Monde arabe : révolte, réaction ou révolution ? Par Angelo Alves, membre du bureau politique et responsable du secteur international du PCP pour la revue théorique O Militante !
Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
Les événements dans le monde arabe révèlent bien à quel point la situation internationale est caractérisée par de grands périls mais dans le même temps par de réelles potentialités de développement de la lutte des travailleurs et des peuples.
Quand, au début de l'année, les tunisiens et les égyptiens descendirent dans la rue pour réclamer de meilleurs conditions de vie et les droits démocratiques, nombreux furent ceux qui affirmèrent que, dans une région traditionnellement sous la domination coloniale et impérialiste, plus rien ne serait comme avant. La question était de savoir : dans quel sens allait évoluer leur situation, vers des avancées de nature progressiste et démocratiques ou vers de nouvelles et plus sophistiquées formes d'exploitation et de domination impérialiste et néo-coloniale.
Effet domino ?
Les événements dans cette partie du monde – riche en ressources stratégiques comme le pétrole et le gaz naturel, carrefour de voies de transport fondamentales de marchandises et d'énergie et où se tiennent d'importantes batailles autour de ressources vitales comme l'eau – sont une expression manifeste des différentes tendances et dynamiques de fond de la situation internationale actuelle, marquée par l'approfondissement de la crise structurelle du capitalisme et par l'offensive de l'impérialisme face à cette même crise.
Contrairement aux thèses qui tentent de présenter les situations de ces pays comme identiques, et la région comme un bloc homogène réagissant de la même façon (la théorie du « domino »), l'analyse de la réalité démontre combien nous nous trouvons devant des situations fort différentes. Il y a des évolutions diverses selon la situation sociale et politique de chaque pays et son rapport avec le système de domination impérialiste dans la région.
En analysant quelques indicateurs économiques et sociaux, on constate des niveaux très différents de développement économique et social. Les valeurs de l'Indice de développement humain (IDH) vont du Yémen (0,439 – 133ème position mondiale) à la Libye (0,755 – 53ème position, l'IDH le plus élevé de tout le continent africain. La part de la population vivant en-dessous du seuil de pauvreté part de chiffres très faibles, comme en Tunisie (3,8%) à des chiffres impressionnants, comme au Yémen (42%), selon les données même du régime Yéménite, en passant par des chiffres, comme en Égypte, de 22%.
Il est tout aussi important de constater les relations différentes entretenues par ces pays avec les principales puissances impérialistes. Des pays comme l’Égypte, l'Arabie saoudite, le Bahreïn et le Yémen furent et sont des piliers fondamentaux de la domination impérialiste nord-américaine dans la région. L’Égypte de Moubarak, un des alliés les plus importants des États-Unis dans la région, alignée sur la politique d’Israël génocidaire envers le peuple palestinien, est le second pays au Monde pour l « aide » reçue des États-Unis (essentiellement pour maintenir sa puissante armée). La monarchie du Bahreïn est aux ordres de la dictature saoudienne et des États-Unis, abritant sur son territoire la Vème flotte nord-américaine. Le Yémen (où l'intervention et l'ingérence extérieures des États-Unis et de l'Arabie saoudite furent décisives pour mettre un terme au processus révolutionnaire dans le Sud du pays et où le régime actuel a épousé la « guerre contre le terrorisme ») est un des points stratégiques les plus importants pour le contrôle nord-américain du Golfe d'Aden et de l'entrée en mer Rouge. D'autre part, des pays comme la Syrie et la Libye, avec une forte tradition de lutte contre le colonialisme, l'impérialisme et l'agression sioniste (dans le cas de la Syrie) et avec des politiques économiques qui au fil des ans ont mis leurs ressources naturelles au service du développement social, sont, encore aujourd'hui, des pays souverains qui en dépit des dernières évolutions négatives (comme l'adhésion de la Libye à « la lutte contre le terrorisme » de Bush, les accords de Kadhaffi avec le FMI et la capitulation progressive du gouvernement d'Al Assad à l' « économie de marché ») représentent des obstacles à la domination de l'impérialisme nord-américain dans la région, et de plus en plus à l'impérialisme européen. La Syrie est un important point d'appui pour les mouvements de libération arabes, comme c'est le cas des mouvements palestiniens.
