1- Le contexte international
- la crise exacerbée du capitalisme
Le 36ème congrès du PCF s’ouvre dans des circonstances particulières. La situation internationale est caractérisée par des rapports internationaux de plus en plus tendus entre l’impérialisme américain et ses séides – pays de l’UE, Japon, Israël, Turquie, Arabie Saoudite... – et des pays qui s’opposent, pour des raisons diverses et parfois contradictoires, aux États-Unis, Chine, Russie, Iran pour nommer les principaux.
La crise qui a éclaté en 2008 a des prolongements inattendus, notamment dans les pays de l’Union européenne, étranglés par le poids de la dette. Les États-Unis, autrefois leader du capitalisme mondialisé, présentent aujourd’hui des fragilités toujours plus importantes. A l’intérieur, la crise ne peut plus être cachée. L’industrie américaine, à l’exception de l’industrie militaire, connaît un déclin que rien ne semble pouvoir arrêter. Des millions d’Américains vivent sous le seuil de pauvreté et la crise des subprimes à jeté à la rue une part non négligeable de la classe moyenne. À l’extérieur, les dirigeants américains sèment la guerre et la terreur au nom de croisades contre le terrorisme ou de défense des droits de l’homme. Les États-Unis ont la configuration d’un empire en fin de vie dont l’agonie mettra certainement des décennies.
Une bonne partie des pays d’Amérique du Sud ont opté pour des régimes de rupture comme au Venezuela. D’autres se sont orientés vers des expériences sociales-démocrates. Quant aux pays qui restent dans le sillage US comme le Mexique et la Colombie, leurs populations vivent de véritables désastres faits de corruption généralisée, criminalité sans contrôle, répression systématiques des mouvements syndicaux et progressistes.
- un capitalisme toujours plus prédateur
Le capitalisme est dans une phase de plus en plus prédatrice. Sans aucun frein depuis la chute de l’URSS au début des années 90, il montre son véritable visage. Partout, le capitalisme impose la loi de l’exploitation la plus féroce, qui combine pillages des ressources naturelles, pillage des ressources humaines, exploitation sans limite du monde du travail.
Le capitalisme en est à un stade où il doit justifier idéologiquement son système de prédation autrement que par le seul credo de la loi du marché. D’où des « croisades idéologiques » autour de deux thèmes principaux : la lutte contre le terrorisme bien entendu islamiste – guerre en Afghanistan, en Irak... - et la « défense des droits de l’homme » qu’il utilise contre la Russie, la Chine, la Syrie, etc.
- des conflits impérialistes réguliers
D’où des conflits impérialistes qui se succèdent à intervalles réguliers contre des ennemis désignés : hier, la Yougoslavie de Milosevic, l’Irak de Saddam Hussein ou la Libye de Khadafi, aujourd’hui la Syrie de Bachar El Assad, l’Iran, etc. Sans oublier les conflits « régionaux » comme au Congo démocratique, les « salafistes » au Mali, la Colombie au nom de la lutte contre les narco-trafiquants, etc.
Ces conflits ont au moins deux visées : affirmer à la face du monde que les États-Unis interviennent partout où ils le veulent ; un intérêt économique immédiat qui permet aux pays producteurs d’armes et de technologie militaire de faire des profits réguliers et quasiment illimités.
- une crise économique européenne visant à mettre les peuples sous tutelle de l’UE
La crise n’épargne pas l’Europe. Plusieurs pays sont très directement touchés : la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Italie et l’Irlande, ainsi que tous les pays d’Europe de l’Est entrés dans l’UE et qui n’en tirent pas les bénéfices promis. L’imposition du TSCG, après Maastricht et le TCE nouvelle version, est un mécanisme supplémentaire pour étrangler les États et aboutir à ce dont rêvent les promoteurs de l’UE depuis des décennies : une structure supra-nationale de type fédératif, chapeautant les États de l’UE et leur imposant leur politique budgétaire, financière, militaire et politique.
