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Alors que la desserte maritime de la Corse est une nouvelle fois touchée par la grève des marins CGT de la SNCM et de la CMN qui contestent la distribution des aides publiques, les problèmes de continuité territoriale se posent aussi dans chacun des pays européens de la Méditerranée.
ESPAGNE/ FRANCE/ GRECE/ ITALIE. Une nouvelle fois, la desserte maritime de la Corse et ses subventions publiques déchainent les passions. Ce jeudi 1er avril, les marins du syndicat CGT des compagnies SNCM et CMN ont entamé un mouvement de grève illimité pour protester contre l’arrivée le même jour de la compagnie italienne Moby Lines sur la ligne Toulon-Bastia.
Présente depuis des années sur la Corse mais uniquement au départ de l’Italie, Moby Lines s’attaque pour la première fois à une ligne franco-française et veut bénéficier de l’aide sociale par passager instaurée par la collectivité corse pour les liaisons depuis Nice et Toulon.
Mais pour la CGT de la SNCM et de la CMN, il y a distorsion de concurrence. Le syndicat demande la suspension de l’arrivée de Moby Lines jusqu’à fin avril, date à laquelle doit être rendu un rapport sur les conditions de la concurrence face à la délégation de service public confiée aux deux compagnies en grève pour la période 2007-2013. Avec à la clé, d'éventuels ajustements à ce dispositif.
En 2009, le montant des subventions versées au titre de la continuité territoriale entre la Corse et le continent français s’est élevé à 203,6 M€ dont 76% pour les liaisons maritimes. Un chiffre record que les dirigeants de Corsica Ferries ne se privent pas de critiquer.
La compagnie est devenue le premier transporteur maritime sur la Corse avec 2,5 millions de passagers l’an dernier et a perçu pour cela 16 M€ de subvention 80% de l’aide sociale versée en 2009.
Sur le dossier Corse, la situation est volontiers exacerbée, mais dans les autres pays européens de la Méditerranée, où les îles sont toutes caractérisées par l’absence de liens fixes avec le continent (ponts, tunnels…), le problème de la continuité territoriale crée aussi des remous.
C’est le cas en Italie où le gouvernement a lancé la privatisation, annoncée depuis des années, de la compagnie maritime publique Tirrenia présentes sur toutes les îles du pays à travers ses filiales.
La compagnie reçoit chaque année un chèque de 200 M€ de Rome pour couvrir son déficit d’exploitation lié à ses obligations de transporteur, notamment pour la desserte de la Sardaigne, éloignée du continent contrairement à la Sicile.
Mais le statut de la Tirrenia est dans le collimateur de Bruxelles. Le 28 janvier dernier, la Commission européenne a en effet déclenché une procédure d’infraction contre l’Etat italien pour avoir prorogé de 21 mois la convention de service public de Tirrenia qui devait théoriquement s’achever le 31 décembre 2008.
Ce coup de semonce vient compliquer le dossier d’une privatisation déjà complexe alors que la compagnie est plombée par une dette de plus de 800 M€ et dispose d’une flotte vieillissante de 90 navires avec 3.000 salariés.
Les syndicats craignent que le passage au privé n’entraîne la suppression de la moitié des emplois, les armateurs privés reprochent au gouvernement de les avoir écarté de la procédure, lequel les soupçonnent de ne vouloir reprendre que les lignes les plus rentables.
Enfin les régions maritimes, qui aimeraient être associées au capital de la nouvelle société, suivent le dossier avec une pointe d’anxiété. Car toutes les destinations ne partent pas avec le même handicap aux yeux des 16 repreneurs qui ont fait acte de candidature.
Ainsi l'archipel des îles éoliennes (Sicile) craint que la privatisation n'entraîne une forte réduction des liaisons avec la Péninsule. Une menace qui sonnerait le glas de la continuité territoriale.
En Grèce ces dernières années ont été marquées par plusieurs accusations de corruption dans l’attribution des marchés publics pour la desserte de certaines îles.
La situation du pays, qui compte pas moins de 6.000 îles dont 227 habitées et un trafic maritime intérieur en chute de 80% en hiver, a conduit le gouvernement à mettre en place un système particulier, renouvelé tous les ans.
A la fin de chaque année, les compagnies maritimes sont appelées à indiquer quelles dessertes elles veulent assurer dans le cadre d’un service concurrentiel.
Les îles qui ne sont pas desservies de cette façon entrent alors dans le dispositif de service public - soit environ 70 lignes par an - subventionné par l’Etat, qui impose en échange un certain nombre de contraintes aux opérateurs remportant les appels d’offre.
Pour financer ce dispositif, une surtaxe de 3% est prélevée sur les liaisons maritimes du marché libre. L’instauration de marchés publics pour de si courtes périodes, synonymes d’incertitudes économiques pour les compagnies maritimes, a pu susciter des tentations...
Reste l’Espagne où les régions concernées peuvent abonder l’aide d’Etat à la mobilité des résidents « extra péninsulaires ». Le système de base, voté en 2001 sous le nom de « Bonificación en las Tarifas de los Servicios Regulares de Transporte Aéreo y Marítimo » et modifiée en 2005, offre une réduction de 38% sur les trajets aériens et de 15% sur les trajets maritimes. Il concerne les résidents espagnols et européens des îles Canaries, des îles Baléares et des enclaves nord-africaines de Ceuta et Melilla.
Mais certaines compagnies vont plus loin à l’image de Spanair, la principale compagnie aérienne espagnole sur les îles Canaries, qui multiplie les initiatives en ce sens. Son président a ainsi annoncé le 29 mars 2010 qu’elle allait offrir une réduction de 50% sur les excédents de bagages : « Les Canaries sont une destination stratégique pour nous, représentant 20% de notre activité, et nous souhaitons étendre cette présence », explique Ferran Soriano qui a bénéficié pour cela d’une aide spécifique de la Communauté autonome des Canaries.
La continuité territoriale se négocie au coup par coup en Espagne, et ce dans un cadre légal déjà très avantageux.