Nous ne sommes donc pas face à des situations identiques avec des développements copiés avec du papier carbone. Nous sommes, au contraire, face à la convergence de divers facteurs internes et externes qui évoluent et rentrent en interaction dialectiquement. Dans la région coexistent une présence importante et une offensive impérialiste et des mouvements divers de résistance, liés à une des plus importantes batailles géo-stratégiques actuelles.
La crise comme toile de fond
S'il est important d'avoir en tête les différences mentionnées ci-dessus, il est nécessaire et possible d'identifier des tendances qui sont indissociables de l'approfondissement de la crise structurelle du capitalisme et qui sont à l'origine de certains de ces événements.
C'est le cas pour la question centrale de l'emploi au sein des générations les plus jeunes. Les données disponibles sur les taux de chômage révèlent encore une fois des réalités bien différentes qui vont des chiffres inférieurs au taux officiel portugais, comme c'est le cas de la Syrie et de l’Égypte – avec des taux de chômage de 8,4% et 9,2% en 2010, respectivement – jusqu'à 13% en Tunisie ou 34% au Yémen, selon les données du régime yéménite même.
S'il y a une tendance qui marque la réalité de l'immense majorité des pays du monde arabe, c'est une forte et continue croissance démographique. L’Égypte a vu sa population augmenter de 70 millions de personnes, dans la dernière décennie, à plus de 84 millions. Le résultat ce sont des sociétés extrêmement « jeunes » où les systèmes économiques et politiques – marqués par la corruption généralisée, par le fait que les recettes provenant de ses ressources naturelles (comme le pétrole) sont accaparées par les grandes bourgeoisies et le capital étranger, se soumettant de plus en plus au néo-libéralisme, fidèles maîtres d’œuvre des politiques du FMI et du Consensus du Washington, inféodés à l'impérialisme et aux intérêts des multi-nationales – ne parviennent pas à répondre à la nécessité de création d'emplois qui garantissent le droit au travail et des perspectives de vie aux immenses masses de jeunes.
De plus, les politiques anti-sociales, découlant de l'offensive qui vise à faire porter les conséquences de la crise sur le dos des masses ouvrières et populaires, accentuent ces phénomènes. S'il est vrai que le problème vient de loin, les conséquences de la crise économique du capitalisme et les politiques néo-libérales appliquées das la majorité de ces pays ont augmenté la pression d'une « cocotte-minute » qui se trouvait déjà à la limite, comme le démontrent les chiffres du chômage dans la région pour la tranche d'âge des 15-24 ans, dont la moyenne se situe entre 30 et 40%, ou encore le creusement d'énormes inégalités sociales et la polarisation des richesses dans cette région, bien visible dans les chiffres très élevées de l'indice de Gini.
Mais les déclencheurs de la révolte populaire ne se limitent pas aux questions centrales du droit au travail et de la polarisation des richesses. La crise alimentaire et la crise énergétique sont également à l'origine de véritables explosions de révolte. En plus du manque d'emplois et de perspectives pour des couches importantes de la population, en particulier les jeunes, s'ajoutent les conséquences de l'augmentation brutale des prix des aliments au niveau mondial. Selon les données de l'Organisation pour l'agriculture et l'alimentation des Nations unies (FAO), la valeur sur le marché des principaux biens alimentaires a augmenté de 138% dans les huit dernières années. En décembre 2010, les prix du blé, de l'huile, du maïs, du riz, de la viande et du lait ont atteint des prix record et on s'attend à de nouveaux records cette année. Le maïs a augmenté de 60%, le blé de 43% et le sucre de 77%. Conséquence générale de l'aggravation de la crise structurelle du capitalisme, de telles augmentations ont eu, et continuent d'avoir, des effets dévastateurs du point de vue social dans une région qui importe près de 60 à 70% de ses aliments, en particulier dans des pays comme l’Égypte et la Tunisie, où près de la moitié des budgets des familles est réservé à l'alimentation. En Égypte, cette tendance est ressentie encore plus durement si on prend en compte la pression démographique dans un pays avec une partie très importante du territoire occupée par le désert, ainsi que les conséquences des politiques de libéralisation du secteur agricole et l'épuisement progressif des terres arables sur les bords du Nil.
