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CHANTS REVOLUTIONNAIRES

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26 octobre 2014 7 26 /10 /octobre /2014 13:57

                                     

         TRAITE TRANSATLANTIQUE : La casse du siècle

 

 

 

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26 octobre 2014 7 26 /10 /octobre /2014 13:41

                                                                       lvres en ligne 1027

 

 

canfora-1914.jpg

Compte-rendu AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

 

Le petit livre de l'historien, spécialiste de l'Antiquité, Luciano Canfora, est sans doute le premier ouvrage à lire en ce centenaire du début de la Grande guerre. L'un des rares, si ce n'est le seul, qui éclaire la question des origines, des causes, des responsabilités du conflit.

 

Jamais autant de livres n'ont été publiés sur la guerre de 1914-1918, emplissant les étals avec des réflexions sur l' « expérience de guerre », la « vie dans les tranchées », le rapport à la mort, au corps, à la violence.

 

Une conception anthropologiquede la guerre, quasi éternelle, rapportant à l' « humain » générique, détachée de toute historicisationdu conflit : d'où vient-il ? quelles furent ses conséquences ? Au-delà des expériences uniformes, quelle dimension de classe de la guerre ?

 

C'est le mérite du livre de Luciano Canfora – dont on sait la capacité à détruire certains mythes persistants, notamment sur la démocratie (voir son magistral « La démocratie, histoire d'une idéologie » –, celui de combattre certaines idées reçues, incontestées par la littérature récente, d'historiciser de nouveau le conflit.

 

Dans ces notes issues d'une vingtaine de conférences prononcées sur la RAI, la radio italienne, Canfora nous invite à repenser le conflit sous un autre angle que celui de l'idéologie dominante.

 

La guerre était-elle inévitable ? (1) Rivalités entre impérialismes, tensions et contradictions irréconciliables

 

La première idée reçue démontée par Luciano Canfora est celle qui réduit la Grande guerre à l'horizon 1914-1918 – c'est le cas de la plupart des livres « commémoratifs » sortis en 2014.

 

D'une part, il questionne, adopte tout en la critiquant l'approche d'Ernst Nolte, cet historien allemand controversé qui considère la Première et la Seconde guerre mondiale dans un même continuum de 1917 à 1945, faisant de la révolution russe née du premier conflit mondial le déclencheur d'une réaction fasciste puis nazie, qui plongera l'Europe dans un second conflit.

 

Canfora rappelle que Thucydide refusait de considérer la guerre du Péloponnèse comme deux conflits séparés mais les englobait dans une même guerre entre 431 et 404, considérant les moments de paix comme de simples trêves entre bélligérants.

 

Canfora épouse cette thèse mais pour lui, Nolte oublie que le point de départ n'est pas 1917 mais 1914 avec la rupture de l'équilibre européen, la brutalisation des sociétés, la guerre totale auxquelles la révolution russe fut une réaction, de la part de la seule force politique qui s'est opposée au conflit.

 

D'autre part, Canfora rappelle les origines lointaines du conflit de 1914. Adoptant l'approche léniniste de la lutte entre impérialismes, il rappelle la lutte entre ces impérialismes pour le partage du monde, afin de conquérir marchés, sources de matières premières, main d’œuvre peu onéreuse.

 

Sur la question de la responsabilité allemande, le traitement de Canfora est circonspect. Il balaye d'abord l'alibi commode de la seule culpabilité allemande soulignant combien la poursuite d'une politique impériale, d'intérêts égoïstes est le propre de toutes les puissances.

 

C'est pour ensuite – rejoignant les thèses exposées il y a un demi-siècle par l'historien allemand Franz Fischer – aussi réfuter la défense de l'establishment allemand après la guerre :

 

celle d'une absence de responsabilité allemande, d'une ligne « modérée » (celle de Bethamnn-Hollweg, chancelier en 1914) battue par une ligne « belliciste » devenue dominante par faute de la politique suivie par les autres puissances européennes.

 

Or, Canfora comme Fischer s'accordent pour remarquer que les buts de guerre (Kriegsiele) de la classe dirigeante était convergents, « modérés » comme « bellicistes » : s'emparer des districts miniers de Belgique et de Pologne, s'étendre vers l'Est jusqu'aux marges de la Russie.

 

Adjointe à cette ligne européenne visant à assurer les matières premières pour l'industrie allemande, une politique mondiale (Weltpolitik) lorgnant vers l'Afrique équatoriale et le Moyen-orient, dont la construction de la ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad est l'illustration la plus nette, rentrant en conflit avec les intérêts britanniques en Perse.

 

Ces objectifs rentraient naturellement en contradiction avec ceux de la France. Un conflit évidemment alimenté par l'esprit de revanche, né de la perte de l'Alsace-Lorraine en 1870, ancré dans les guerres franco-allemandes depuis l'invasion napoléonienne.

 

Mais aussi un conflit de plus en plus vif autour des empires coloniaux naissants en Afrique. Les conquêtes allemandes en Afrique équatoriale et occidentale menacent les possessions belges, françaises et anglaises. Les conflits entre trusts allemands et français au Maroc déchirent le pays.

 

Les crises marocaines de 1905 puis 1911 plongent l'Europe au bord du précipice. Finalement, l'Allemagne cède sur l'influence française au Maroc en échange de la garantie de ses possessions en Afrique équatoriale.

 

Toutefois, l'antagonisme franco-allemand est désormais structuré de façon définitive. Le premier enjeu pour la France est bien la préservation et l'extension de son empire colonial.

 

La Grande-Bretagne, elle aussi, voit sa rivalité durable avec la France se transformer en peur de l'expansion allemande.

 

A la prédilection pour la neutralité dans les conflits européens, la Grande-Bretagne change de position pour trois raisons : les craintes de toute hégémonie en Europe, celle d'une puissance rivale économiquement, enfin de l'affirmation d'une puissance coloniale mondiale.

 

Ces trois facteurs – longtemps associés à la France révolutionnaire/napoléonienne – sont désormais rapprochés de l'Allemagne wilhelmienne qui vient contester l'hégémonie mondiale de l'Empire britannique.

 

Ces éléments encouragent la classe dirigeante britannique à cette « Entente cordiale » étonnante pour les observateurs de l'époque avec la France en 1904, entre deux puissances au bord de la guerre au Soudan et en Birmanie, quelques années plus tôt.

 

Enfin la Russie, elle aussi menacée par le Drang nach osten (la marche vers l'est) de l'Allemagne mais surtout soucieuse de se tailler sa propre zone d'influence en Europe du sud-est, dans les Balkans en usant du pan-slavisme, près de la Turquie pour le contrôle des détroits et des mers chaudes.

 

De ce fait, elle entre en conflit avec deux colosses fatigués : l'Autriche-Hongrie et l'Empire ottoman.

 

Voilà ce qui explique les guerres balkaniques de 1912-1913, répétition générale de la Première guerre mondiale. Prétextant du pan-slavisme, la Russie soutient Serbie, Bulgarie, Monténégro et Grèce dans la Ligue balkanique contre l'Empire ottoman, chassant les Turcs hors d'Europe.

 

Mais les rivalités entre puissances slaves vont conduire à une nouvelle guerre entre Serbes (coalisés avec les autres pays de la Ligue) et Bulgares, conduisant à la victoire des premiers. L'issue de ces conflits meurtriers : c'est le renforcement de l'influence russe dans les Balkans, la menace qu'elle fait peser sur l'Autriche-Hongrie qui contrôle la Bosnie, l'humiliation turque et bulgare.

 

Si l'Allemagne de Bismarck cherchait une « Sainte alliance » prusso-austrio-russe, il ne subsiste en 1914 qu'un bloc central austrio-prussien, bénéficiant des sympathies ottomanes et bulgares – par la suite des guerres balkaniques –, avec une hostilité violente entre Serbie et Autriche.

 

De ce système d'alliances déjà structuré, de ces tensions exacerbées en Europe et ailleurs, à ce choc des impérialismes, il ne manque qu'un détonateur.

 

Une chose est sûre, si l'expansionnisme allemand semble être à l'origine des tensions au début du XX ème siècle … c'est aussi parce que l'impérialisme pan-germanique est le dernier servi, il veut sa « place au soleil » face aux empires français, britannique et russe déjà constitués.

 

La guerre était-elle inévitable ? (2) Réaction en chaîne du système d'alliances et contingences historiques

 

En 1914, deux blocs d'alliances se font donc face : la Triple-Alliance entre Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie face à la Triple-Entente, Russie, Grande-Bretagne et France. Deux alliances aux mécanismes de solidarité complexes en cas de guerre défensive, mais contraignants.

 

Canfora tente d'éviter toute conception fataliste de l'histoire, faisant référence tantôt à la nouvelle des « Jardins des sentiers qui bifurquent » de Jorge Luis Borges, ou à l'Hercule de l'Apologue de Xénophon : chaque moment historique recèle une multitude de chemins, de possibilités.

 

Certes, la nature contraignante du système d'alliances ainsi que les tensions inter-impérialistes accumulées, donnent à l'enchaînement qui mène à la guerre une dimension inéluctable :

 

l'assassinat du prince héritier autrichien à Sarajevo, l'ultimatum puis la déclaration de guerre autrichienne à la Serbie, la mobilisation générale russe, la déclaration de guerre allemande à la Russie puis à la France, l'entrée en guerre de la Grande-Bretagne après l'invasion de la Belgique : tout semble écrit, inéluctable.

 

Or, Luciano Canfora montre bien que derrière cette apparente logique implacable, il y a des contradictions internes, des décalages dans les consciences des acteurs, souvent bien différentes des idées reçues.

 

En effet, dans le camp austro-hongrois, perçu comme globalement pousse-à-la-guerre derrière le Ministre des Affaires étrangères, le comte Berchtold, d'autres voix comme le vénérable comte Tisza tentent de modérer l'Empereur, soulignant l'injustice d'une invasion de la Serbie sur un prétexte douteux, le danger pour l'Autriche d'une guerre dans une situation défavorable.

 

Dans le camp allemand, Canfora dénonce bien la vacuité des thèses sur les deux fractions dans la classe dirigeante allemande, révélant que la « colombe » Bethmann-Hollweg a conçu l'invasion de la Belgique, la blitzkrieg contre la France pour ensuite s'attaquer à la Russie.

 

Mais c'est aussi pour révéler combien les documents d'archive soulignent la conviction du Kaiser Guillaume II – décrié dans l'historiographique comme moitié dément, aventureux – que la guerre pouvait être évitée par un traitement négocié entre l'Autriche et la Serbie.

 

Ces oscillations, hésitations, déchirements semblent indiquer des contradictions internes au bloc central, ainsi que des responsabilités plus partagées que ce qu'on l'admet communément. Des atermoiements bouleversés par le flot des événements, préparés sur le long-terme.

 

La guerre était-elle inévitable ? (3) La faillite du mouvement socialiste européen

 

Selon l'auteur, le dernier rempart face au « massacre inutile » de 1914-1918 (pour reprendre les termes du pape Benoît XV) était non pas la conscience ou la prudence des dirigeants européens liés aux Anciens régimes du XIX ème siècle, mais l'engagement des classes ouvrières européennes.

