En voici une version actualisée, avec les données de la période janvier 1993-avril 2009.
L’enfermement des indésirables n’est certes pas nouveau. Qu’on pense aux premiers camps de concentration, établis en Afrique du Sud pendant la guerre des Boers au début du XXe siècle, à l’internement des républicains espagnols en France après la victoire des troupes franquistes en Espagne à la fin des années 1930, ou encore à celui des Américains d’origine japonaise aux Etats-Unis au début des années 1940 après Pearl Harbour. Cependant, il est longtemps resté inscrit dans une logique de protection de la sécurité de l’Etat ou de surveillance de personnes présumées dangereuses. La mise en détention de ressortissants étrangers pour des motifs liés à leur seule condition de migrants ou de demandeurs d’asile est un phénomène plus récent.
En 2010, il y avait 250 camps d’étrangers dans les 27 Etats de l’Union européenne, soit près de 32 000 places. Pourtant, bien qu’il s’agisse d’une des politiques prioritaires de l’Union, il n’existe pas de données officielles publiques à l’échelle européenne. Pour réaliser cette carte, les sources d’information dont on dispose sont principalement celles des organisations non gouvernementales (ONG). Ces données sont fort lacunaires, et loin d’être homogènes. Les effectifs des personnes détenues pour des raisons liées à la législation sur l’immigration varient beaucoup d’un Etat à l’autre. En 2006, le phénomène concernait moins de 1 000 personnes en Hongrie ou Lettonie, alors qu’il y avait plus de 45 000 étrangers « retenus » en France ou en Grèce [1].
Le plus souvent, les lieux d’enfermement des migrants sont situés dans des postes de police ; parfois, dans des prisons (Allemagne, Chypre, Irlande) ; et même — dans plusieurs pays d’Europe centrale — dans de vieilles casernes de l’armée soviétique. Plus au sud, des camps insulaires apparaissent, au gré des naufrages, faits de tentes ou de bâtiments de fortune (Espagne, Grèce, Italie, Malte). Là, les conditions matérielles sont très précaires. Ailleurs, certains établissements récemment construits offrent de meilleures conditions de logement, mais leur gestion sécurisée [2] renforce leur aspect carcéral et participe de la criminalisation croissante des migrants.
Bien que les régimes administratifs et judiciaires diffèrent d’un Etat membre à l’autre, voire à l’intérieur d’un même pays, le fonctionnement de la machine à refouler les étrangers se ressemble. Partout, on constate un accroissement progressif de la durée légale de la détention administrative. En France, en 1981, la mesure de rétention ne pouvait excéder sept jours. Le délai est passé à dix jours en 1993, puis à trente-deux jours en 2003. La France reste toutefois l’un des pays où la détention est la moins longue : elle peut aller jusqu’à 8 mois en Belgique, 12 mois en Pologne, 18 mois en Allemagne. Parfois, comme à Chypre ou au Royaume-Uni, la loi ne fixe pas de limite, et des étrangers peuvent être enfermés pendant plusieurs années avant qu’il ne soit décidé de leur sort.
Depuis l’adoption, en décembre 2008, de la directive « retour » par l’Union européenne, qui en fixe la durée maximum à 18 mois, trois pays – l’Espagne, l’Italie et la Grèce – ont augmenté la durée légale de la détention des étrangers pour pouvoir mieux les expulser.
Selon les termes de cette directive, la détention des étrangers devrait rester d’un usage exceptionnel dans la procédure d’éloignement, et réservée aux cas où « il existe un risque de fuite, ou quand (l’intéressé) évite ou empêche la préparation du retour ». Les chiffres montrent que, en réalité, l’enfermement est un élément clé du dispositif. La multiplication des camps au cours des dix dernières années s’articule avec la rationalisation des modalités d’expulsion : cela se traduit notamment par leur installation à proximité de tous les grands aéroports et ports internationaux, afin de faciliter le tri dès l’arrivée et les départs par « vols groupés » (autrement dit par charter).
Nul n’est épargné : les malades, les familles avec de jeunes enfants, et plus généralement toutes les personnes dites « vulnérables » peuvent aujourd’hui être détenues, y compris, de plus en plus, les demandeurs d’asile que leur statut devrait pourtant protéger (lire l’article d’Alain Morice et Claire Rodier). Invisible, peu documenté et à peine encadré juridiquement, l’internement administratif des étrangers est tout à la fois symbolique et générateur de multiples violations des droits fondamentaux.