La crise énergétique eut également une incidence dans certains de ces pays. Encore une fois, l’Égypte est un cas symptomatique. D'une part, la forte croissance de sa population entraîne une croissance significative de la consommation énergétique du pays, d'autre part, le fait que le pays ait déjà atteint son pic de production de pétrole et livré au capital étranger une partie très importante de son exploitation pétrolière, font que le pays est passé ces dernières années de la condition de pays exportateur de pétrole à un pays importateur. Les conséquences se firent rapidement sentir dans les bourses des Égyptiens, via des augmentations brutales du prix des combustibles et de l'énergie.
En conclusion, certaines des raisons des soulèvements populaires dans des pays comme l’Égypte, la Tunisie et d'autres pays, résident dans la question sociale et la distribution de richesse, à savoir dans la lutte de classe, et sont des faits indissociables de l'approfondissement de la crise structurelle du capitalisme sous ses diverses formes – économique, financière, alimentaire et énergétique.
Des luttes qui ne naissent pas d'aujourd'hui
Beaucoup de ces raisons ne naissent pas d'aujourd'hui, tout comme ne naissent pas d'aujourd'hui les contradictions du capitalisme, la crise qui lui est intrinsèque et les contradictions de classe grandissantes. Ni que les peuples du monde arabe « se sont réveillés » seulement maintenant face à ces problèmes, comme certains s'empressent de le conclure avec légèreté.
Non ! En Égypte et en Tunisie, il y eut une convergence de facteurs qui intensifient les contradictions de classe dans ces deux pays avec des régimes dictatoriaux violents, et par conséquent sans « soupape de sécurité » qui fasse baisser un peu la pression de la « cocotte-minute ».
Comme le prouvent les diverses luttes et mouvements de grève qui marquent depuis des années la réalité égyptienne et tunisienne, les problèmes de ces sociétés ne naissent pas d'aujourd'hui. Ce ne sont pas non plus les réseaux sociaux et les nouvelles technologies qui furent les facteurs déterminants contribuant, comme par miracle, à l'éveil d'une nouvelle conscience sociale au sein du peuple. En Égypte, les utilisateurs d'Internet étaient en décembre 2010, 24,5% de la population et à cette heure le taux de pénétration de Facebook était approximativement de 7%. Comme le rappelait un militant égyptien à l'époque des grandes mobilisations de la Place Tahrir, Facebook fut essentiellement utilisé pour faire connaître les actions et ses résultats, et non pour organiser les actions et encore moins définir son contenu politique.
La vérité, c'est que les problèmes de ces sociétés existaient déjà et étaient la cible des travailleurs et des forces progressistes écrasés par les dictatures soutenues par les États-Unis, l'Union européenne et l'Internationale socialiste.
Luttes qui en Égypte furent violemment réprimées (comme en 2008 et 2009) et qui provoquèrent la création de nouveaux syndicats rompant avec la centrale syndicale égyptienne contrôlée par le régime de Moubarak, qui jouèrent un rôle important dans l'impulsion des grèves qui finirent par se révéler fondamentales dans le renversement de Moubarak.
Luttes qui, dans le cas de la Tunisie, furent fondamentales pour faire glisser l'UGTT sur des positions opposées au régime de Ben Ali, et pour, grâce à l'action de différentes forces progressistes, y compris les communistes, construire rapidement un front populaire et progressiste qui mette en échec les tentatives successives d'écrasement et de subversion de la révolte tunisienne, démontrant ainsi combien il est important d'allier à la créativité, et même la spontanéité, des masses en mouvement à l'action de forces organisées porteuses de projets et de stratégies de lutte politique et idéologique capables d'imprimer aux mouvements de révolte le caractère de mouvements de véritable transformation sociale.