 

Une classe ouvrière représentée par les partis socialistes qui s'étaient promis, en cas de conflit, de croiser les bras, de déclencher la grève générale pour empêcher une guerre fratricide, de privilégier la solidarité de classe internationale à la collaboration inter-classiste nationaliste.

 

Citant Fernand Braudel, Canfora rappelle que la vision que nous avions en 1914 était celle d'un continent moins « au bord de la guerre, qu'au bord du socialisme ». Et ce fut justement la guerre qui empêcha une transformation profonde, socialiste des sociétés européennes.

 

Une analyse peut-être un peu optimiste mais 1914 était bien l'heure de vérité, de ces moments où les partis ont à faire des choix décisifs. Les socialistes ont fait le mauvais choix, celui de l' « Union sacrée », du carnage massif au profit de quelques possédants.

 

Le 4 août 1914 marque la trahison de la social-démocratie allemande – modèle pour tout le socialisme européen, en réalité déjà intégrée au système politique bourgeois national – qui vote les crédits de guerre, bientôt suivie par les socialistes français.

 

Dans cette tempête qui ébranlera les convictions des pacifistes idéalistes comme Jaurès assassiné le 31 juillet 1914, conduira au ralliement guerrier la majorité des socialistes européens, les exceptions se font rares.

 

Quelques personnalités comme Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg en Allemagne, le courant bolchevique en bloc en Russie mené par Lénine bien sûr. Canfora y rajoute le mouvement socialiste italien en 1914, dont la position est facilitée par la neutralité italienne jusqu'en 1915.

 

Le revirement d'un Mussolini, farouche pacifiste en 1914 puis violent interventionniste en 1915 – acheté peut-être par les services secrets français ou britanniques, assurément par les cercles militaires et économiques – est un cas extrême de l'opportunisme des cadres socialistes italiens.

 

Déjouer la propagande de guerre (1) Sarajevo : un prétexte pour la guerre

 

Dans des analyses toujours actuelles, Canfora s'attacher à démonter les principes de la propagande de guerre.

 

Le premier est celui du prétexte pour l'entrée en guerre. Nul ne prétend que l'assassinat de Sarajevo est la cause de la Première guerre mondiale, au mieux un déclencheur, en réalitéun prétexte pour un conflit voulu et attendu dans les sphères dirigeantes allemandes ou autrichiennes.

 

Canfora reconstitue avec précision les faits du 28 juin 1914, il souligne les négligences coupables tant de la part du gouverneur que du chef de la sécurité

 

Le prince héritier, victime d'une première tentative d'attentat dans la journée, réclame une déviation de son parcours initial, le cortège suit une voie alternative avant de replonger dans une avenue François-Joseph centrale sans protection. En pleine manœuvre pour faire demi-tour, le prince est touché mortellement par un nationaliste serbe, Gabriel (« celui qui annonce »!) Prinzip.

 

Le casus belli idéal contre la Serbie est tout trouvé. Une commission d'enquête (cela nous rappelle des faits plus récents …) est lancée, bâclée, bidonnée, cherchant à forcer la culpabilité du gouvernement serbe dans l'armement et l'aide au « terroriste » Prinzip.

 

Les preuves sont tout sauf évidentes, elles sont suffisantes pour l'envoi d'un ultimatum au gouvernement serbe en 9 points violant ouvertement la souveraineté serbe :

 

pourtant 8 des 9 points (sauf la participation de l'Autriche à une enquête en Serbie, prévoyant la poursuite et l'arrestation de dignitaires serbes!) sont acceptés, une « capitulation » qui ne suffit pas à l'Autriche qui entre en guerre le 28 juillet, un mois après l'attentat.

 

L'enlèvement d'Hélène, la protection des Gaulois contre les Helvètes, la défenestration de Prague, l'attaque contre le Lusitania, Pearl Harbour, l'attaque contre le navire du Golfe du Tonkin, l'invasion du Koweit : les prétextes des conflits cachent derrière de nobles principes, l'argument d'une guerre défensive, des intérêts égoistes, des desseins impériaux, la guerre de 1914 n'y échappe pas.

 

Déjouer la propagande de guerre (2) Démocratie contre autoritarismes : qui sont vraiment les peuples civilisés ?

 

Au cœur de l'argumentaire de toutes les puissances en conflit en 1914, deux idées : (1) celle d'une guerre défensive contre des puissances agressives ; (2) celle d'une guerre de la « civilisation », de la « liberté », de la « démocratie » contre des « dictatures », des peuples « barbares ».

 

Sur l'idée de guerre défensive ou de frappe préventive (encore des termes à résonance actuelle), chaque camp construit sa légitimation : l'Autriche répond à l'attentat serbe, la Russie défend le peuple serbe agressé, l'Allemagne se défend de la menace russe, la Grande-Bretagne protège la Belgique neutre, la France riposte à la guerre lancée par l'Allemagne.

 

Sur l'idée d'un conflit de civilisation, là encore l'argumentaire suit une propagande rodée.

 

Côté allemand, on se présente comme le sommet de la culture humaniste et scientifique (Kultur) opposée à la culture mercantile, décadente anglo-française (Zivilisation), ainsi qu'à ce pays de « moujiks », de barbares qu'est la Russie.

 

Ce dernier argument sera le mot de d'ordre de ralliement des socialistes allemands, prêts à rejouer la partie « des sans-culottes français en 1793 » pour reprendre les termes d'Engels à la fin du XIX ème siècle, révélant le niveau de russophobie dominant dans la culture progressiste allemande.

 

Un Engels qui a nourri bien des illusions également sur la possibilité d'arriver au socialisme par la voie électorale ou celle de conquérir l'armée par la présence croissante d'électeurs socialistes. Karl Liebknecht a bien montré comment l'armée allemande, au contraire, construisait des sujets obéissants au Reich, conformistes, prêts à se fondre dans le moule militariste et nationalistes.

 

Citant Tacite, Canfora rappelle que la seule frontière séparant historiquement Germains et Sarmates était le « mutus metus », la peur réciproque.

 

Côté français mais aussi anglais et italien, on connaît mieux l'idée d'une lutte entre « démocraties » occidentales et « autoritarismes » centraux.

 

Or, l'argument ne résiste pas, pour plusieurs raisons. D'abord, parce que le pilier de la Triple-Entente reste la Russie, phare de la réaction obscurantiste européenne, qui avait réprimé dans le sang la révolution de 1905. Tout sauf une démocratie en 1914.

 

Ensuite, parce que l'Allemagne wilhelmienne est un régime complexe. Un des premiers pays à avoir instauré le suffrage universel, accueillant le mouvement ouvrier le plus puissant d'Europe, hôte d'une culture littéraire, philosophique, scientifique sans égal en Europe.

 

Face à elle, l'Italie et la Grande-Bretagne n'ont pas encore levé tous les freins au suffrage universel, peinant à dépasser l'obstacle du vote censitaire, gangrenés par diverses formes de clientélisme, de corruptions, des « rotten bouroughs » anglais au système semi-mafieux du Sud italien.

 

Par ailleurs, comme le rappelle L.Canfora, tous les régimes ont vu pendant la guerre une inflexion vers des formes autoritaires de gouvernement : censure, abolition de facto du parlement, absence d'élections, répression brutale, allant jusqu'à la dictature militaire en Allemagne.

 

Déjouer la propagande de guerre (3) 1914 et le bourrage de crâne, la construction de la haine de l'ennemi

 

Enfin, une fois le conflit déclenché, il s'agissait pour les classes dirigeantes européennes de fabriquer le consentement à la guerre, avant tout donc de forger une image diabolisée de l'ennemi, de légitimer une guerre injuste de rapine comme étant une guerre juste de salut public.

 

Les vieilles oppositions, les antiques préjugés sont remobilisés : celle des Latins contre les Germains pour les Italiens, des Germains contre les Huns côté allemand … les exemples se déclinent selon les puissances en question.

 

La campagne de Belgique, à l'automne 1914, devient enjeu d'une intense guerre de désinformation, visant à accuser l'ennemi d'actes barbares, donnant un prétexte à l'intervention.

 

L'Allemagne se voit en effet opposé une résistance opiniâtre du peuple belge, inattendue, et qui durera près de trois mois. Face à cette guérilla, l'Allemagne ne lésine pas sur les moyens : bombardements, déportation de civils, villages brûlés.

 

La presse française et britannique multiplie les compte-rendus sur le peuple belge « martyr », sur la violation inacceptable de la neutralité belge, l'incendie de sommets de la civilisation comme la Bibliothèque de Louvain.

 

Aucun procédé n'est exclu dans cette guerre de propagande : l'impression de journaux de complaisance (comme la « Gazette des Ardennes » financée par l'Allemagne, « Die feldpost » par la France), la diffusion de faux comme ceux de Hansi payé par la France et qui dénonce l'impérialisme allemand en divulgant des documents secrets allemands falsifiés.

 

L'Allemagne va répondre par célèbre Appel au monde civilisé (Aufruf an die Kulturwelt) d'octobre 1914, 93 des plus grands intellectuels allemands (dont un certain nombre de Nobel) répondent aux accusations lancées contre l'Allemagne sur le ton : « Ceci n'est pas vrai ».

 

Les intellectuels allemands dénoncent l'hypocrisie des puissances occidentales, fustigeant l'impérialisme allemand tout en pratiquant une politique expansionniste, usant de la neutralité de la Belgique comme d'un cache-sexe pour leurs objectifs militaristes.

 

Un texte emprunt toutefois d'un nationalisme violemment belliciste, unanimiste et raciste quand il dénonce les « Mongols et aux Nègres lâchés par les soi-disant puissances civilisées contre le peuple allemand ».

 

Conclusion

 

Canfora ouvre sur la période suivante, rappelant le parcours des « dictateurs militaires » Ludendorff et Hindenbourg, le premier appuyant le putsch militaire d'Hitler en 1923, le second livrant le poste de chancelier au même Hitler en 1933. De quoi tisser des liens de plus en plus occultés – jusque dans les manuels scolaires – entre 1914 et 1939.

 

On peut reprocher à Canfora de ne pas approfondir jusqu'au bout certaines explications, certains raisonnements, de nous laisser sur notre faim. Toutefois, le rappel de ces faits, de leur enchaînement, couplé à une érudition et une clarté sans failles sont salutaires à l'heure actuelle.

 

Ce compte-rendu parcellaire ne peut qu'encourager tous ceux désireux d'en apprendre plus, au-delà du discours officiel, sur le conflit de 1914 à lire cet ouvrage de Luciano Canfora.

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26 octobre 2014 7 26 /10 /octobre /2014 13:32

 

                                                                           ARGENT PATRONAL

 

 

 

cgt-mines-energie

 

Communiqué du 23 octobre 2014

La presse fait état d’une retraite complémentaire de l’ex-groupe SUEZ au bénéfice de Gérard MESTRALLET pour un montant de 833 641 euros.

 

Pour cela, le Groupe aurait provisionné quelques 103 millions d’euros pour les retraites chapeaux des 20 membres du comité de Direction de GDF SUEZ.

 

Pour la seule retraite complémentaire de Gérard  MESTRALLET, la provision s’élèverait à plus de 21 millions d’euros.