2- En France, une donne politique nouvelle
- l’arrivée au pouvoir de Hollande et du PS
En France, l’arrivée au pouvoir de François Hollande à la tête d’une majorité socialiste-verts ne change pas radicalement les orientations politiques de fonds prises par les précédents gouvernements. Tout comme la droite, le Parti socialiste est dans la dynamique pro-Union européenne qui se construit sur la « concurrence libre et non faussée », la disparition des services publics, l’effondrement des acquis sociaux, etc.
une crise économique gravissime à laquelle le pouvoir ne répond pas Les premiers pas de F. Hollande en politique étrangère confirment cette analyse. Or, la crise économique s’aggrave. Les conditions de vie se dégradent rapidement et les peuples européens se révoltent partout, même si ces mouvements sociaux ne sont pas médiatisés. En France, la crise va encore s’approfondir avec l’application du TSCG. Les mesurettes prises par le gouvernement Ayrault auront tôt fait de ne plus suffire face aux critères draconiens du TSCG.
- la poursuite de la déconstruction de la société entamée par la droite. La feuille de route du PS sera la même que celle de la droite : poursuivre la casse industrielle du pays, réduire les services publics au maximum notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation, et des collectivités territoriales, et poursuivre la casse des acquis sociaux (retraite, droit du travail, etc.)
- la montée de l’extrême droite
Face à ces attaques, le grand gagnant est indéniablement l’extrême droite de Marine Le Pen. Avec un discours résolument anti-européen et à caractère social, l’extrême droite attire à elle une frange importante des classes populaires et des classes moyennes durement touchées par la crise. En témoignent ses résultats à l’élection présidentielle avec près de 18 %.
L’aggravation de la détérioration de l’économie ne peut que renforcer le poids de l’extrême droite et lui donner une assise politique telle qu’elle deviendra incontournable dans le jeu politique.
3- Un parti communiste en recherche de stratégie
- la stratégie du Front de gauche : quel bilan en tirer ?
Face à cette situation, depuis quatre élections (européennes, régionales, présidentielle et législatives), le Parti communiste a expérimenté une nouvelle stratégie, celle du Front de gauche. Présentée comme une alliance politique ponctuelle, cette stratégie s’oriente de plus en plus vers la construction d’une force politique autonome où le Parti communiste se met au service des intérêts d’une autre formation, le Parti de gauche. C’est ainsi qu’aux élections régionales, le PCF a perdu la moitié de ses élus au profit de forces politiques minoritaires érigées en partenaires incontournables. Or, sur le terrain, la réalité était beaucoup plus contrastée puisque dans l’immense majorité des cas, le PCF représentait l’essentiel des forces politiques organisées.
- le Front de gauche, une chance ou un risque grave ?
Le résultat des dernières élections présidentielles avec 11 % obtenus par le candidat du Front de gauche Jean-Luc Mélenchon semble donner raison aux tenants de cette stratégie. Il faut donc en avoir une analyse critique sans pour autant tomber dans le sectarisme dogmatique.
11 % à un candidat soutenu par le PCF, c’est un résultat indéniablement positif, surtout quand ce candidat porte des valeurs proches des nôtres et un discours très mobilisateur.
Malgré tout, aux élections législatives, le Front de gauche n’a pas su convaincre les électeurs. Seuls les candidats très ancrés dans le local ont pu se faire élire. Même en tenant compte de la vague rose, il faut constater que le Front de gauche a essuyé un grave échec, ce qui repose la question de la pertinence de la stratégie.
Dans toute son histoire, le Parti communiste n’a jamais été aussi fort que quand il a su développer des alliances. La victoire du Front populaire ne s’est pas faite autour du seul Parti communiste. Le Front national durant la 2ème guerre mondiale ou le CNR ont été des espaces d’alliances, de confrontation et parfois de contradictions. De 1944 à 1947, le Parti communiste n’a du ses grandes victoires – la sécurité sociale, le statut des fonctionnaires, l’instauration d’EDF-GDF....- que dans le cadre de ces alliances.
Le problème n’est donc pas le principe de l’union, mais la tentative de transformation d’alliances électorales en une force politique nouvelle. Plusieurs expériences de ce type dans les pays européens montrent que les partis communistes sortent toujours affaiblis de ce type d’alliances et parfois, ne s’en remettent jamais.
- quelles évolutions pour le PCF dans le contexte général ?