Cependant, les questions sociales ne sont pas les seules à être à l'origine de ces soulèvements. Comme cela est particulièrement évident dans les situations du Yémen et du Bahreïn, la révolte contre la présence étrangère et la domination nord-américaine (souvent identifiée à raison par les masses comme une des principales causes des nombreux problèmes économiques et sociaux et de la corruption généralisée) eut une incidence importante dans le déroulement des événements. Tout comme, effectivement, en Égypte, joua un rôle important la question de la solidarité avec le peuple palestinien et la condamnation du régime de Moubarak pour son soutien à la stratégie des États-Unis et d’Israël, surtout après les accords de Camp David en 1979, raison pour laquelle le nouveau régime, bien qu'étroitement lié aux intérêts de l'impérialisme nord-américain, s'est vu forcer de prendre la décision d'ouvrir le passage de Rafah, allégeant le blocus criminel israélien contre la Bande de Gaza.
Indépendamment des développements ultérieurs, les soulèvements dans des pays comme la Tunisie, l’Égypte, le Yémen (des pays avec une longue tradition progressiste et même révolutionnaire) et le Bahreïn ont lié de manière naturelle la lutte sociale à un sentiment anti-impérialiste. Ce fait ne peut être dissocié de l'Histoire de résistance et de lutte des peuples du monde arabe et c'est pour cette raison que l'impérialisme a vu ces mouvements comme de réels dangers pour son système déjà en décomposition de domination économique, politique et géo-stratégique dans la région. A un moment où l'impérialisme tente de revenir au vieux projet de Bush du « Grand Moyen-Orient », les événements dans le monde arabe ont une importance capitale. Indépendamment de son issue finale, ils ont réveillé parmi les masses de véritables sentiments anti-impérialistes, ce qui fait que ces peuples rentrent en contradiction avec les projets de l'impérialisme pour cette région.
La contre-offensive de l'impérialisme
Mais comme on pouvait s'y attendre, l'impérialisme n'est pas resté « assis » face à la remise en cause de son pouvoir dans la région et sa réaction ne s'est pas fait attendre. L'approfondissement de la crise du capitalisme ; l'aggravation du déclin économique relatif des puissances du centre impérialiste ; le déplacement colossal des « plaques tectoniques » de l'économie mondiale avec l'entrée en scène des puissances émergentes à la recherche de matières premières et de ressources énergétiques pour soutenir leurs croissances économique et démographique, autant de facteurs qui ont déclenché de nouveaux épisodes de l'offensive des principales puissances impérialistes pour assurer et renforcer leur domination du continent Africain à la Asie centrale, ces événements ont vu l'accélération de projets comme celui du « Grand Moyen-Orient » – relancé par Obama dans sa véritable déclaration de guerre aux peuples de la région que fut son dernier discours sur le monde arabe – ainsi que les vieux projets de domination de la France, de la Grande-Bretagne, de l'Italie et de l'Espagne qui virent dans ces événements, et dans la réaction face à ceux-ci, une opportunité pour accroître leur part du pillage des richesses naturelles de la région et pour monter d'un cran dans la hiérarchie de la domination impérialiste dans la région, rêvant de retrouver des positions perdues avec la fin de leurs empires coloniaux.
En dépit des contradictions inter-impérialistes qui s'intensifient de jour en jour, les États-Unis et les principales puissances de l'Union européenne se sont rapidement mis d'accord, ont manœuvré et conspiré contre les peuples en lutte, tentant dès lors ouvrir des fronts d'offensive et d'ingérence qui « ré-équilibrent » la « balance » dans la région.
En affrontant la force irrépressible des manifestations populaires en Tunisie et en Égypte, l'impérialisme a tenté de regagner du terrain et de gagner du temps pour contenir et « domestiquer » les soulèvements et, dans le même temps, regagner une certaine « crédibilité » complètement perdue avec la défense jusqu'au boutiste des dictateurs. Ayant été contraints de lâcher Moubarak et Ben Ali, les principales puissances impérialistes se sont empressés ensuite de faire émerger des figures et d'élaborer des solutions politiques qui lui garantissent le maintien de l'essentiel de son pouvoir économique, politique et militaire, y compris avec la mise en avant de forces islamiques dites « modérées », comme les Frères musulmans.
