le rappeler, le Conseil constitutionnel a estimé que la Charte conférait des droits spécifiques et imprescriptibles à des groupes de locuteurs, à l’intérieur de territoires, ce qui portait atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français.
Pour ce qui nous concerne nous ne pensons pas qu'un peuple existe parce que sa langue existe. C’est aussi faux que d'affirmer le contraire. Devant l'Assemblée de Corse Paul Bungelmi insistait en 1983 sur la nécessité de « prendre en compte le fonds commun à l'identité corse et la diversité et surtout admettre le caractère évolutif de l'homme en qui le nouveau et la tradition se mélangent dans un mouvement qui fait que l'identité culturelle se crée toujours au présent ».
La France, précisément parce qu'elle est celle des Lumières, se doit à la fois de préserver son exception culturelle et de consacrer les moyens, humains techniques et financiers, nécessaires à une réelle promotion des langues et cultures régionales.
Après la politique de suppression massive de postes dans l'Education Nationale, menée ces dernières années, il faut inverser la tendance, modifier la Constitution et adopter une loi pour donner un statut aux langues et aux cultures de France favorisant à long terme leur promotion et leur plein épanouissement.
Beaucoup l’ont dit, cette revitalisation constitue un apport aux rapports sociaux et à l'essor culturel qu’il faut évaluer pour définir au mieux l'engagement de l'Etat. À défaut, l’avenir resterait incertain et à terme la part du patrimoine national que le corse, comme les autres langues de France constituent, serait définitivement perdue.
Définie dans un cadre national de responsabilité publique, cette politique serait d'autant plus efficace qu'elle afficherait une ambition décentralisatrice forte donnant aux régions la capacité d'adapter les objectifs communs aux particularités de chacune d'elle.
L'enjeu, c'est effectivement, à nos yeux, de fonder, dans la reconnaissance et la connaissance de l’autre, une société généreuse, solidaire conjuguant la citoyenneté, l'épanouissement de la personne et la dignité humaine. Le ciment de l’unité nationale se trouvera ainsi dans le respect des valeurs et des principes de la République.