Outre la question des alliances, cela pose donc la question des évolutions souhaitables du Parti communiste dans les prochaines années. Il nous faut un parti communiste de notre temps, en prise avec la réalité, et surtout loin du sectarisme étroit qui ne peut que conduire, comme la dilution voulue par la direction nationale, qu’à la disparition.
Le problème, ce ne sont pas les alliances mais la manière dont elles sont conçues et menées pour affaiblir le PCF. Se replier sur soi en refusant de travailler avec d’autres n’est pas non plus la solution, car cela conduirait à affaiblir notre audience et à nous marginaliser.
En l’état actuel, mesurons que le Parti communiste n’est plus la force qu’il était dans les années 80. Implanté localement certes, capable (au prix de grosses contorsions) d’avoir des groupes parlementaires et des groupes dans les collectivités territoriales. Mais l’emprise du PCF est en recul et nous sommes sur le repli plus que sur la reconquête.
- quelles perspectives politiques ?
Quelles perspectives politiques avons-nous ? Le paysage politique en France est caractérisé par la bi-polarisation. Depuis les années 80, le Parti socialiste s’est imposé comme la principale force à gauche, et la droite conservatrice (RPR puis UMP) a laminé les centristes. L’extrême droite est en passe de devenir une force politique incontournable. Le passage de témoin entre Jean-Marie Le Pen et sa fille s’est fait avec une facilité déconcertante. Elle a réussi à donner au Front national une image moins repoussoir, et à l’ancrer dans le paysage politique.
Avec près de 20 %, c’est le Front national qui est le véritable trublion de la politique française. Le Front de gauche ne vient que loin derrière.
Quant au Parti communiste, il se trouve dans une situation paradoxale. D’une part, il a repris une certaine vigueur et une crédibilité avec les résultats du Front de gauche. D’autre part, il gomme volontairement son poids politique au sein de cette alliance en mettant en avant Jean-Luc Mélenchon, et en restant en retrait.
Or, le discours musclé d’un Mélenchon, comme celui de Besancenot auparavant, montre que les idées de gauche n’ont pas disparu. Elles ne demandent qu’à renaître et seul le Parti communiste, avec son implantation, est capable de porter une idéologie de rupture avec le capitalisme.
4- Réformer profondément la politique du PCF
- refonder une politique communiste moderne : un véritable enjeu, sur quelles bases et avec quelle analyse de la société actuelle ?
Depuis la mutation initiée par Robert Hue dans les années 90, le Parti communiste n’a pas mené véritablement d’analyse sur les évolutions de la société et sur le rôle d’un Parti communiste en phase avec son temps. La société française compte un important prolétariat dont la composition sociologique s’est modifiée. La classe ouvrière, représentant plus de 23 % du monde du travail, est en recul. Dans le même temps, une fraction toujours plus importante de la population travaille dans le secteur tertiaire non qualifié. Il existe donc une fraction du prolétariat non organisée, sans conscience de classe, dans laquelle le mouvement syndical lui-même peine à s’organiser, en direction duquel le Parti communiste devrait intensifier ses efforts.
Comment être en prise dans la société actuelle sans analyser ses évolutions ? Le discours que les communistes tenaient dans les années 30, dans les années 50 ou dans les années 70 n’est plus adapté à ce nouveau prolétariat, qui ne peut pas s’identifier à l’âge d’or perdu de la classe ouvrière conquérante. Comment toucher une fraction de la société marginalisée dans le système économique actuel fait de temps partiel forcé, de revenus en baisse, d’acquis sociaux presque réduits à néant ? Comment faire pour que des salariés travaillant dans des TPE puissent acquérir une conscience de classe ? Comment s’adresser aux jeunes issus de l’immigration qui vivent une exclusion multiforme – culturelle, sociologique, économique ?
Autant de questions qui n’ont pas été posées dans les congrès précédents.
- comment re-mobiliser les classes populaires ?
Comment re-mobiliser les classes populaires ? Cette interrogation doit être la base de notre réflexion. Si nous ne mettons pas en place des outils adaptés pour re-mobiliser les classes populaires dans toute leur diversité, nous allons à l’échec.
