Comprendre la base sociale de la droite berlusconienne et de la Ligue du Nord en Italie
Classe ouvrière et blocs sociaux
Au lendemain des régionales italiennes caractérisées par la montée inquiétante de la droite fascisante – hégémonie de l'ensemble de la droite dans le Nord industriel, le rééquilibrage au profit de la Ligue du Nord au sein même de la droite; et à gauche, par la faiblesse mais surtout la soumission tant idéologique que concrète des dirigeants du PD, souvent ex-PCI (pensons à Napolitano, d'Alema, Veltroni etc.), et la convalescence de communistes pris entre des tendances schizophréniques à une nouvelle liquidation du communisme (le projet Fédération de Gauche) et à la reconstruction du Parti Communiste (le projet de réunification des communistes dans un seul PC), les analyses mettant en avant la domination Berlusconienne sur les médias italiens ne vont pas manquer d'affluer à gauche.
Incontestable, cet analyse du berlusconisme comme phénomène médiatique n'en est pas moins réductrice, et bien peu marxiste. Elle occulte le fait que le succès du berlusconisme et du Leghisme (Ligue du Nord) repose avant tout sur la création d'un bloc social que l'on pourrait appeler 'bloc des producteurs' liant non seulement petits patrons et grands patrons autour d'un poujadisme anti-Étatique et anti-fiscal mais aussi, particulièrement pour la Ligue, petits patrons et salariés de ces petites entreprises, autour des mêmes thèmes.
C'est la thèse de notre camarade Domenico Moro, économiste du PdCI (Parti des Communistes Italiens), que nous avons eu le plaisir de rencontrer le 6 mars dernier à Paris, dans le cadre d'une conférence sur l'actualité de la pensée Marxiste pour penser la crise capitaliste actuelle. Cette conférence faisait écho à l'ouvrage de vulgarisation dont il est l'auteur: « La crise du capitalisme et Marx » (Ed. Delga), dans lequel il propose une actualisation des concepts du Capital de Marx dans le contexte de la crise capitaliste de ce début de XXIème siècle, et que nous recommandons.
Cette piste de réflexion – la base sociale populaire d'une droite libérale et autoritaire – nous permet tant de comprendre la complexité de la situation sociale et politique italienne que d'affiner notre analyse, chez nous, des phénomènes sarkozystes et frontistes.
Mais, en négatif, c'est aussi le portrait d'une démission de la gauche qu'il dessine. Avant tout, de l'ex-Parti Communiste Italien et de ses dirigeants liquidateurs. L'héritage du PCI – tant idéologique qu'organisationnel – dilapidé, il n'est pas étonnant que le PD actuel – ex-PCI, ex-PDS, ex-DS – ait vu son bloc social se désagréger à tel point que la droite peut maintenant venir mordre sur ses plates-bandes et récupérer même une partie de l'électorat communiste traditionnel.
Mais autant que la critique des dirigeants liquidateurs du PCI de 1991, aujourd'hui à la tête d'un parti centriste, c'est celle de ceux qui ont récupéré son héritage pour mieux le liquider une seconde fois qu'il faudra faire.
Le Parti de la Refondation Communiste de Bertinotti n'a pas voulu renouer avec la classe ouvrière, reconstruire l'organisation communiste sur les lieux de travail, refonder le Parti Communiste sur des bases idéologiques et organisationnelles saines. Elle a préféré le magma informe de la fondation d'un Parti de gauche a-communiste, sans base sociale ni organisation, et a laissé la classe ouvrière à l'abandon.
Elle porte une lourde responsabilité dans l'attaque continue dont est victime la classe ouvrière en Italie depuis 20 ans. Et dans les menaces de mort qui pèsent sur la démocratie ainsi que sur l'unité italienne face à la montée (ir)-résistible du berlusconisme et du leghisme.
AC
Article de Domenico Moro, économiste du PdCI (Parti des Communistes Italiens), 5 septembre 2009
Traduction et introduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
La classe ouvrière et le "bloc des producteurs" berlusconien-leghiste
Dans la phase post-électorale, il y a habituellement peu de perdants et beaucoup de vainqueurs. Toutefois, pour ce qui est des élections européennes de 2009, on a manifestement deux perdants. Le premier est le PD, mais c'était attendu. Le second était moins prévisible. Il s'agit du PDL et de son patron, Silvio Berlusconi. Si on compare, en termes absolus, le nombre de voix obtenus lors des européennes de 2009 avec celui des législatives de 2008, nous observons que, si le PD, donné quasiment pour mort et sur le chemin de la scission interne, perd 28% (si on inclut les voix des radicaux, qui en 2008 s'étaient présentés sur la même liste), ce qui équivaut à 3,3 millions de voix, le PDL ne va pas beaucoup mieux, perdant 21% de ses voix, soit 2,8 millions de voix. Certes c'est une statistique à relativiser, puisque le parti du Cavaliere reste de très loin le premier parti, avec 2,8 millions de voix de plus que le PD, dont le mauvais résultat confirme définitivement non seulement l'échec de la théorie de l'auto-suffisance due à Veltroni, mais aussi sa faiblesse politique et son absence de consistance idéologique. Incontestablement, il a dû se passer quelque chose qui a contrarié les projets de Berlusconi qui était d'arriver à dépasser les 40%, objectif que, imprudemment, il avait considéré comme acquis et qui lui aurait permis de se détacher d'alliés peu commodes (la Ligue du Nord) et de réaliser ses propres projets politiques. Contrairement à ceux que pensent certains, l'Italie n'est pas une république bannanière. Elle est, au contraire, une formation socio-économique très complexe et articulée. Pour comprendre les succès et les échecs de Berlusconi, qui est désormais depuis une quinzaine d'années au centre de la vie politique italienne et que beaucoup continuent à regarder avec les mêmes yeux hagards qu'au début, il faut se tourner vers les spécificités de cette structure et, aujourd'hui à la manière dont celle-ci réagit aux coups que lui porte la crise.