Dans le même temps, fut lancée une campagne idéologique et médiatique de dimension mondiale autour du concept « révolution » (largement répandu par la chaîne Al-Jazeera, basée au Qatar et clairement au service de la réaction arabe et de l'impérialisme), qui, tirant partie de la volatilité de la situation sur le territoire, de la relative faiblesse des forces progressistes et du mouvement ouvrier, a maintenu dans les limites de l' « acceptable » les conséquences des mouvements populaires allant ainsi jusqu'à s'opposer à certaines franges des bourgeoisies nationales qui souhaitent une sorte de « modernisation » du même système d'exploitation et d'oppression auquel ils avaient besoin de donner une « couverture » démocratique. Il s'agit de « révolutions de façade » gonflées de plans d' « aide » du FMI, de la Banque mondiale et de l'Union européenne, qui tentent d'empêcher de véritables révolutions populaires, démocratiques et nationales, d'accentuer la dépendance de ces pays vis-à-vis des principales puissances impérialistes mondiales et, dans le même temps, d'acheter les bourgeoisies nationales et de lier encore plus leurs intérêts aux intérêts des grands groupes économiques transnationaux.
Il s'agit de manœuvres qui furent dès le début soigneusement préparées par les services secrets, les agences et agents de l'impérialisme nord-américain et européen et qui furent plus une démonstration d'hypocrisie et de leur détermination à ne pas laisser d'espace et de marge de manœuvre à la souveraineté des peuples, à la véritable démocratie et au respect de la volonté populaire.
Cela fut plus qu'évident dans la manière dont les États-Unis et l'Union européenne ont traité les situations au Yémen et au Bahreïn, deux territoires trop importants du point de vue géo-stratégique (ayant toujours en tête l'affrontement et le conflit militaire latent avec l'Iran) pour que l'on puisse jouer le jeu des « révolutions de façade ». Dans ces deux pays, la réaction à plusieurs mois de mouvements de masse puissants se solda par des centaines e morts et des milliers de blessés, et une persécution et une répression brutales. Au Bahreïn, l'Arabie saoudite, aux ordres de l'administration américaine, a envoyé sur le territoire (sous le couvert d'un mandat de la Ligue arabe complètement instrumentalisée par les États-Unis) 1 500 soldats saoudiens avec comme mission d'écraser par la force les manifestations populaires, tirant et tuant des manifestants pacifiques. Au Yémen, les États-Unis jouent la carte de la division ethnique, bombardant le Sud avec ses forces aériennes au nom du combat contre la toujours pratique et utile Al Qaed, et le régime d'Ali Abdullah Saleh est impliqué dans les complots qui ont permis, au nom de la « lutte contre le terrorisme », d'accentuer encore plus la répression contre les mouvements populaires.
Les cas de la Libye et de la Syrie
C'est en prenant en considération cette stratégie de réponse multiforme et nécessaire aux événements et les grandes tendances de fond de la situation internationale – notamment la réponse nécessaire de l'impérialisme à la crise du centre capitaliste, tirant profit de son avantage militaire (réponse manifestée dans le concept stratégique de l'OTAN adopté lors du Sommet de Lisbonne) – que doivent être analysés les événements en Libye et en Syrie.
Les situations de ces pays diffèrent, en mieux, de la situation dans les pays déjà analysés ici. Cela ne signifie pas qu'il n'y existe pas de nombreux problèmes d'ordre social, économique et politique. Que ce soit le gouvernement libyen, ou l’État syrien et les deux Partis communistes qui s'y trouvent reconnaissent l'existence de problèmes. Ces systèmes politiques ne sont pas pour les communistes portugais des exemples de démocratie et de participation populaire, en dépit de leurs traditions progressistes et anti-impérialistes.