 

La CGT demande à la Direction Générale des éclaircissements sur le montant des retraites chapeaux et des provisions correspondantes.

 

Alors que des milliers de salariés du Groupe subissent une détérioration de leurs conditions de travail, alors que beaucoup vivent avec des salaires du niveau du SMIC, alors que le Groupe a mis en place un plan de rigueur énorme de l’ordre de 4,5 milliards d’euros, ils voient leur patron s’octroyer des modalités de retraite hors de l’entendement !

 

Après les guerres de pouvoir, les retraites dorées !

 

source : CGT mines énergie

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26 octobre 2014 7 26 /10 /octobre /2014 13:20

                                                                   MARE-NOSTRUM-copie-1

 

 

 

Entretien avec Claude Giorno - La situation socio-économique d’Israël  

 


Claude Giorno est de nationalité française. Il est senior économiste à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), où il travaille depuis 1986 dans le département des affaires économiques. Il a occupé différents fonctions dans ce département, avant de prendre la responsabilité de chef du bureau Israël depuis la fin 2013. Il a notamment été chef du bureau Australie/Grèce entre 2007 et 2013 et chef du bureau Espagne Suisse entre 2001 et 2006.
Claude Giorno est diplômé de l’École Nationale de la Statistique et de l’Administration Économique (ENSAE) en 1982.


Il revient pour Les clés du Moyen-Orient sur la question de la pauvreté, sur le marché du travail, sur la question énergétique et sur l’impact du dernier conflit de l’été 2014 sur l’économie d’Israël.

Quel est le niveau de la pauvreté dans la population, et comment s’analyse-t-il ?

La question de la pauvreté est une question très importante dans le cas d’Israël. Le taux de pauvreté de ce pays est en effet l’un des plus élevés de l’OCDE. Par taux de pauvreté, on entend ici taux de pauvreté relative, qui définit comme pauvres ceux dont les revenus sont inférieurs à 50% du revenu médian de la population. Ceci s’oppose à la notion de pauvreté absolue, moins fréquemment utilisée, qui définit comme pauvres les personnes qui n’ont pas les revenus suffisants pour satisfaire des besoins minimums, qui sont calculés à partir d’un panier de consommation.

L’analyse de la pauvreté relative en Israël révèle différentes réalités liées à la diversité de la société. Il y a en effet dans ce pays plusieurs communautés, que l’on peut schématiquement décomposer en trois grands groupes : les Arabes israéliens, les Juifs ultra-orthodoxes (ou « Haredim » qui signifie « Craignant-Dieu »), et le reste de la population (dite « mainstream »). Il y a en Israël 20 % d’Arabes israéliens et près de 10 % de Haredim. Il se trouve que la pauvreté est fortement concentrée parmi ces deux groupes, comme le montre le graphique ci-dessous, essentiellement pour deux raisons principales qui jouent de façon un peu différente dans les deux cas : le taux d’emploi, et le niveau d’éducation.

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Source : Bank of Israel (2013), Annual Report 2012 ; OCDE, base de données de l’OCDE sur le marché du travail, OCDE (2010) et Études économiques de l’OCDE – Israël 2013.

Parmi les Arabes israéliens, il y a un problème de taux d’emploi chez les femmes, qui travaillent très peu. Les hommes travaillent davantage, comme le montre leur taux d’activité et d’emploi élevé, mais leurs revenus sont faibles, ce qui tient partiellement à leur niveau d’éducation, mais également à la discrimination dont ils font l’objet. Le taux de pauvreté des Juifs ultra-orthodoxes est similaire à celui des Arabes israéliens. Chez les Haredim en revanche, la difficulté est principalement concentrée chez les hommes, pour des raisons culturelles. On le voit dans leur participation au marché du travail, qui est très faible. Cette situation est liée à l’éducation, non seulement parce qu’ils préfèrent continuer leurs études religieuses que d’entrer sur le marché du travail, mais également parce que dans leur cursus éducatif, on ne leur enseigne pas ce qui peut être utile sur le marché du travail, comme les mathématiques ou les langues étrangères. Les femmes travaillent davantage, mais le nombre d’enfants par femme étant élevé (autour de six ou sept actuellement), cela engendre une participation discontinue et irrégulière au marché du travail.

Dans les pays de l’OCDE, le taux de pauvreté moyen est légèrement supérieur à 10 %, or, en Israël, il est de 20 %, l’un des taux les plus élevés parmi les pays de l’Organisation. La situation s’est détériorée entre 2007 et 2011 notamment. Si l’on examine comment s’analysent les taux de pauvreté, on voit que les Juifs orthodoxes et les Arabes connaissent des taux de pauvreté en hausse depuis la fin des années 1990. Plus d’une personne sur deux appartenant à ces populations est en situation de pauvreté relative. Pour le reste de la population, le taux de pauvreté est similaire à la moyenne des autres pays de l’OCDE. On explique pour une large part ce fort taux de pauvreté global par le taux de pauvreté des deux populations citées.

Les deux graphiques suivants illustrent le taux d’emploi par groupe de population, pour les hommes (B) et pour les femmes (C).

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Source : Bank of Israel (2013), Annual Report 2012 ; OCDE, base de données de l’OCDE sur le marché du travail, OCDE (2010) et Études économiques de l’OCDE – Israël 2013.

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Source : Bank of Israel (2013), Annual Report 2012 ; OCDE, base de données de l’OCDE sur le marché du travail, OCDE (2010) et Études économiques de l’OCDE – Israël 2013.

Cette situation sociale et ces difficultés liées à la pauvreté posent des problèmes non négligeables si on se projette dans quelques décennies. Du point de vue démographique, les ultra-orthodoxes ont un taux de fécondité très élevé et celui des Arabes est également fort. Le taux de fécondité du groupe « mainstream » est en revanche similaire à ce que l’on observe dans le reste des pays de l’OCDE. Si on se projette en 2060, on arrive à une situation où les communautés Haredim et Arabes représenteront environ 50% de la population totale (un peu moins de 30% pour les Haredim et un peu plus de 20 % pour les Arabes). Si les comportements de ces communautés restent les mêmes en termes de participation au marché du travail et d’éducation, cela risque de générer de sérieux problèmes sur le plan de la croissance, du niveau de vie, de la capacité du pays à avancer.

La problématique posée, dont ont conscience les autorités, est importante et difficile à résoudre. Elle est d’ailleurs peut-être presque plus difficile à résoudre dans le cas des Haredim que dans le cas des populations arabes. En effet, le problème pour les populations arabes est un problème social, d’éducation, et un problème d’intégration culturelle des femmes au marché du travail. Dans le cas des Haredim, la difficulté est que cette communauté privilégie des valeurs spirituelles aux conditions matérielles de vie, et que dans une certaine mesure ils se satisfont de la situation souvent précaire de leurs conditions de vie. Dans les enquêtes sur le bien-être menées par l’OCDE en Israël, les populations arabes et « mainstream » accordent de façon similaire une importance élevée au travail et au niveau des revenus comme déterminant de leur « bien-être ». En revanche, les revenus et le travail ne semblent pas une priorité pour la population Haredim. Ceci soulève une question difficile pour les économistes, car leur tâche n’est pas d’imposer une norme ou de modifier les valeurs ou les objectifs des groupes sociaux qu’ils analysent, mais d’identifier les meilleurs moyens et de lever les obstacles existant pour que ces groupes atteignent leurs objectifs en termes de bien-être.

Quelle est la place des femmes sur le marché du travail, et y a-t-il de fortes disparités de situation entre les différentes communautés ?

Il y a une différenciation assez importante entre les communautés, comme nous l’avons vu précédemment. Les femmes appartenant à la catégorie de population « mainstream » ont un taux d’activité supérieur à celui des hommes dans la tranche des 20-24 ans, ce qui reflète en partie l’incidence du service militaire. Il existe des disparités de salaires entre hommes et femmes dans le cas d’Israël de façon générale. Cette différence est globalement plus marquée que dans les autres pays, toutes communautés confondues.

Quelle place occupent les ultra-orthodoxes sur le marché du travail ?

Il y a deux types d’obstacles à l’intégration des ultra-orthodoxes sur le marché du travail, que les autorités visent à promouvoir. Il y a d’une part une résistance de la part des Haredim à participer au marché du travail, parce qu’ils considèrent que c’est moins important que l’étude de la religion. Mais il faut aussi se placer du point de vue des entreprises, dans l’optique de la formation de ces personnes. En effet, les Haredim manquent souvent des compétences requises pour intégrer le monde du travail, car ils n’ont pas reçu dans leur éducation des cours de mathématiques ou de langues étrangères par exemple. Par ailleurs, il faut également envisager certains aspects pratiques : il est parfois difficile pour les entreprises de respecter par exemple une stricte séparation entre les hommes les femmes, ou bien d’observer toutes les restrictions alimentaires religieuses. Tout cela génère donc une double résistance, de la part des employés et de la part des employeurs. Dans les faits, on observe que nombre de femmes ultra-orthodoxes qui travaillent le font souvent dans le secteur des aides à la personne. D’un autre côté, le secteur de la haute technologie est très développé en Israël et essaye d’attirer une partie de la population des Juifs ultra-orthodoxes. De par leur éducation, les Haredim sont formés à échanger et à travailler en groupe, ce qui représente un grand atout pour travailler dans ce secteur, une fois qu’ils ont acquis les compétences de base nécessaires.

Y a-t-il des programmes spécifiques d’insertion des jeunes sur le marché du travail, et si oui, est-ce qu’ils sont ciblés sur les différentes communautés ?

Lorsque l’on étudie les résultats des études PISA de l’OCDE du point de vue de la qualité de connaissance des élèves de 15 ans, on relève des écarts considérables entre les résultats des Arabes et ceux du reste de la population (les Juifs ultra-orthodoxes ne sont pas pris en compte dans ces analyses). Les disparités socio-économiques, dont l’impact sur l’éducation est visible entre ces deux communautés, sont parmi les plus fortes des pays de l’OCDE, et des efforts importants sont nécessaires pour combler ce fossé. Des efforts en termes d’éducation sont actuellement faits en Israël pour améliorer les infrastructures destinées aux Arabes israéliens, car ce sont les moyens qui manquent très souvent pour cette communauté, avec un problème de nombre d’enfants par classe trop élevé, ou un nombre trop faible de professeurs. Un effort est donc fait pour compenser l’écart qui peut exister entre les moyens alloués aux écoles arabes israéliennes et les autres écoles, mais malgré tout, cet écart persiste encore.

En ce qui concerne les ultra-orthodoxes, il y a une résistance forte de la part de cette communauté à modifier le cursus de ses programmes pour y intégrer davantage de matières non religieuses. L’OCDE propose que l’État arrête de subventionner les écoles religieuses, à moins qu’elles intègrent dans leurs programmes des matières qui correspondent à ce dont des jeunes diplômés ont besoin pour entrer sur le marché du travail. Les juifs orthodoxes seront également obligés de participer au service militaire d’ici 2016, de façon progressive, suite au vote d’une nouvelle loi, ce qui devrait d’une certaine manière favoriser leur insertion.