Nous percevons, grâce aux importants mouvements sociaux de ces dernières années, qu’une fraction de la population est très consciente des mécanismes d’exploitation, et qu’elle remet en cause pêle-mêle la mondialisation, les rapports d’exploitation et le capitalisme. Mais passés les mouvements sociaux, cette fraction de la population n’est plus mobilisée.
Nous percevons aussi qu’une partie des habitants des quartiers populaires n’ont plus de repère de classe. Ils acceptent l’idéologie dominante qui veut que l’on soit « un jeune de banlieue », « une femme issue de l’immigration ». Tout est fait pour gommer les réalités de la lutte de classe, à commencer par les divisions culturelles exacerbées par l’actualité.
Re-mobiliser les classes populaires, cela commence par refuser le découpage artificiel de la société basé sur des différences culturelles pour repositionner le débat sur les véritables divisions entre détenteurs du capital et des outils de production et exploités. Re-mobiliser les classes populaires, cela implique un travail d’éducation populaire que le PCF ne mène malheureusement plus. Cela veut dire re-former les militants communistes, retravailler la théorie marxiste, repartir dans les quartiers populaires pour faire de la politique et non plus se limiter à des apparitions ponctuelles lors des échéances électorales.
Cela passe également par un travail militant en direction du monde du travail dans toute sa diversité : services publics, administrations, grandes entreprises nationales, mais aussi petites structures locales, entreprises de services, etc.
C’est un travail difficile, de longue haleine, mais qui seul permettra au Parti communiste de renouer avec les classes populaires.
- analyser la politique européenne du PCF pour sortir du guêpier du PGE
La grande difficulté du PCF aujourd’hui, outre sa coupure avec les classes populaires, est la contradiction majeure qu’il porte sur les questions européennes. Déjà en 2005, se battre contre le Traité constitutionnel européen tout en prétendant bâtir une « Europe sociale » relevait du numéro d’équilibriste. Aujourd’hui, les contradictions sont encore plus exacerbées compte tenu du degré atteint par la crise du capitalisme. Comment combattre le TSCG tout en acceptant le cadre du Parti de la gauche européenne, qui pose l’Union européenne comme un horizon indépassable ?
L’Union européenne est une geôle pour les peuples, elle est le fer de lance du capitalisme. En accepter le cadre en laissant entendre qu’il serait ré-orientable est une fable politique qui conduit à une impasse. Le PCF doit surmonter cette contradiction majeure s’il veut être compris. Il est néfaste de laisser au seul Front national la critique de l’Union européenne, quand il suffirait d’analyser les mécanismes de l’Union européenne pour en dénoncer toute la nocivité. Il serait alors possible de proposer d’autres cadres de coopération avec les pays d’Europe, basés sur le respect de la souveraineté des nations et les coopérations mutuellement avantageuses.
- repenser notre politique internationale
La même contradiction est perceptible sur les questions internationales. D’une part, le PCF prétend défendre la paix, mais au pied du mur, ses positions sont en demi-teinte. Lors des agressions contre l’Irak, la Libye ou la Syrie, le PCF finit par céder à la propagande impérialiste quand il faudrait analyser les situations dans leur globalité et dans la réalité des rapports de force. Là encore, il s’agit d’une faillite idéologique, car critiquer l’œuvre de destruction massive de l’impérialisme dans le monde ne signifie en aucun cas adhérer à l’idéologie de ses ennemis désignés.
Le PCF a déserté les structures internationales où siègent les partis communistes frères pour lui préférer des structures comme le PGE. Il faudrait revenir à une politique internationale ambitieuse, basée sur une analyse anti-impérialiste conséquente.
Au total, le Parti communiste est à la croisée des chemins. Le congrès qui va s’ouvrir en février 2013 peut être celui de la liquidation s’il entérine une stratégie de dilution du PCF dans le Front de gauche et s’il ne remet pas en cause les fondements même du capitalisme à travers la domination de l’Union européenne.
Il peut aussi s’agir d’un congrès donnant une nouvelle impulsion à l’appareil, en repartant sur des bases saines qui doivent se fonder sur une analyse approfondie de la société et de l’état réel du capitalisme.
Caroline Andréani