Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi sur laquelle nous sommes invités à nous prononcer répond à un objectif on ne peut plus louable : combler les lacunes de notre procédure pénale pour priver les délinquants des fruits de leurs méfaits.
Présentée en juin 2009 à l’Assemblée nationale par Jean-Luc Warsmann et Guy Geoffroy, cette proposition de loi s’inscrit dans la philosophie des désormais innombrables discours sécuritaires prononcés par le Président de la République.
On se rappelle que, au printemps de l’année dernière, à l’occasion d’une table ronde tenue à Nice sur la lutte contre l’insécurité et les violences, M. Sarkozy avait martelé son combat « contre les bandes organisées » et fait part de son intention de mener une guerre totale contre les trafiquants, qui ne devaient plus pouvoir jouir des produits de leurs méfaits.
Cette table ronde de Nice réunissait les représentants des différents services locaux impliqués dans la lutte contre l’insécurité, un chef de groupe d’intervention régional, un magistrat, ainsi que les représentants d’une association de victimes, dont on attendait qu’ils appellent de leurs vœux l’adoption de nouvelles dispositions destinées à mieux – toujours mieux – réprimer les violences de « bandes ». Comme l’a révélé le journal Libération, cette table ronde s’est soldée par un fiasco.
Il ne s’agit pas aujourd’hui de cautionner les discours alarmistes d’un Président qui répète inlassablement son pas de deux sécuritaire – un fait divers, une loi –, espérant ainsi reconquérir une partie de l’électorat de l’extrême droite, reconquête ardue, si l’on en croit les résultats des élections régionales.
Accroître inconsidérément le nombre des textes répressifs n’apportera aucune solution miraculeuse aux problèmes de sécurité.
Comme l’a récemment rappelé Mme le garde des sceaux elle-même au ministre de l’intérieur, qui annonçait son intention d’aggraver les sanctions pénales pour les violences commises sur les personnes vulnérables, « aujourd’hui, 40 % des incriminations qui existent en matière pénale ne sont jamais utilisées par le juge ».
Arrêtons donc « de légiférer à l’émotion » et astreignons-nous à ne réformer que ce qui doit être réformé.
Or, en l’état actuel de notre législation, si la justice dispose, depuis 2007, de la possibilité de prononcer en matière pénale des peines complémentaires de confiscation, elle n’est pas dotée des moyens procéduraux nécessaires pour assurer l’effectivité de ces peines.
Cette carence de notre système procédural a d’ailleurs été clairement mise en lumière par différentes décisions-cadres du Conseil de l’Union destinées à harmoniser les législations européennes et à organiser l’entraide judiciaire.
La proposition de loi qui nous est soumise entend opportunément mettre un terme à cette insuffisance.
On ne saurait, en effet, accepter que les délinquants puissent, malgré leurs condamnations, profiter des bénéfices de leurs forfaits, et cela en dépit même des peines de confiscation prononcées à leur encontre.
Pourtant, notre code de procédure pénale ne permet la saisie que des biens mobiliers utiles à la manifestation de la vérité, c’est-à-dire des pièces à conviction ou des biens utiles à l’enquête, et n’organise pas de procédure spécifique de saisie pénale.
Les saisies à des fins conservatoires sont donc particulièrement compliquées en matière pénale, et une réforme s’imposait. C’est la raison pour laquelle, une fois n’est pas coutume, nous accueillons favorablement la proposition de loi qui nous est soumise.
Pour pallier les lacunes de notre procédure pénale, le texte vise, en premier lieu, à étendre le champ des biens susceptibles d’être saisis dès le stade de l’enquête et de l’instruction, en développant ainsi les possibilités de saisie patrimoniale.
Il instaure une procédure spécifique de perquisitions destinée à empêcher la dissipation des actifs, de manière à rendre effectives les peines de confiscation pouvant être ordonnées au moment du jugement.
En second lieu, le texte étend le champ de la peine complémentaire de confiscation, notamment en cas de trafic de stupéfiants ou de proxénétisme.
Nous nous félicitons que, sur l’initiative de la commission des lois du Sénat, une telle peine puisse en outre être prononcée à l’encontre des personnes morales.
M. Hortefeux l’a encore redit : il entend « frapper les délinquants au portefeuille ». Pour ce faire, il compte envoyer dans les quartiers sensibles une cinquantaine d’agents du fisc chargés de contrôler des personnes soupçonnées d’activités lucratives non déclarées. Seulement, il semble oublier les délinquants en col blanc, dont les portefeuilles sont pourtant on ne peut mieux garnis…
« Lorsqu’un caïd de banlieue se réveille à midi, ne travaille pas de la journée et roule [...] en 4x4 », le ministre de l’intérieur estime légitime de se poser la question de la source de ses revenus. Il oublie que, lorsqu’une société dispose d’un patrimoine dont l’origine est difficilement déterminable, ne déclare aucune activité commerciale, alors qu’elle dispose de fonds importants, il est tout aussi légitime de se poser la même question.
Cet « oubli » du ministre de l’intérieur tient peut-être à son respect des positions du Président de la République, qui s’est toujours refusé à traiter la délinquance financière comme une délinquance à part entière.
Cette grande délinquance porte pourtant un préjudice considérable à la vie économique du pays, par les fonds détournés et par les dégâts issus de la fraude fiscale, dont on estime qu’elle est à l’origine, pour la France, d’une perte de recettes comprise entre 35 milliards d’euros et 50 milliards d’euros par an, soit l’équivalent du déficit du budget, avant la crise !
Mais j’en reviens à l’objet de ce texte.
La proposition de loi qui nous est soumise tend, en deuxième lieu, à créer une procédure de saisie pénale spécifique, distincte des procédures civiles d’exécution auxquelles les autorités pénales doivent actuellement avoir recours pour prendre des mesures conservatoires.
Cette nouvelle procédure doit permettre de procéder à la saisie, même sans dépossession de biens immeubles et de biens meubles incorporels, d’une manière plus adaptée au cadre pénal.
Le texte entend ainsi moderniser notre droit pénal procédural qui, pour l’heure, a pour objectif premier la préservation des éléments de preuve et n’organise de saisie qu’à des fins essentiellement probatoires. Or notre procédure pénale doit aussi garantir l’exécution des sanctions.
En troisième lieu, la proposition de loi tend à améliorer la gestion des biens saisis et les conditions d’exécution des confiscations.
Pour ce faire, le texte, enrichi par la commission des lois de l’Assemblée nationale, institue une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, avec l’ambition d’éviter le gaspillage de l’argent public et l’énergie des magistrats.
Cette nouvelle gestion des biens saisis et confisqués permettra en outre de garantir aux victimes le paiement des indemnités qui leur auront été allouées. La nouvelle agence pourra en effet prélever sur les biens confisqués le montant des dommages et intérêts dus aux victimes. Il s’agit d’une grande avancée pour les victimes, et nous ne pouvons que la saluer.
Enfin, la commission des lois de l’Assemblée nationale a ajouté au texte initial des dispositions visant, d’une part, à favoriser la coopération internationale en matière de saisie et de confiscation et, d’autre part, à transposer une décision-cadre sur l’exécution des décisions de confiscation dans l’Union européenne.
La lutte contre les trafics doit, à notre époque, s’organiser pour faire face à une délinquance dont le champ d’action dépasse nos frontières. Il était plus que temps de faire nôtre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions en transposant enfin une décision-cadre qui date d’octobre 2006…
Dans la mesure où toutes ses dispositions nous paraissent opportunes, nous voterons la présente proposition de loi.