Le taux de chômage des jeunes, qui s’élève à 12 %, est plus élevé que pour le reste de la population, pour laquelle il est d’environ 6 %. Le taux de chômage des jeunes est toutefois inférieur à son niveau dans la moyenne des pays de l’OCDE qui est de l’ordre de 16 %. Si l’on regarde plus précisément les taux de chômage des jeunes en Israël par communauté, il est probablement plus élevé pour les Arabes israéliens et pour les Juifs orthodoxes, dans le cas où ils se présentent sur le marché du travail. Le problème du chômage des jeunes n’est toutefois pas aussi aigu qu’en France, et ce n’est pas un thème que l’on retrouve couramment dans les médias ou dans les discussions publiques. Cependant, il existe malgré tout des difficultés qui sont liées à la sécurité de l’emploi et au niveau de revenu. S’il n’y a pas de problème de chômage, les revenus n’ont pas augmenté, et si un jeune va trouver facilement du travail, il ne sera pas forcément bien rémunéré. Le marché du travail israélien est assez flexible, avec peu de charges sociales, et de taxes.

Quel est l’impact du service militaire obligatoire sur l’économie ?

Le service militaire est obligatoire en Israël, compte tenu de la situation géopolitique du pays. Il est d’une durée de trois ans pour les hommes, et de deux ans pour les femmes. Pour les juifs ultra-orthodoxes, ce sera inférieur, environ 17 mois pour ceux qui seront visés par le service après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. La plupart des Arabes israéliens ne font pas non plus leur service militaire, mais ils peuvent effectuer un service civil. Le fait que les Arabes ne participent pas au service militaire fait qu’ils ont un taux de participation au marché du travail un peu plus élevé que les autres dans la tranche des 20-24 ans. Globalement, le service militaire retarde l’entrée dans la vie active des hommes surtout, mais aussi des femmes. Toutefois, il n’a pas qu’un aspect négatif du point de vue professionnel. Le service militaire est en effet un moyen d’établir des relations et d’acquérir des compétences utiles dans la vie civile. De nombreuses entreprises « high-tech » sont par exemple créées par des jeunes après leur service militaire. Le service militaire permet aussi de créer un réseau de contacts qui est souvent utile par la suite dans la vie professionnelle.

Un autre aspect lié au service militaire et à la situation géopolitique d’Israël est le coût des dépenses militaires, qui a un impact important sur le budget. En conséquence, cela impose au gouvernement des choix budgétaires : les dépenses civiles sont peu élevées, elles sont même parmi les plus faibles des pays de l’OCDE du fait de la politique d’orthodoxie dans la gestion des finances publiques menée par les autorités pour éviter des déficits publics et des taux d’imposition trop élevés. Mais en contrepartie, le système social est assez peu généreux, ce qui explique en partie les difficultés liées au problème de pauvreté.

D’un autre côté, le service militaire est aussi par certains aspects une source d’exclusion. Le service militaire est une institution importante pour un pays en guerre et beaucoup de droits, y compris sociaux, sont liés de façon implicite ou explicite à l’accomplissement du service militaire. Par exemple, dans le secteur du logement, une loi actuellement en discussion prévoit d’abaisser à zéro la TVA pour les primo-accédants, notamment les jeunes, avec des conditions d’éligibilité plus favorables pour ceux qui ont fait leur service militaire, ce qui est un moyen de pression pour que toutes les communautés le fassent. Le service militaire peut donc apparaître comme un moyen de ségrégation et de renforcement du clivage de la société.

Quel est l’impact sur l’économie de la mise en exploitation des nouveaux gisements de gaz (emploi, dépendance par rapport aux importations, recettes fiscales, environnement…) ?

La mise en exploitation de ces nouveaux gisements de gaz a eu un effet clairement positif sur l’activité. En 2013, l’impact positif sur la croissance était de l’ordre de ¾ de point de pourcentage. La croissance en 2013 était de l’ordre 3,3 % et sans l’effet de la mise en place du gisement de Tamar, elle se serait établie à 2,5%. Pour le début de 2014, l’impact positif est d’environ ¼ de point. Après 2015, on estime qu’il n’y aura quasiment plus d’effet positif sur la croissance lié à l’exploitation du gisement de Tamar. Toutefois, le gisement Léviathan, qui sera exploité sans doute à partir de 2018, devrait à nouveau produire un effet positif sur la croissance. Une des raisons du surplus de croissance tient à l’effet de substitution des importations de pétrole par la production nationale, qui a de facto des effets bénéfiques sur l’activité et les recettes fiscales. La découverte de ces gisements a d’ailleurs mené les autorités à modifier la réglementation concernant l’exploitation des ressources. Leur taux d’imposition, qui était comme le reste des activités de l’ordre de 30 %, a été porté aux alentours de 50 %, dans la mesure où ces gisements constituent une rente naturelle que possède le pays, qui n’est exploitable qu’une fois. Un autre intérêt de l’exploitation de ces gisements est de remplacer du fioul importé, plus polluant que le gaz, notamment pour produire de l’électricité. Sur le plan environnemental, cela est donc également bénéfique en termes de réduction des émissions de CO2. Enfin, Israël sécurise mieux son approvisionnement en énergie grâce à ces gisements. Le pays avait un accord avec l’Égypte qui possédait des réserves de gaz, mais suite aux difficultés rencontrées par l’Égypte ces dernières années, les approvisionnements ont beaucoup diminué.

Outre les effets sur la croissance et les recettes fiscales, l’exploitation des nouveaux gisements a également favorisé une appréciation du taux de change. Celle-ci est en partie liée aux effets positifs sur la balance extérieure, mais également aux opérations qui ont eu lieu avant les mises en exploitation, les gisements de Tamar et Léviathan nécessitant des entrées de capitaux étrangers. Les autorités ont donc décidé d’intervenir régulièrement sur le marché des changes pour limiter les pressions à la hausse sur le shekel. On observe tout de même depuis 2013 une forte appréciation du taux de change qui est peut-être en partie liée à ce facteur, même si cette appréciation s’est inversée depuis début août 2014.

L’appréciation du taux de change lié au développement de ressources naturelles, comme les gisements de gaz en Israël peut mettre en difficulté les autres industries, car elle réduit la compétitivité-prix. C’est ce qu’on appelle la « Dutch disease », un phénomène qui tire son nom de l’expérience des Pays-Bas dans les années 80, qui, suite à la découverte et l’exploitation de gisements de gaz, a vu son industrie manufacturière décliner à cause de l’appréciation de sa monnaie. Comme les réserves de gaz des Pays-Bas étaient limitées, une fois qu’elles ont été épuisées, le pays a été confronté à des difficultés économiques, car son industrie manufacturière avait été affaiblie et des entreprises de ce secteur avaient disparu à cause de leur manque de compétitivité. Pour éviter ce problème, la Norvège par exemple a pour politique de transformer ses richesses pétrolières, qui sont limitées, en ressources financières. Celles-ci sont placées dans un fonds souverain, lequel investit en monnaies étrangères, si bien que l’afflux de devises induit par les surplus pétroliers de la balance extérieure est neutralisé, ce qui limite l’impact sur le taux de change. Israël a également créé un fond souverain pour imiter le modèle suivi par la Norvège.

Quel est l’impact économique du conflit récent sur Israël ?

Il est difficile d’évaluer l’impact économique du conflit, mais si l’on se réfère à l’analyse des précédents épisodes de ce type, l’on peut s’attendre à un affaiblissement temporaire de l’activité en Israël. Le caractère temporaire des conséquences sur l’activité est lié par exemple au fait que des personnes ne vont pas travailler parce qu’elles sont appelées en tant que réservistes, ou bien la productivité chute du fait du conflit, à cause de problèmes d’acheminements des produits. La consommation privée et le tourisme, qui sont importants pendant la période estivale, ont été aussi perturbés et affaiblis. Toutefois, ces difficultés sont généralement rapidement résolues une fois le conflit terminé. Que ce soit pendant les conflits avec le Liban en 2006 ou avec la bande de Gaza en 2009 et 2012, on a observé un ralentissement, voire une baisse de la croissance pendant la durée du conflit, mais un rebond a été observé à chaque fois lors du trimestre qui a suivi. Toutefois ces précédents conflits sont intervenus à des périodes où l’économie internationale était plus dynamique qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Le rebond qu’on peut attendre après la fin du conflit ne sera donc peut-être pas aussi fort que lors des épisodes précédents, car la reprise dans le domaine du tourisme pourrait être réduite. Les informations venues d’Israël indiquent que l’impact de ce conflit sur la croissance pourrait être de l’ordre d’un demi-point de pourcentage. Ce choc négatif est en outre intervenu à un moment où l’économie israélienne s’était un peu affaiblie. La croissance potentielle de l’économie se situe en effet entre 3 et 3,5 % et les rythmes de croissance aux premier et deuxième trimestres étaient de 2,8 % et 1,5 % respectivement. Au troisième trimestre, on observera certainement un affaiblissement supplémentaire à cause au conflit. Au total la croissance de 2014 ne dépassera sans doute pas 2½ % après 3¼ % en 2013.

Un autre aspect économique induit par le conflit concerne ses conséquences budgétaires. Un débat a eu lieu pour savoir quelles étaient les sommes que le pays avait besoin de mobiliser pour faire face à une nouvelle situation de ce type (« Dôme de fer » par exemple, armements, salaires des réservistes, correction des failles relevées pendant le conflit…). Par ailleurs, la croissance étant plus faible, et les recettes fiscales plus basses, la question de savoir s’il fallait laisser s’accroître le déficit public pour éviter d’affaiblir davantage l’économie par des restrictions budgétaires s’est également posée. Dans le cas contraire, les hausses de dépenses militaires devraient-elles être compensées par des baisses de dépenses civiles ou bien être financées par des hausses d’impôts ? Le projet de budget 2015 qui va être finalement présenté par le gouvernement au Parlement prévoit une légère augmentation du déficit par rapport à 2014, de moins de ½ point de PIB à 3.4% du PIB au lieu de la baisse de ½ point de PIB qui était envisagée auparavant (à 2.5% du PIB). Les autorités ont donc opté pour une hausse relativement modérée des dépenses de défense qui ne sont compensées ni par des baisses de dépenses civiles, ni par des hausses d’impôt.

Au total, ces développements montrent malgré tout que l’économie israélienne repose sur des bases relativement saines. Le chômage est modéré, l’inflation très faible également, même s’il faut veiller à ce qu’elle ne tire pas vers la déflation, et la balance courante est excédentaire. La croissance économique s’est affaiblie mais elle est restée relativement solide comparée à celle de la plupart des pays européens, et les entrées de capitaux étrangers se sont poursuivies pendant le conflit, ce qui témoigne de la confiance des marchés dans l’économie israélienne. Le pays est toutefois confronté à un problème structurel de répartition des ressources et des richesses, qui tient à la dichotomie et aux disparités entre les différentes communautés. Le problème du niveau élevé de la pauvreté, y compris celle liée à l’existence de travailleurs pauvres, reste un enjeu important, mais difficile à résoudre, pour la politique économique

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26 octobre 2014 7 26 /10 /octobre /2014 12:58

                                                                          cerveau animé

 

 

 

Déroulède est toujours vivant !

publié le : 17 Octobre, 2014

Nous pensions naïvement avoir compris, depuis l’école maternelle et le collège, quelques faits historiques avérés que les cerveaux plus ou moins éclairés du XXème siècle n’avaient pas mis en doute. L’Occident profitant de son avance technologique et militaire, a durant quatre siècles, imposé son emprise aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’ailleurs, traite esclavagiste d’abord, puis colonialisme. Celui-ci officiellement terminé par la vague des indépendances entre 1945 et 1974, ces grandes puissances occidentales, avec leur cortège de sociétés transnationales et de canonnières, ont persisté à imposer leur loi et leurs profits, à la recherche de coltan au Congo, de pétrole et de cuivre ailleurs. Et cela se nommait depuis un siècle au moins, l’impérialisme occidental, qui plongea le monde dans deux tueries universelles, sans compter des massacres de ci de là. Chacun en convenait, Anatole France disait : « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels ».