Mais ce serait une grossière erreur d'analyse d'attribuer exclusivement (ou même essentiellement) à des facteurs internes les causes des développements actuels dans ces deux pays. S'il est certain qu'il existe un mécontentement populaire et que la situation sociale s'est dégradée en raison de l'adoption progressive de l' « économie de marché », de l'application des recettes du FMI (Libye), de la poursuite de politiques de privatisation et de désinvestissement dans les fonctions sociales (Syrie), le fait est que si la situation a rapidement glissé vers des conflits armés internes, cela fut le résultat de fortes activités extérieures de déstabilisation et d'incitation au conflit, qui cherchaientt à préparer et justifier l'ingérence et l'agression extérieure contre ces pays qui sont dans la ligne de mire de l'impérialisme nord-américain depuis de nombreuses années et qui, comme cela est manifeste dans le cas de la Syrie, sont la cible de provocations et d'attaques continuelles.
L'espace qui nous est réservé ne permet pas la dénonciation détaillée des multiples plans subversifs des États-Unis et des pays européens, comme la Grande-Bretagne, dans la préparation de l'agression contre la Libye, ou encore la remise en cause de mensonges comme ceux du « bain de sang » mené par le régime Libyen par des « bombardements de civils par les forces aériennes ». Des accusations démenties par l'ambassadeur du Portugal à Tripoli, dont les déclarations furent délibérément occultées et ignorées par le gouvernement portugais, qui a voté au Conseil de sécurité de l'ONU l'agression et l'ingérence dans les affaires intérieures de la Libye pour ce qui est un affront indiscutable fait à la Constitution de la République et à la Charte des Nations unies.
Dans le cas de la Libye, la réalité s'est chargée rapidement de démentir l'argument fallacieux de la « protection des civils », euphémisme utilisé pour justifier l'application du nouveau concept stratégique de l'OTAN d'intervention militaire dans les conflits internes. Comme le PCP l'a dénoncé, la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies – une étape et un précédent gravissimes de la part de cet organe dans le mépris le plus total pour le Droit international et pour la souveraineté des peuples, révélateur du degré d'instrumentalisation à laquelle l'ONU est soumise – visait à déclencher (en dépit des contradictions mises en évidence par les positions de pays comme l'Allemagne) une guerre typique d'agression impérialiste, qui vise à soumettre, partager ou occuper le pays disposant des réserves de pétrole et de gaz naturel les plus importantes du continent africain. Une guerre en tout point similaire aux guerres de Yougoslavie, d'Irak et d'Afghanistan, construite sur la base de mensonges, d'actions de déstabilisation et de division interne et d'une vigoureuse campagne médiatique de diabolisation et d'isolement du gouvernement Libyen légitime. Les bombardements des complexes résidentiels et de diverses infrastructures civiles (y compris des structures fondamentales pour le fonctionnement des hôpitaux libyens), les centaines de morts et les milliers blessés victimes des bombardements de l'OTAN, les rapports sur la présence d'instructeurs de l'OTAN dans le commandement d'opérations terrestres des dits « rebelles », l'utilisation de mercenaires yéménites, égyptiens et algériens dans la guerre contre l'armée régulière libyenne, comptent parmi les nombreuses preuves du crime que l'OTAN commet là-bas, au mépris même de la résolution criminelle déjà citée 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU.
Les richesses naturelles de la Libye, la possibilité d'installer là-bas l'AFRICOM et, surtout, le danger qu'une Libye indépendante et souveraine pourrait signifier pour les plans de l'impérialisme, dans une région en plein bouleversement, sont les véritables raisons de cette guerre. Mais il y en a une troisième : c'est que cette agression est déclenchée contre le peuple libyen mais aussi contre tous les peuples de la région. C'est un message clair envoyé par l'impérialisme aux masses populaires en lutte que cette « chose étrange » qu'est la volonté souveraine et populaire a des limites et qui concerne ceux qui sont intégrés au système de domination de l'impérialisme et le remettent en cause. C'est pour cela qu’indépendamment des critiques que l'on pourrait – et que l'on peut – faire au régime actuel libyen, la solidarité avec la résistance de ce peuple à l'agression extérieure est un devoir internationaliste et un acte de solidarité pour tous les peuples de la région et du Monde.
