Liliane Bettencourt – fille unique d'Eugène Schueller, le fondateur du groupe L'Oréal – est à la tête d'une fortune s'élevant à 15,9 milliards d'euros.
Les révélations issues des enregistrements clandestins des conversations de Liliane Bettencourt mettent Eric Woerth dans l'embarras. Alors qu'il vient de boucler sa réforme des retraites, le ministre du travail a dû s'expliquer, jeudi 17 juin sur RTL, sur les liaisons de son épouse avec l'héritère de L'Oréal. Il l'a fait de manière lapidaire : "Je ne sais même pas de quoi il s'agit."
L'affaire Bettencourt oppose la mère, Liliane, 87 ans, à sa fille Françoise. Celle-ci a porté plainte pour "abus de faiblesse" contre François-Marie Banier, qu'elle accuse d'avoir profité du grand âge de sa mère pour obtenir près d'un milliard d'euros de cadeaux divers.
Mais cette histoire a pris un tour nouveau : mercredi, le site Mediapart et le magazine Le Point révélaient que la justice venait de recevoir un document à même de bouleverser l'affaire, dont le procès doit s'ouvrir le 1er juillet : un domestique de Liliane Bettencourt aurait enregistré les conversations privées de cette dernière durant plus d'un an, qui font état de liens troubles entre des personnalités de la majorité et l'héritière.
"MON AMI ÉRIC WOERTH"
Dans ces enregistrements, réalisés entre mai 2009 et mai 2010, plusieurs noms d'hommes politiques sont cités, dont ceux du chef de l'Etat. Mais l'un d'eux revient régulièrement : celui d'Eric Woerth, alors ministre du budget. Florence, son épouse, s'est occupée de gérer la fortune de Liliane Bettancourt durant trois ans, de 2007 à 2010.
Selon les nouveaux extraits publiés par Mediapart jeudi 17 juin, Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de l'héritière, connaissait le ministre. Il explique ainsi le 29 octobre 2009 à Liliane Bettencourt : "C'est le mari de Mme Woerth que vous employez, qui est l'une de mes collaboratrices, qui n'est pas très grande... Mais lui est très sympathique et c'est notre ministre du budget (...), en plus c'est lui qui s'occupe de vos impôts, donc je trouve que ce n'était pas idiot. C'est le ministre du budget. Il est très sympathique, c'est un ami."
Deux jours plus tôt, le 27 octobre 2009, le même Patrice de Maistre explique à Liliane Bettencourt que son défunt mari André, ancien ministre, aura un amphithéâtre à son nom à l'hôtel de la Monnaie de Paris. "Ils ont obtenu un bâtiment de l'hôtel de la Monnaie, qui est derrière l'Institut. Et ça, c'est mon ami Eric Woerth, dont la femme travaille pour nous, qui s'en est occupé." De quoi relativiser les dénégations d'Eric Woerth.
Toujours selon les extraits des enregistrements, les relations entre l'épouse du ministre et Patrice de Maistre se sont dégradées au fil du temps. Le 23 avril 2010, ce dernier explique à Liliane Bettencourt qu'il regrette d'avoir engagé Florence Woerth : "Je me suis trompé quand je l'ai engagée. C'est-à-dire qu'en fait avoir la femme d'un ministre comme ça, ça n'est pas un plus, c'est un moins (...). Le fait que vous ayez une femme de ministre, chez nous, tous les journaux, tous les trucs disent, euh, oui tout est mélangé, etc., bon. J'avoue que quand je l'ai fait, son mari était ministre des finances [Eric Woerth était en fait ministre du budget], il m'a demandé de le faire [engager sa femme]."
"ON LUI DONNERA DE L'ARGENT ET PUIS VOILÀ"
La conversation se poursuit entre les deux protagonistes. Patrice de Maistre explique que Florence Woerth est partie de ses services pour aller travailler chez Hermès (elle est entrée au conseil de surveillance du groupe au début du mois de juin). Puis le gestionnaire de fortune explique : "Je pense qu'il faut que j'aille voir son mari et que je lui dise qu'avec le procès et avec Nestlé (le groupe suisse chercherait à s'emparer de L'Oréal), il faut qu'on soit trop manœuvrants et on peut plus avoir sa femme. Et puis on lui, on lui, on lui donnera de l'argent et puis voilà."
A l'époque, Eric Woerth cumulait ses fonctions de ministre du budget avec celles de trésorier de l'UMP. Un autre enregistrement, réalisé en octobre 2009, pose la question d'un éventuel mélange des genres entre les deux postes. Patrice de Maistre fait signer à Liliane Bettencourt des autorisations de paiement, en lui expliquant : "Valérie Pécresse, c'est la ministre de la recherche. Elle fait la campagne pour être présidente de Paris. Elle va perdre mais il faut que vous la souteniez et c'est des sommes très mineures, des petites sommes. Elle va perdre mais il faut que l'on montre votre soutien. Le deuxième, c'est le ministre du budget. Il faut aussi l'aider. Et le troisième, c'est Nicolas Sarkozy."
Sur RTL, Eric Woerth a répondu à cette allégation en admettant : "Il est possible qu’il y ait des dons à des partis politiques à des moments donnés, c’est tout à fait possible."
"JE VAIS À L'ÉLYSÉE CET APRÈS-MIDI"
D'autres noms apparaissent dans ces bandes. Dont ceux du chef de l'Etat et de son ex-conseiller justice, Patrick Ouart. Le 3 juillet 2009, Patrice de Maistre explique ainsi : "Je vais à l'Elysée cet après-midi puisque le conseiller de Sarkozy m'a appelé ce matin. Je ne lui avais rien demandé (...). Peut-être que cet après-midi, j'aurai quelque chose de nouveau."
Le 21 juillet, Patrice de Maistre explique : "J'ai eu l'Elysée..." "Sarkozy ?", interroge Liliane Bettencourt ,"Non, son conseiller juridique, à l'Elysée, que je vois régulièrement pour vous. Et il m'a dit que le procureur Courroye allait annoncer le 3 septembre, normalement, que la demande de votre fille était irrecevable. Donc classer l'affaire. Mais il ne faut le dire à personne, cette fois-ci. Il faut laisser les avocats travailler."
Le nom de Nicolas Sarkozy est également cité dans les négociations avec Nestlé. Patrice de Maistre explique, le 6 janvier 2010 : "Pour le moment, ni Nestlé ni nous ne pouvons bouger à cause du pacte. Mais on m'a dit que Sarkozy pouvait être très important dans tout cela. Parce que si Sarkozy dit à Nestlé 'je vous préviens, je ne suis pas d'accord', ça sera très difficile".
Une enquête judiciaire a été ouverte pour "violation de la vie privée". Le maître d'hôtel à l'origine des enregistrements a été entendu par la police. Les services du ministère du travail ont répondu à Mediapart : "Mme Woerth n'a rien à voir, de près ou de loin, avec les procédures en cours dans l'affaire Bettencourt. Toute tentative pour l'y mêler, à quelques semaines de l'ouverture des débats d'un procès qui ne la concerne en aucun cas, relèverait d'une pure et simple manœuvre."
Samuel Laurent