Quelques uns parmi nous, plus Cassandre que d’autres, répétaient que l’impérialisme était toujours présent, toujours prêt à accoucher d’une autre guerre, d’autant plus virulent que menacé par de nouveaux rivaux : la Chine rongeant les marchés qu’il pensait éternels en Afrique, la Russie décidée à redevenir une grande puissance, l’Iran, le Brésil, et bien d’autres encore aspirant à croître sans la férule occidentale. D’où ces multiples interventions, pour réduire l’influence russe en Ukraine, au Caucase, en Syrie, et pour remodeler le Moyen Orient et le Maghreb, en détruisant les États Irakiens et libyens, etc…

Dans tous ces cas, il s’agit bien d’ingérences impérialistes contraires à l’égalité entre les peuples et les nations, car se sont les bombardiers venus des USA qui ravageaient Bagdad, et ceux venus de France qui écrasèrent Tripoli.

C’était un autre temps, avant que le tsunami « libéral » de ce début de siècle n’ait transformé en perroquets alignés sur l’OTAN nos « experts » français médiatisés qui assènent leur prêt à penser.

L’un d’eux, nommé Eric Chol, exprime ainsi sa vision du monde menacé du « déclenchement imminent d’une troisième guerre mondiale ». Le monde se divise selon lui :
- en gentils adeptes de la « liberté » des uns d’exploiter les autres ; baptisés « démocrates » ou « communauté internationale » sans aucune autre raison que leur allégeance à l’Occident,
- et en méchants qu’il énumère : « Le rêve de Grande Russie de Poutine, les ambitions territoriales chinoises ou les exactions des nouveaux barbares, qu’ils s’appellent Daech ou Boko Haram, font trembler les frontières. La réponse de la communauté internationale, face à ces hordes guidées par l’appétit impérialiste, le goût de la revanche ou l’extrémisme religieux, est faible et difficilement lisible… ».
Et ce journaliste de caserne, ne se refusant aucun amalgame, enrôle dans sa croisade un Albert Einstein qui serait ahuri de s’y trouver s’il était encore de ce monde, en concluant par une citation détournée : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire ».

Dans cette image inversée de la réalité, les Irakiens ont envahi l’Irak, les Africains occupent indûment l’Afrique : il faut bien que les bombardiers états-uniens, français et autres aillent les libérer de leurs pulsions de mort. Il importe peu à notre « expert » que l’Occident et ses féaux (Arabie Saoudite, Qatar, Turquie, États-Unis, France, etc…) pourfendent les fanatiques djihadistes après les avoir financés, armés et encensés pendant des décennies !

Casque sur la tête et fleur au fusil, la solution pour Monsieur Chol, nouveau Déroulède français, est de leur « péter la gueule une fois pour toute », comme le disait élégamment ce grand cerveau états-uniens G W Bush, en parlant de « l’Axe du mal ». Car voilà bien où ces journalistes du « Courrier », lié au quotidien « Le Monde », ce bréviaire de la « gauche libérale » française, puisent en 2014 leur inspiration.

Nous voici avec eux revenus un siècle en arrière : comme en 1920, assurons les nouveaux Déroulède de notre mépris pour ceux qui jouent avec la peau des autres en reprenant le vieux cri pacifiste ; « Haine à la guerre, et aux hommes de guerre ». Savent-ils seulement qu’une guerre mondiale, forcément nucléaire, peut causer des milliards de morts ?

                                          Francis Arzalier

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26 octobre 2014 7 26 /10 /octobre /2014 12:20

                                                        Universita di Corsica                                                      

 

 

 

19 novembre 2014 à 20h30 - Caligula
 

Caligula

Albert Camus

Mercredi 19 novembre 2014 à 20h30
« Caligula, prince relativement aimable jusque-là, s’aperçoit à la mort de Drussila, sa soeur et sa maîtresse, que les hommes meurent et ils ne sont pas heureux » (Camus). Dès lors, obsédé par la quête de l’absolu, empoisonné de mépris et d’horreur, il tente d’exercer, par le meurtre et la perversion systématique de toutes les valeurs, une liberté dont il découvrira pour finir qu’elle n’est pas la bonne.

Il récuse l’amitié et l’amour, la simple solidarité humaine, le bien et le mal. Il prend au mot ceux qui l’entourent, il les force à la logique, il nivelle tout autour de lui par la force de son refus et par la rage de destruction où l’entraîne sa passion de vivre.


Adaptation : Ricardo Monserat
Traduction : Marie-Jo Jobin et Francis Marcantei
Compagnie : Unità Teatrale
Distribution : Jean-Pierre Pancrazi, Jean-Pierre Lanfranchi, ensemble Tavagna : Francis Marcantei, Charly Levenard, Michel Paoli, Éric Barre, Thomas Cipriani, Daniel Gonet, Jean-Charles Adami, Claude Bellagamba
Création et mise en scène : Jean-Pierre Lanfranchi
Musique : Malcolm Bothwell

Spaziu culturale Natale Luciani
Campus Mariani, Corte



Centre Culturel Universitaire
04 95 45 00 78 /
ccu@univ-corse.fr

Tarif normal : 10€
Tarif étudiant : 5€
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26 octobre 2014 7 26 /10 /octobre /2014 10:59

 

  Clio

Clio,la muse de l'Histoire

 

 

 

Jean-Pierre Chrétien : « Le génocide du Rwanda : un négationnisme structurel »



article de la r
date de publication : dimanche 25 juillet 2010


L’historien Jean-Pierre Chrétien, directeur de recherche émérite, après une carrière universitaire d’enseignant-chercheur, est un spécialiste de l’Afrique orientale, en particulier la région des Grands Lacs. Parmi ses nombreuses publications – voir la bibliographie – citons le livre L’Afrique des Grands Lacs. Deux mille ans d’histoire (éditions Aubier/Flammarion). Il a édité des ouvrages collectifs sur l’ethnicité, les religions, les rapports entre mémoire et histoire en Afrique, et il publie régulièrement des articles sur les problèmes de l’Afrique contemporaine dans les revues Esprit et Politique africaine. Il été témoin-expert à Arusha auprès du parquet du Tribunal pénal international pour le Rwanda dans le « procès des médias » en 2002.

Cet article est la version développée d’un texte qui paraîtra fin septembre 2010 dans le n° 151 de Hommes & Libertés, revue trimestrielle de la Ligue des droits de l’Homme (ce numéro comportera notamment un dossier sur la santé). [1]


Le génocide du Rwanda :
un négationnisme structurel
En mémoire de Jean-Népomucène NKURIKIYIMFURA,
historien rwandais, mon ancien étudiant et collègue,
et à sa femme et à ses enfants,
assassinés chez eux, à Butare, en 1994
pour le seul fait d’être nés tutsi.

Le « négationnisme » désigne depuis la fin des années 1980 les dénégations de la réalité de la Shoah qui se présentaient sous le jour apparemment scientifique d’un « révisionnisme ». Ce type de manipulation est consubstantiel à tous les génocides, un travail simultané de négation et de justification. Relisons Les Assassins de la mémoire du regretté Pierre Vidal-Naquet : le négationnisme ne consiste pas à nier qu’il y ait eu des morts dans une crise majeure, mais d’abord à relativiser ou minimiser leur nombre et à diluer la perpétration de ce crime de masse dans un jeu de circonstances successives et aléatoires, et même à en attribuer la responsabilité aux victimes elles-mêmes ainsi qu’aux rescapés, coupables, selon une vision téléologique de l’histoire, d’avoir échappé à la mort pour mieux profiter des tueries qu’ils auraient eux-mêmes déclenchées (sur le thème, par exemple, de la responsabilité conjointe des Juifs et des Britanniques dans l’éclatement de la Seconde guerre mondiale et dans la disqualification calculée du nazisme engendré par le sionisme !).

Dans le cas rwandais, la première négation fut celle de l’opinion internationale refusant de voir la réalité de ce qui se passait au Rwanda à partir du 7 avril 1994, après avoir déjà fermé les yeux sur les pogromes des années précédentes et sur la propagande raciste qui les accompagnait notoirement. Il fallut attendre la mi-mai 1994 pour que le mot génocide soit employé sur le plan international.

Très vite en fait, les massacres de Tutsi ont été présentés comme un des éléments d’une guerre civile et une balance a été établie entre les victimes de deux « camps » ethniques. Le fait que le Rwanda se situe en Afrique n’est pas un hasard dans le succès de ce relativisme. Nombre d’observateurs partagent plus ou moins confusément la conviction que les tueries sont dans l’ordre des choses sur ce continent et que la barbarie est à fleur de peau chez ses populations. Alfred Grosser pouvait écrire dès 1989 dans Le crime et la mémoire : « Non il n’est pas vrai qu’un massacre d’Africains soit ressenti de la même manière qu’un massacre d’Européens ».

Dès le 5 juillet 1994, dans un éditorial de Libération, Jacques Amalric pouvait s’inquiéter : « Peut-on rester neutre en face d’un génocide ? Or c’est ce qu’on prétend faire au Rwanda entre FPR et l’administration et les milices du régime rwandais, c’est-à-dire les instigateurs et les auteurs du génocide... Va-t-on demain tenter d’accréditer les élucubrations du capitaine Barril, rendant les Tutsis responsables de leur extermination... On peut le craindre en entendant déjà certains discours tenus en privé, sous la forme de fausses confidences sur le thème : “les choses sont moins simples que vous ne croyez. Il n’y a pas que des innocents d’un côté et des coupables de l’autre.” » Et le 16 novembre suivant, commentant les exactions du nouveau pouvoir, il notait : « Est-ce une raison pour banaliser le génocide rwandais et renvoyer dos à dos bourreaux et victimes ? C’est pourtant le langage qu’on entend à Paris où on feint de s’étonner que la démocratie ne règne pas encore au Rwanda et où on met pratiquement sur le même plan le génocide du printemps et les représailles dont ont sans doute été victimes des Hutus ». En 1996 Colette Braeckman observait avec lucidité dans Terreurs africaines : « Tôt ou tard de nouvelles violences, nées des frustrations du présent, ou suscitées par des agressions extérieures, viendront à nouveau brouiller les pistes et les esprits. A ce moment, les tenants de la théorie du “double génocide” l’auront emporté, les violences du présent oblitérant celles d’hier, les coupables et les complices s’évanouissant dans la nature à la faveur d’un épais brouillard et l’ethnisme étant à nouveau considéré comme une fatalité ».

