Le procès de Charles Pasqua met en lumière une drôle de petite entreprise, la société française d’exportation du ministère de l’Intérieur.
De quoi s’agit-il ?
D’une société privée dont le capital social était réparti entre quelques grandes entreprises françaises, et, à sa création, le ministère de l’Intérieur. Majoritaire avec 35% des actions.
Une structure originale, du moins en France. Cela fait penser à ces agences américaines, comme on en voit dans les films, qui se chargent des coups tordus que ne peuvent se permettre les services officiels.
Mais, bien entendu, cela n’a rien à voir.
La Sofremi a été voulue par Pierre Joxe, en 1986, pour effectuer le commerce avec d’autres États de matériels de police dits sensibles. Ce qui se pratiquait déjà, à petite échelle, mais via un circuit tortueux allant d’un ministère à l’autre.
Y avait-il en arrière plan l’idée de récupérer des commissions occultes pour financer le Parti socialiste ? Je ne sais pas.
De toute façon, Pierre Joxe n’aura pas le temps de juger du bien-fondé de sa décision, car peu après, c’est la première cohabitation. Charles Pasqua lui succède.
On peut penser que les instigateurs, ceux qui ont poussé à la création de la Sofremi, se trouvaient à l’époque en fonction au service de coopération technique internationale de police, le SCTIP.
Ce service a vu le jour en 1961, alors que la France avait entamé son processus de décolonisation en Afrique. Son objectif était de fournir, aux jeunes États qui le souhaitaient, une assistance technique et humaine pour les aider à mettre en place une force de police.
Dans les années 80, le SCTIP a pris de l’extension et son horizon s’est élargi à d’autres pays d’Afrique et même à d’autres continents (aujourd’hui, il compte une centaine d’implantations de par le monde).
Or, les policiers et les gendarmes du SCTIP sont bien placés pour connaître les besoins en matériel des pays où ils sont en fonction. Et en plus, souvent, ils ont les bons contacts. Mais, en aval, il faut des commerciaux pour assurer le marchandising.
Quant on parle de matériel de police, on pense aussi bien aux moyens de transmission, de surveillance, d’écoutes,… qu’aux équipements de maintien de l’ordre et même à l’armement. Du moins l’armement individuel. D’ailleurs, en 1995, la Sofremi récupère Milipol, le salon international de la sécurité intérieure des États, qui désormais se tiendra sous l’égide du ministre de l’Intérieur.
Ce qui est encore le cas aujourd’hui. Les années impaires à paris, les années paires au Qatar.
Le salon de novembre 2009 a été inauguré par M. Brice Hortefeux. L’accent était mis sur des matériels de pointe « des forces de sécurité intérieure » dont le catalogue allait des moyens de gestion de risque de pollution maritime, au déminage, moyens de police scientifique, terminaux et caméras embarqués, système de lecture automatisée des plaques d’immatriculation, géolocalisation, drone ELSA, etc.
Pour en revenir à nos moutons, lorsque Mitterrand entame son deuxième septennat, Joxe retrouve la place Beauvau. Maroquin qu’il cédera de nouveau à Pasqua, 2 ans ½ plus tard.
Dans Le Monde du 20 avril 2010, Pascale Robert-Audiard écrit que l’arrêt qui renvoie Charles Pasqua devant la Cour de justice de la République souligne « que parmi les raisons avancées à l’intérêt immédiat de Charles Pasqua pour la Sofremi et à sa décision d’y placer, dès sa nomination, de nouveaux dirigeants, figure le fait que cette société servait auparavant de “pompe à finances pour le Parti socialiste” ».
Remarque intéressante.
Pendant ces années-là, la Sofremi tourne à plein régime, sans qu’on sache trop ce qui s’y passe.
Pour les policiers, c’est un truc à part, surtout depuis que cette société a quitté l’annexe du ministère de la rue Nélaton (là où se trouvait le siège de la DST), pour s’installer dans des locaux privés du VIII° arrondissement.
Un panier de crabes, disaient certains, où se côtoyaient l’argent, la politique et les barbouzes. Un mélange toujours détonant. Ce qui n’a pas empêché des retraités des deux Grandes maisons de servir d’intermédiaires ou de rabatteur d’affaires. Après tout, rien de plus normal pour d’anciens policiers et gendarmes que de travailler pour une boîte qui dépend du ministère de l’Intérieur !
En tout cas, les affaires traitées devaient être juteuses, car le remplaçant de Pasqua, au mois de mai 1995, Jean-Louis Debré, même s’il prend ses distances et réduit nettement son activité, se garde bien de la dissoudre. Et il ne tient pas compte des mises en garde qui lui parviennent, sous la forme de deux rapports distincts, qui pointent de nombreuses anomalies de fonctionnement.
La vérité, c’est que même dans les cabinets ministériels, on ne connaissait pas trop la couverture politique de cette entreprise de quatre sous. Et dans le doute…
En 1997, Jean-Pierre Chevènement prend moins de précaution. Dorénavant, on ne paiera plus les intermédiaires, décrète-t-il. Donc, plus de commissions.
La Sofremi était déjà en perte de vitesse. C’est son arrêt de mort. Vingt millions de francs de pertes en 1998. Il faudra attendre les années 2000, et la mise en examen de plusieurs de ses anciens cadres, pour que l’État cède, enfin, sa participation dans cette société, qui redevient alors une entreprise comme une autre – ou presque.
Mais, il devait y avoir comme un vide, car l’année suivante, le ministère de l’Intérieur a créé sa petite soeur, CIVIPOL Conseil.
Heureusement, Pasqua a pris sa retraite.
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Sur ce sujet, on peut lire l’article du Point de janvier 2007 et celui de L’Express d’avril 2001.
http://moreas.blog.lemonde.fr/2010/04/25/sofremi-kesako/#xtor=RSS-32280322#xtor=RSS-3208