Nous ne savons pas quelle sera l'évolution des événements en Syrie au moment de la publication de cet article, mais les données disponibles indiquent clairement une même stratégie de déstabilisation extérieure et une possible agression militaire. Effectivement, la Libye et la Syrie font partie de la liste bien connue, élaborée par l'administration Nord-américaine et rendue publique par le général Wesley Clark, des sept pays qui, après 2001, devaient être, tôt ou tard, la cible d'interventions militaires de la part des États-Unis et d'invasions, pays qui comprenaient l'Irak et l'Afghanistan ainsi que l'Iran. La consolidation de l'axe Iran/Syrie en réponse à la politique criminelle et de génocide d’Israël, des États-Unis et de l'Union européenne contre le peuple palestinien et dans la résistance au projet de « Grand Moyen-Orient » sont quelques-unes des raisons qui sont derrière la décision de procéder à la déstabilisation et à la possible agression contre le peuple syrien.
Dans les médias, est lancée une campagne de diabolisation du Gouvernement syrien et d'incitation à la violence, en occultant de façon méthodique des faits comme le massacre de plus d'une centaine de policiers syriens – qui, bien sûr, ne peut qu'être le résultat d'une opération militaire d'une ampleur considérable ; la saisie par les autorités syriennes, dans les semaines qui ont précédé la dégradation de la situation sur le terrain, de navires et d'automobiles chargés d'armes provenant du Nord du Liban ; les rapports selon lesquels des réfugiés irakiens vivant en Syrie (près d'un million) étaient payés pour participer à des manifestations contre le gouvernement de Bachar Al-Assad, ou encore la révélation selon laquelle une prétendue blogueuse syrienne lesbienne, supposée victime de la répression, se trouvait finalement être un citoyen écossais.
Tout comme en Libye, en Syrie la question n'est pas de savoir s'il existe ou non des problèmes. Ils existent et ils sont bien dénoncés par ses deux Partis communistes. Les luttes vraiment populaires pour plus de justice sociale et d'avancées démocratiques (qui ne datent pas d'aujourd'hui) ont toute notre solidarité, tout comme la lutte du peuple syrien pour l'intégralité territoriale de son pays et pour la récupération des territoires occupées par Israël, en particulier le plateau du Golan.
L'enjeu en Syrie en ce moment est précisément sa souveraineté, son indépendance et son intégralité territoriale. Il est temps de manifester, sans réserves, notre solidarité envers ce peuple, de condamner les manœuvres de déstabilisation et de dénoncer la tentative d'instrumentalisation de difficultés internes pour l'ouverture d'un nouveau front de guerre impérialiste contre un pays souverain du Moyen-Orient. Pays qui, au fil des ans, a refusé de se soumettre à la domination impérialiste dans la région, opposant une résistance acharnée à la politique terroriste de l’État d’Israël.
Les peuples auront le dernier mot...
Les événements dans le monde arabe sont étroitement liés aux tendances de fond de la situation internationale. C'est un fait que la réponse de l'impérialisme s'est révélée forte, bien orchestrée et subtile, et elle compte sur d'énormes ressources économiques, politiques et militaires et un large soutien des médias dominants. Mais il est également vrai que, en dépit des insuffisances, flous et faiblesses des forces progressistes et révolutionnaires dans la région, les peuples du monde arabe se sont soulevés, ont retrouvé leur dignité et ont fait explosé des préjugés construits ces dernières années autour du concept de sinistre réputation du « choc de civilisations ». Opprimés et souillés par le discours de l'impérialisme pendant des décennies, ces peuples ont démontré à nouveau que les travailleurs et les peuples, unis, mobilisés et à la tête de puissants mouvements de masses, ont en fait le pouvoir de transformer le Monde. Nous espérons que, malgré l'ampleur de la contre-offensive de l'impérialisme dans cette région, les peuples savent de quel côté de la barricade il faut être à chaque instant, s'assurant que, dans une situation extrêmement complexe et pleine de contradictions, ce soient eux qui aient le dernier mot, triomphant de la réaction et transformant des révoltes en véritables révolutions.