C’est ce que les courants négationnistes actuels s’emploient à cautionner.

Un « conflit interethnique » et une « colère » légitime

Le Rwanda faisait depuis des décennies l’objet d’une vulgate raciale spécifique, devenue officielle sur place et médiatisée sans fin à l’étranger, qui « expliquait » d’avance les issues les plus extrêmes. Il s’agissait de l’idéologie hamitique définissant les Hutu comme les véritables autochtones, de culture « bantoue », et les Tutsi comme des envahisseurs étrangers, d’origine « nilotique » ou « hamitique », les premiers étant décrits globalement comme de simples « paysans » et les seconds comme de fourbes « féodaux ».

C’est ce « béton mental » (selon une formule de Claudine Vidal) mortifère que les négationnistes s’acharnent à éluder pour masquer la nature de la tragédie au moment même où elle se déroule et pour tenter de la justifier par la suite. Ils s’emploient simultanément à relativiser, normaliser et légitimer les tueries. Trois types d’arguments sont tour à tour employés :
- Le contexte de la guerre civile opposant les Forces armées rwandaises du régime Habyarimana et la rébellion du Front patriotique rwandais (entre octobre 1990 et août 1993, puis de nouveau à partir du 7 avril 1994), justifierait ces meurtres de masse au titre d’une pure tactique « d’autodéfense », d’un simple « ordre de conduite » pour reprendre un jargon militaire français. L’entreprise d’extermination des Tutsi devient le dégât collatéral d’un conflit politico-militaire, dont les deux belligérants partageraient la responsabilité.
- L’existence d’un antagonisme ancestral entre les Hutu et les Tutsi fournirait une explication quasi scientifique. La rhétorique des atavismes « ethniques », récurrente dans la littérature coloniale et omniprésente dans les médias étrangers, préparait les observateurs étrangers à cette logique. Elle est reprise benoîtement sous la forme d’appels au « dialogue entre les ethnies » comme si tous les Hutu avaient tué les Tutsi. On serait en présence d’un affrontement à somme nulle.
- Une « colère populaire » meurtrière aurait éclaté spontanément au lendemain de l’attentat du 6 avril contre l’avion présidentiel. Cette thèse ne fait que reprendre le discours officiel tenu par les représentants du gouvernement génocidaire rwandais jusque devant le Conseil de Sécurité d’avril à juin 1994. Elle reflète un mépris inouï pour le peuple rwandais, traité comme un agrégat de fauves naturellement prêts aux pires horreurs.

En fait cet argumentaire de « la colère normale en temps de guerre » permettait de masquer le rôle de la propagande extrémiste, d’entretenir la bonne conscience des tueurs potentiels et de marginaliser les Hutu opposants à ce projet totalitaire. Ce corpus de justifications était présent de façon lancinante sur les ondes de la radio RTLM en 1994, il sera repris par les encadreurs des camps de réfugiés du Kivu entre 1994 et 1996. Il reste vivace aujourd’hui dans divers milieux, jusqu’en Europe et en Amérique du nord, avec le souci non dissimulé de nier toute intention et toute organisation dans les massacres systématiques des familles tutsi du Rwanda d’avril à juillet 1994. Cette théorie globalisante permet de transformer insidieusement toute la population hutu en véritable bouclier humain moral. Tout le monde serait coupable, c’est-à-dire en fin de compte innocent. On comprend que ce discours disqualifie a priori tout effort de justice et ait souvent été repris devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda ou devant d’autres juridictions pour la défense des cadres civils ou militaires accusés d’implication dans le génocide.

Un « double génocide »

Cette thèse, chère depuis 1994 aux dirigeants politiques ou militaires français qui avaient à l’époque pensé et présenté leur intervention en termes « d’interposition » entre « belligérants », a été reprise par des nostalgiques de l’ancien régime rwandais.

Ce renvoi dos à dos de deux camps « ethniques » représente une amnésie étonnante par rapport aux enquêtes journalistiques, scientifiques ou judiciaires, qui ont mis en lumière l’encadrement méthodique des tueries, le ciblage des victimes, la mise en condition de l’opinion par une propagande raciste répétitive. Il masque à la fois la complexité de la société rwandaise et l’option politique que constituait le génocide. Celui-ci visait globalement les Tutsi (tous âges, sexes et conditions confondus), traités en boucs émissaires, mais aussi les Hutu mal pensants, présentés comme des « complices » (ibyitso) de « l’ennemi ». Le ressort en était une idéologie raciste bien connue. De fait, tous les Hutu n’adhéraient pas à ce programme : en fonction de relations familiales (les mariages mixtes étaient innombrables) ou amicales ou tout simplement par humanité, nombreux ont été ceux qui ont sauvé des Tutsi ou, ensuite, qui ont témoigné de la réalité du génocide. La logique de celui-ci était aussi de briser cette dissidence au sein du « peuple majoritaire » en forgeant une complicité apparemment unanime, profitable au « Hutu power ».

La reconnaissance d’un « double génocide » présentée parfois comme un gage de « réconciliation » est donc un cliché trompeur, lié à une volonté de diluer le génocide des Tutsi dans des massacres indifférenciés et d’éluder la question de la responsabilité du courant politique qui en a été le promoteur. On sait, mutatis mutandis, que la réconciliation entre les Juifs et les Allemands s’est effectuée avec un pays qui ne trichait pas sur la réalité de la Shoah et qui avait rejeté clairement la logique nazi, et que la réconciliation attendue entre Arméniens et Turcs progresse sur la base de la reconnaissance du génocide de 1915.

La quête spécieuse d’un « équilibre » repose notamment sur une dispute de chiffres. D’une part on cherche à mettre en doute et à minorer le nombre des victimes du génocide : les recensements effectués sont contestés, l’appartenance des corps est discutée au nom d’une anthropométrie raciale d’un autre temps, les innombrables témoignages recueillis depuis le lendemain des tueries auprès de rescapés, d’observateurs et de repentis sont présentés comme le produit d’une fourberie congénitale des Tutsi, conduisant des veuves et des orphelins à monter de toutes pièces des « délations ». D’autre part le nombre des victimes du FPR (Front patriotique rwandais) est maximisé en additionnant les crimes de guerre commis au Rwanda lors des représailles de l’année 1994 et lors de la répression de la rébellion au nord-ouest du pays en 1998, avec les victimes de la guerre du Congo de 1996-1997 (incluant toutes les formes de mortalité induite par le conflit dans le chaos sanitaire de ce pays). L’objectif de cette opération est de contrebalancer le million de victimes du génocide par les « millions de victimes » de la guerre en Afrique centrale.

Mise en scène pénible d’une « concurrence » des victimes » ! Toutes méritent attention et requièrent les enquêtes nécessaires pour identifier les crimes contre l’humanité perpétrés dans le cadre de ces conflits. Mais faut-il rappeler qu’un génocide se caractérise par un processus d’extermination systématique à l’encontre d’un groupe défini par sa naissance ? L’horreur intrinsèque d’un tel projet tétanise les esprits il est vrai, mais ce n’est pas en le niant qu’on contribue à un travail de vérité sur les autres victimes. Les centaines de milliers de civils innocents morts dans les bombardements alliés au phosphore sur les villes allemandes en 1943-1945 ont attendu 2002 pour qu’un débat s’ouvre à leur propos avec l’ouvrage Der Brand (« L’incendie ») publié par l’historien Jörg Friedrich, mais sans que cela remette en cause la spécificité d’Auschwitz.

Le montage du « double génocide » ne tient nullement compte du noeud spatio-temporel qui distingue le génocide de 1994 de celui des Arméniens ou de la Shoah : réalisé en trois mois avec une efficacité terrifiante, presque à huis clos (contrairement à ce que suggère le slogan mensonger sur un génocide devant les caméras), dans l’espace réduit d’un pays pas plus grand que la Belgique, il déchire cruellement et intimement une société qui est invitée dès le lendemain à se « réconcilier », à « pardonner », à « juger sereinement », et enfin à bâtir un « équilibre » entre des composantes dites « ethniques », invoquées pour continuer à « expliquer » la logique d’extermination de la veille. Les représailles commises par les forces du FPR, lors de leurs opérations contre le pouvoir génocidaire mis en place le 8 avril 1994, sont intervenues presque immédiatement, comme si dans ce cas, avons-nous déjà écrit ailleurs, Auschwitz et Sabra-et-Chatila s’étaient succédés en continu sur le même territoire. Nous signifions par là que si le génocide des Juifs perpétré en Europe dans les années 1940 et un crime de guerre commis au Liban quatre décennies plus tard avec l’implication de l’Etat d’Israël - deux réalités profondément différentes - s’étaient inscrits dans un espace-temps rétréci semblable à celui vécu au Rwanda, on peut imaginer combien cela se serait prêté aux confusions et aux manipulations entretenues par les négationnistes. On sait déjà, de ce point de vue, que « l’épuration » qui a suivi l’occupation nazi en France en 1944 a été vite exploitée par des milieux d’extrême droite pour proposer un prétendu « équilibre », celui d’une nuit où tous les chats sont gris. Or tous les Rwandais sont amenés bon gré mal gré à cohabiter dans ce qui est leur pays commun, avec les confrontations et les brouillages de mémoire qu’on peut imaginer. Il est trop facile chez nous, loin des charniers, des traumatismes des rescapés et des peurs ou des haines incontournables, de développer un confortable équilibrisme, banalisant le génocide et allant jusqu’à transformer les bourreaux en victimes et réciproquement.

Un « génocide rwandais » planifié par une « internationale tutsi »

Depuis 2005, une thèse plus radicale, déjà soutenue par les pires extrémistes dix ans plus tôt (encore reprise par le colonel Bagosora devant le TPIR), a été réactivée, y compris en France. Tous les Rwandais auraient été victimes d’un génocide, le « génocide rwandais », dont la cible primordiale aurait été les Hutu et dont les planificateurs auraient été les exilés tutsi organisés dans le FPR, alliés du président ougandais Museveni et appuyés par les « puissances anglo-saxonnes » et par Israël. Les responsabilités sont dés lors inversées selon le principe bien connu de la « propagande en miroir ». Dans ce schéma, le FPR aurait programmé une extermination des Hutu, mais aussi le sacrifice des Tutsi de l’intérieur dans le but cynique de disqualifier les autorités hutu de 1994 : les génocidaires ne seraient que les pions d’une stratégie tutsi de conquête du pouvoir à Kigali et de constitution d’un « empire nilotique » en Afrique centrale. Le génocide n’aurait été qu’une « autodéfense » provoquée. C’est ainsi, expliquait déjà la RTLM en mai 1994, que les Tutsi « se sont suicidés ».

Cette thèse, qui fonctionne en boucle sur des sites du net imprégnés de conspirationnisme et qui relaie un prétendu « Plan de colonisation tutsi » diffusé par des extrémistes hutu rwandais depuis les années 1960, est digne des "Protocoles des Sages de Sion" dans son contenu et dans son fonctionnement. Elle suscite hélas, à droite comme à gauche, des délires où tantôt un « souverainisme » français, tantôt un « altermondialisme » anti-Wall Street, se trouvent dévoyés.

Deux éléments ont été exploités en ce sens : la controverse sur l’attentat du 6 avril contre l’avion de Habyarimana et le fonctionnement du régime actuel de Kigali.

L’attentat qui marque le signal du début du génocide a été attribué au FPR, notamment par l’ordonnance du juge Bruguière de fin 2006. Les « révélations » de repentis présentés comme tels constituent, malgré plusieurs rétractations, l’essentiel d’un dossier qui s’appuie très peu sur des preuves factuelles, sans parler du fantasme longtemps entretenu sur les secrets d’une « boite noire », trouvée de façon rocambolesque dans un placard de l’Onu, pour finalement être identifiée, semble-t-il, comme provenant d’un Concorde ! Les victimes de cet attentat méritaient sans doute mieux. Mais surtout l’attribution mécanique du génocide à cet attentat (et dans cette logique à un complot du FPR) représente une étrange amnésie à l’égard de l’histoire politique rwandaise des années 1990-1994 qui montrait clairement la montée d’un courant raciste à l’encontre des Tutsi. Tout se passe comme si cette propagande extrémiste et les mobilisations et préparatifs qui l’avaient accompagnée étaient autant de détails sans importance. Même des commentateurs sévères à l’encontre du FPR ont déploré cette relecture caricaturale de l’histoire. En outre d’autres sources aussi fiables continuent à pointer du doigt des extrémistes du Hutu power dans l’affaire de l’attentat..

D’autre part la dérive sécuritaire et policière inquiétante du régime qui a pris en charge le pays après le génocide est décrite, selon une vision téléologique, comme le produit d’un mystérieux complot international. Au lieu d’argumenter sur l’enchaînement complexe des faits dans leur succession chronologique, les négationnistes récusent les travaux existants en les rangeant au rayon d’une « thèse officielle » et traitent a priori leurs auteurs d’affidés du FPR. Cette rhétorique fallacieuse est celle de tous les « révisionnismes » : amnésique ou hypercritique sur tout ce qui a été attesté, fascinée au contraire par des « révélations » sur les « secrets » d’un complot international. Cette ambiance nous ramène 15 ans en arrière et même bien plus loin, si on pense aux réactions délirantes suscitées par les autres génocides du XXe siècle

Cette vision réduit la multiplicité des débats à une opposition simpliste entre deux « camps », « pro-FPR » ou « anti-FPR » et suggère que le monde entier devrait être pro-tutsi ou pro-hutu ! Sans doute comme le monde entier devrait être « pro-juif » ou « pro-palestinien », et ainsi de suite ! Cette vision binaire permet ensuite de développer un discours trompeur sur la nécessité d’un « dialogue » entre les « ethnies », en niant la réalité spécifique du génocide. Or, par exemple, ni la FIDH, ni Human Righgts Watch ne sont suspectés de négationnisme pour avoir dénoncé les crimes et les atteintes aux Droits de l’homme dont a été responsable le FPR depuis plus de quinze ans, ni l’association Survie sous prétexte qu’elle dénonce les compromissions politiques et économiques recelées par l’actuel rapprochement entre Paris et Kigali. Tout simplement parce que leur travail critique n’est pas utilisé de façon perverse pour nier, banaliser ou « relire » rétrospectivement la nature du génocide des Tutsi rwandais. Ces associations ne sont pas non plus pro-FPR sous prétexte qu’elles se sont mobilisées contre le génocide perpétré par le pouvoir extrémiste hutu en 1994.

Cette fois encore, le négationnisme crée un climat de mensonge et de haine qui vise à intimider les esprits et qui conduit au final à meurtrir et désespérer une nouvelle fois les rescapés du génocide.

Le négationnisme contre l’avenir du Rwanda

Ce courant fonctionne en réseau en Europe et en Amérique du nord. En France, il s’est manifesté surtout après les travaux de la Mission parlementaire de 1998, qui avaient ouvert la voie à une critique lucide de la politique française des années 1990 et 1994 et notamment à partir du 10e anniversaire du génocide, comme pour en brouiller l’image, en réaction aussi à la progression des travaux du Tribunal pénal international pour le Rwanda qui condamne le colonel Bagosora en décembre 2008. Il s’agit donc manifestement d’une mobilisation contre les différentes formes d’un travail de vérité.

Les années passant, des nostalgiques du Rwanda de Habyarimana ou des anciens partenaires de ce régime, estiment possible, en France même, de raviver l’état d’esprit qui avait, en son temps, contribué à l’aveuglement international sur le génocide. Cela s’exprime notamment sur des sites spécialisés du net qui se donnent la main et dans des réunions tenues ici et là sur le territoire par quelques conférenciers travaillant en alternance. Néanmoins l’opinion publique a pris conscience de la gravité des responsabilités prises à l’époque sur le terrain rwandais. Aussi les tenants d’une « relecture » du « génocide rwandais » essaient de couvrir leur thèse d’un habillage respectable, en intervenant dans des lieux publics à l’apparence la plus officielle possible ou en exploitant l’indifférence, la négligence ou la naïveté de certains responsables pour s’infiltrer dans des manifestations scientifiques, culturelles ou associatives, voire religieuses, qui leur permettent de couvrir leur message d’un masque de paix, de vérité, de justice et de piété ! Si on prenait vraiment au sérieux les réalités africaines, on verrait aussitôt que ces dérives représentent une atteinte intolérable à l’héritage culturel de notre pays, celui de Molière (l’auteur de Tartuffe) et de Georges Bernanos (l’auteur des Grands cimetières sous la lune).

Le fonctionnement de la justice internationale a aussi sa part de responsabilité. Les lenteurs du TPIR dans les enquêtes et le déroulement des procès ont affaibli l’effet moral d’exemplarité qui avait inspiré la création de cette instance. Son rôle premier était d’identifier publiquement le génocide et d’en condamner les promoteurs les plus éminents. Il aura fallu attendre dix ans pour que les responsables politiques et militaires les plus importants soient jugés. A Nuremberg il n’avait fallu qu’un an. Il est évident que si le travail du TPIR avait été animé par la détermination nécessaire, il aurait été en mesure de traiter l’ensemble de la crise et de juger aussi, comme on lui en fait grief, de ne pas l’avoir fait, des crimes de guerre du FPR. Paradoxalement il est reproché au tribunal d’Arusha d’avoir exercé une « justice des vainqueurs », comme cela avait été dit aussi pour Nuremberg. Certes, si les forces qui ont organisé le génocide, non contentes d’avoir réussi à le perpétrer, avaient en plus gagné le pouvoir qu’ils recherchaient à cette occasion, on peut être sûr qu’il n’y aurait eu aucune justice, quand on voit la bonne conscience toujours affichée par ses tenants. En tout cas la « justice des vainqueurs » attribuée au TPIR ne brille pas par le côté expéditif associé à cette notion. Mais il est symptomatique que, depuis que cette instance est entrée dans le vif du sujet, le négationnisme s’est déchaîné. Il faut rappeler ici que le 16 juin 2006, la Chambre d’Appel du TPIR a dressé le constat judiciaire du fait notoire que « entre le 6 avril 1994 et le 17 juillet 1994, un génocide a été perpétré au Rwanda contre le groupe ethnique tutsi ».

Enfin et surtout, ce piétinement d’une partie des élites rwandaises dans le refus de reconnaître la déchirure radicale qu’a représenté l’option du génocide empêche la société rwandaise de se retrouver, débarrassée des démons du racisme interne qui l’a piégée durant des décennies. Il est trop clair, - et c’est devenu un cliché convenu sous la plume de nombreux commentateurs -, que le régime en place à Kigali fonde sa légitimité sur son action contre les génocidaires en 1994 et contre les tentatives de revanche des années suivantes. En fonction de cela, il campe sur une ligne politique dure, dominée par une option sécuritaire. Toute controverse y est perçue a priori comme négative et tout problème est ramené au génocide, comme si ce devait être l’élément originel du développement futur du pays, alors que tous les Rwandais se placent dans un espace-temps pluriséculaire, à l’image d’autres vieux « peuples-nations », pour reprendre l’expression du regretté Emmanuel Ntezimana, historien et militant des droits de l’homme disparu en 1995. Ce blocage de la liberté d’expression empêche le travail de mémoire, profondément lié à un travail de réflexion historique (comme dans le cas des autres génocides), de se déployer normalement. Bien plus, le laxisme dans les accusations de complicité avec l’idéologie du génocide contribue à y dévaloriser le poids des mots face aux réelles dérives en ce sens.

Mais, face au régime de Kigali, le discours qui s’affiche trop souvent comme représentatif de l’opinion des exilés, et qui a été largement forgé dans les camps du Kivu au lendemain du génocide, tend à développer une surenchère dans le sens des plus extrémistes. Tout se passe alors comme si, pour dénoncer les crimes du FPR ou les abus du régime en place, il fallait disculper les responsabilités antérieures, ressasser une justification à peine voilée des violences génocidaires ou banaliser celles-ci, selon les argumentaires que nous avons vus, et enfin reprendre une version aseptisés des thèses du « peuple majoritaire » en guise de projet démocratique. En fait l’avenir du Rwanda y est pensé dans les termes du passé, c’est-à-dire en mettant au coeur de la réflexion le binôme hutu-tutsi, déjà décrit comme incontournable et comme prioritaire dans les médias racistes des années 1990 et avancé aujourd’hui comme la clef d’une « réconciliation ». La solution serait la « reconnaissance des ethnies » et le « dialogue entre les ethnies », c’est-à-dire la fixation sur le curseur qui débouché sur la catastrophe.

Les Rwandais de la diaspora, dans leur diversité d’intérêts, d’expériences et de convictions, se retrouvent ainsi piégés également par une fixation sur le passé. Si, dans l’ambiance de Kigali tout doit partir du génocide, dans certains cercles d’exilés rien ne peut commencer sans qu’on remette en cause le génocide. En fait les deux logiques se donnent la main inconsciemment et l’autoritarisme du régime en place se nourrit du style adopté par son opposition la plus bruyante. L’impasse apparaît ainsi quasi-totale. Le génocide aurait-il réussi, c’est-à-dire réussi à déchirer durablement le peuple rwandais ? Or l’histoire de ce dernier est extraordinairement complexe, comme le montrent les nombreuses recherches publiées depuis un demi-siècle : les identifications sociales sont multiples et elles s’enchevêtrent d’une manière telle qu’il ne peut y avoir aucune définition claire des fameuses identités tutsi ou hutu, sinon dans des regards de peur ou de haine et en vertu d’une conception raciale dépassée que des observateurs étrangers croient de bon aloi de cautionner.

La fétichisation de ces pseudo-ethnies a fait obstacle à toutes les occasions de changement, elle a sidéré les imaginations et elle a été le terreau d’un génocide tout à fait « moderne ». Le nier, c’est contribuer à en reproduire la logique. Puissent les Banyarwanda se désenchanter de ce piège mortel !

Jean-Pierre Chrétien, historien (CNRS-Paris 1)

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BIBLIOGRAPHIE

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- DES FORGES, Alison (dir.), Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Paris, Karthala (avec Human Rights Watch et FIDH), 1999, 928p.
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- HATZFELD, Jean, Une saison de machettes, Paris, Le Seuil, 2003, 318p.
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- MUJAWAYO, Esther et BELHADDAD Souâd, SurVivantes, La Tour d’Aigue, L’Aube, 2004, 304p.
- SEHENE, Benjamin, Le piège ethnique, Paris, Dagorno, 1999, 222p.
- TERNON, Yves, « La problématique du négationnisme », L’Arche, mai 2003 (également sur le site www.imprescriptible.fr).
- TERNON, Yves, MUGIRANEZA, Assumpta et BENSOUSSAN, Georges (éds.), « Rwanda, quinze ans après. Penser et écrire l’histoire du génocide des Tutsi », Revue d’Histoire de la Shoah, n° 190, janvier-juin 2009, 512p.
- VIDAL-NAQUET, Pierre, Les assassins de la mémoire, Paris, La Découverte, 1991, 232p.

Notes

[1] Cet article a été mis en ligne le 25 juillet 2010 ; il a subi subi de petites corrections les 27 et 29 juillet, puis le 3 août 2010.

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26 octobre 2014 7 26 /10 /octobre /2014 10:52

  Clio

Clio,la muse de l'Histoire

 

 

 

 

 

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26 octobre 2014 7 26 /10 /octobre /2014 10:48

 

                                                     solidarité internationaliste  

 

 

 

 

Le taux de mortalité infantile à Cuba a atteint 4,2 pour mille naissances, contre 4,6 en 2012, le plus bas de son histoire, a annoncé le ministre cubain de la Santé, Roberto Morales.

Ce taux de 4,2 pour mille place Cuba en tête des pays d’Amérique latine, et devant des pays tels que les États-Unis ou le Canada.

À la fin novembre, Cuba avait comptabilisé 105 000 naissances en 2013, un nombre équivalent à la même période en 2012.

http://www.granma.cu/idiomas/frances/cuba-f/24octubre-mortalidadinfantil.html

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26 octobre 2014 7 26 /10 /octobre /2014 10:35

                                                                           MARE NOSTRUM-copie-1

 

                                          « LA TOURMENTE GRECQUE» : un film documentaire qui ouvre le débat sur l'avenir d'une zone euro en crise, livrée à un capitalisme financiarisé

tourmente-grecque-film.jpg

« La Grèce est un laboratoire 

pour tester des politiques effroyables »

Vu sur INVESTIG'ACTION 

Le 22 octobre 2014

Philippe Menut, ex-journaliste à France 2 et France 3, devenu journaliste indépendant, a réalisé un documentaire... Un gros plan à la fois humain et économique sur les causes et les conséquences de la crise grecque, le film donne la parole aux salariés, militants, économistes, médecins, ministres, chômeurs, philosophes... Ils donnent leur éclairage sur la crise vécue de l'intérieur, et témoignent de la résistance et de la solidarité du peuple grec. La Grèce est un laboratoire. Le film ouvre le débat sur l'avenir d'une zone euro en crise, livrée à un capitalisme financiarisé. Un documentaire lanceur d’alerte.

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Dans votre film "la tourmente grecque", une série de manipulations médiatiques sont exposées. Elles cherchent à justifier une véritable guerre économique et sociale contre la Grèce. Comment expliquez-vous, en tant que journaliste critique cette inversion des rôles et que les victimes, les citoyens grecs, soient présentées comme responsables de la crise ?


C’est sur ce constat que j’avais commencé le tournage. J’étais révolté que les Grecs soient souvent présentés – d’ailleurs depuis le début de la crise - comme les responsables d’une situation dont ils sont victimes. Depuis, j’ai été emporté plus loin, sur les raisons même de la crise.


Ces rumeurs, ces intox, ont bien sûr une fonction, celle de masquer une politique économique à l’œuvre, celle qui met en place une austérité effroyable vis-à-vis du peuple grec et des services publics avec un transfert massif de capitaux publics vers la spéculation internationale. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement d’argent public grec mais aussi européen.


245 milliards ont été versés dans un soi-disant plan européen de sauvetage dont les Grecs et l’économie réelle grecque n’ont quasiment pas vu la couleur. C’est démontré dans le film, ces sommes énormes vont directement dans la poche des créancier de la dette publique grecque qui ont prêté à des taux dépassant parfois 20%... Ces prêts ont donc la garantie du contribuable européen !


Tout cela est organisé par la Troïka, les vrais patrons du pays, envoyés de la commission européenne, la Banque centrale Européenne et le FMI (qui joue plutôt le rôle d’expert).


Quelle est la responsabilité, selon vous, des médias européens dans la présentation biaisée de la réalité de ce pays ?


Les médias européens, d’abord allemands et surtout Bild, premier tirage quotidien européen, jouent un rôle considérable dans la fabrication de l’opinion. Ce n’est d’ailleurs pas seulement la réalité grecque qui est biaisée, c’est celle de la crise de toute l’Europe.


La « grande presse » française, moins violente mais tout aussi efficace nous parle de « réformes structurelle » (traduisez « d’austérité imposée à la population »), de « rassurer les marchés » (financiers, bien sûr, mais ce n’est jamais dit), de « restaurer la confiance » (des mêmes, mais ce n’est pas non plus dit). Le but est d’entretenir le fatalisme face à un système économique néolibéral « qui n’aurait pas d’alternative » comme disait Margareth Thatcher.


Le plus fort dans cette idéologie dominante est d’arriver à faire croire qu’il n’y a pas d’idéologie dominante… On pousse les gens à dire « je ne fais pas de politique » alors qu’ils cautionnent ainsi celle qu’ils subissent...

Je reconnais que j’emploie, comme tout le monde, le terme de « crise » par facilité de langage. Il est pourtant inapproprié. Cette crise n’est pas une catastrophe, une fatalité. C’est, en dernière analyse une augmentation délibérée et brutale des inégalités.


La fermeture de la télévision publique grecque en 2013 et la décision de ses travailleurs de développer un média indépendant reste un exemple frappant de la capacité de résistance du peuple grec. Quel leçon tirer de cette expérience ?


Il y a des moments où le peuple est fort, imaginatif et audacieux face à un pouvoir affaibli. La lutte de l’audiovisuel public (l’ERT) en est un exemple. Elle est développée dans le film et je vous le résume : le 11 juin 2013, le gouvernement, à la demande de la Troïka, ferme l’antenne et licencie les 2650 salariés. Immédiatement, se déclenche une énorme mobilisation en Grèce et une protestation généralisée dans le monde entier. Journalistes et techniciens occupent le bâtiment, mais le gouvernement grec, pris à contrepied, n’ose pas lancer les MAT (police anti émeute) contre les personnels.


L’occupation a duré 5 longs mois, une période de véritable autogestion, avec la remise en marche d’émissions diffusées sur Internet. Ces émissions, marquées par une totale indépendance et un véritable pluralisme ont eu un grand succès.


Au bout de 5 mois, le gouvernement – toujours conseillé par la Troïka ! – a décidé d’évacuer le personnel le 7 novembre 2013. Depuis, les anciens de l’ERT ont lancé une nouvelle radio télé, ERT Open.


 

 

 

 

Lorsqu’on parle de dette de la Grèce, il paraît que l’Allemagne aurait intérêt à cacher une épisode important de l’Histoire, concernant l’argent qu’elle doit à la Grèce depuis la 2ème guerre mondiale. Pouvez-vous nous expliquer ce chapitre important du film qui est évoqué dans le film à travers le témoignage du combat d’un ancien résistant.


Manolis Glésos, 92 ans est un « monument » en Grèce. Il est un des tous premiers résistants d’Europe, connu pour avoir décroché en mai 1941 le drapeau nazi du somment de l’Acropole. Un de ses combat actuel est de demander le paiement par l’Allemagne des dommages de guerre et un emprunt forcé incontestable à la banque d’Athènes par les nazis.


Total de la dette due à la Grèce : 162 milliards d’euros actuels… Soit plus de la moitié de la dette qui est maintenant exigée de la Grèce avec une totale intransigeance par l’Allemagne !


L’un des médecins qui témoigne dans le film, lors d’une manifestation, explique que la fermeture de sept hôpitaux à Athènes signifie tout simplement que de plus en plus de personnes vont mourir dans la rue. L’impact des mesures d’austérité en Grèce, en particulier dans le domaine de la santé semble apocalyptique...


Un seul chiffre suffirait : d’après une revue scientifique anglaise et Médecins du Monde : la mortalité infantile a augmenté de 43% depuis le début des mesures d’austérité. En Grèce, mais aussi dans l’Europe en crise, la santé est la principale cible des réductions budgétaires. Pourquoi n’est-ce pas l’éducation nationale ? Parce que vous ne pouvez pas réduire le nombre d’élèves total. En revanche, on peut moduler les parcours de soin, réduire les remboursements, etc. Dans le film, on voit un grand hôpital qui reste ouvert mais tourne au ralenti, quasi vide, faute de moyens.


Votre regard panoramique sur la Grèce risque d’être bientôt se devoir s’élargir sur d’autres pays.


Je n’avais pas lors de mes premiers tournages prévu de parler de l’importance du capitalisme financiarisé, pas plus que de l’Union Européenne. J’y ai été naturellement porté par mes investigations, mes interlocuteurs. Le film ouvre un débat sur l’Union Economique et Monétaire.


Des interviews fortes expliquent la nécessité d’une rupture avec la zone euro, d’autres expliquent qu’il faut être pragmatique et qu’il faut d’abord s’opposer à l’austérité et à une dette illégitime.

Je ne tranche pas, mais si ont veut poser la question du changement de politique économique et sociale, et aussi de la démocratie, il faudra bien poser la question du pouvoir tout puissant de l’Europe actuelle. Le capitalisme financiarisé y est maître dans son organisation même, dans ses traités, l’influence de lobbies tout puissants.


Quel message adressez vous aux personnes qui regardent de loin la Grèce, subir des dégâts terribles mais présentés comme inévitables ? En quoi les Européens peuvent-ils, au-delà de la solidarité, être concernés ? Au-delà, comment les peuples européens pourraient-ils passer à la contre offensive ?


Toute la zone euro est concernée par la crise grecque. La Grèce est un laboratoire pour tester sur un petit pays (11 millions d’habitants) une politique effroyable au nom d’une dette artificiellement gonflée. Depuis le début des réformes, prétendues réponses à la crise, la dette a grimpé de 50 % et le chômage est passé de 10 à 28% ! Et ces politiques continuent.


Mais attention, cette crise de la dette est la même partout en Europe, zone la plus récessive du monde. La France, que je connais mieux, a une dette de 2000 milliards d’Euros de même nature que la dette grecque. Elle serait de moins de la moitié sans les intérêts excessifs aux banques et les cadeaux fiscaux. Le remboursement des seuls intérêts est un des tous premiers budget de l’Etat. Nos chers « confrères » journalistes des « grands médias » n’en parlent jamais…


Le rêve européen pourrait bien tourner au cauchemar. Les Grecs montrent la voie de la résistance. Des résistances isolées ne suffiront pas. La vraie question est de savoir si les peuples sauront s’unir pour une autre Europe, plus juste et démocratique, une Europe des citoyens.


Minisite du film : http://lesfilmsdumouvement.wordpress.com

Entretien réalisé par Alex Anfruns

Source : Publico.es

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