Extrême concentration et extrême fragmentation de la production italienne
La structure économique italienne, comme celle d'autres Pays avancés, est dominée par le grand capital financier, un enchevêtrement des grandes banques et des grandes entreprises, opérant souvent en situation de monopole, entre les mains d'une poignée de groupes de pouvoir. Dans les dernières années, l'organisation interne du capital financier sont en train de se modifier. Entre autres, deux concentrations bancaires aux dimensions européennes et mondiales ont été créées, UniCredit et Intesa San Paolo. En outre, il y a eu l'arrivée de l'outsider Berlusconi, à travers sa fille Marina, au Conseil d'Administration de Mediobanca, salon autorisé de la bourgeoisie italienne, dont il a été exclu, à sa grande honte, pendant des décennies. Si le pouvoir économico-financier est fortement concentré entre les mains de petits groupes, la structure productive est en revanche relativement, par rapport aux grands Pays de l'UE, beaucoup plus fragmentée.
Les micro-entreprises: base sociale de la droite italienne sous toutes ses formes
Les caractéristiques du système productif italien, dans l'industrie et encore plus dans les services, sont le nanisme et la prédominance de la micro-entreprise. Dans les vingt dernières années, le phénomène, loin de s'inverser, s'est accentué. Dans la seule industrie manufacturière, on compte 500 000 entreprises de moins de 20 salariés, avec un total de près de 2 millions de salariés. Les entreprises, même celles plus grandes, sont sous-capitalisées et ont un taux d'endettement plutôt élevé. Les causes de ce nanisme sont multiples. En premier lieu, il y a la restructuration des grandes entreprises, à la suite du grand cycle des luttes ouvrières des années 1970, qui ont externalisé les services et même des morceaux du cœur d'activité pour désarticuler l'organisation ouvrière et faire baisser les salaires, en créant une armée de sous-traitants souvent mono-client.. Deuxièmement, l'armée des petits et très petits entrepreneurs/artisans a représenté un allié fidèle du grand capital contre la classe ouvrière et une base électorale, avec ses propres salariés, d'abord pour la DC et le PSI et maintenant pour leurs successeurs. Troisièmement, la grande bourgeoisie a préféré, plutôt que de réaliser des investissements productifs et d'augmenter en taille, diriger ses capitaux vers la rente, c'est-à-dire vers l'immobilier, la spéculation financière, les assurances, les anciens monopoles publics transformés en monopoles privés (autoroutes, télécoms, transport aérien, etc.)
Une structure productive inadaptée pour soutenir la concurrence mondialisée
Une telle structure productive n'a pas les dimensions pour réaliser les économies d'échelle et d'envergure adéquates, ni les ressources suffisantes à investir dans la recherche et l'innovation. Le résultat est un système industriel largement inefficace, surtout comparé à ceux des autres Pays avancés, et inadapté pour soutenir la concurrence mondialisée. Comment a-t-on pu alors maintenir la pléthore des micro-entreprises? La réponse est simple: grâce aux bas salaires et à la tolérance systématique du pouvoir politique et de l'appareil d'Etat envers les irrégularités, surtout envers l'évasion et la fraude fiscale et le travail au noir. L'évasion fiscale s'élève à 100 milliards annuels, soit 7% du PIB. Le phénomène du travail au noir concerne 14% des salariés du bâtiment, 22,2% des travailleurs agricoles, et même 35% des salariés du tourisme. La présence d'une forte immigration, et en son sein d'un taux élevé de clandestins, est une manne pour ces entreprises. L'installation d'une situation de bas salaires et d'irrégularités a instauré un cercle vicieux, en empêchant la rationalisation de la structure productive et en maintenant en vie des entreprises inadaptées, à la gestion peu industrielle et trop artisanale. Par ailleurs, l'évasion fiscales et les irrégularités ont abouti à un manque à gagner fiscal qui a conduit, d'une part, à l'augmentation de la dette publique et d'autre part à l'aggravation fiscale sur les catégories qui ne peuvent pas échapper à l'imposition, en particulier sur les salariés. Ce qu'on appelle « L'Armée des Partita Iva » [numéro d'identification fiscale réservé aux commerçants, professions libérales et travailleurs en freelance – NdT]. Une réalité magmatique et différenciée qui est celle de 8 millions de personnes, de travailleurs salariés dissimulés, souvent précaires, et d'artisans, de professions libérales, de commerçants, de petits entrepreneurs. Pour nombre d'entre eux, le poids de la pression fiscale est telle qu'elle est, de fait, une incitation à l'évasion.
Pourquoi les ouvriers votent à droite? Démission de la gauche et 'bloc des producteurs' à droite
Pour la masse des petits patrons et des nouveaux patrons, enfreindre les règles et échapper au contrôle de l'État, qui devrait être le garant du respect des règles, est la condition nécessaire à la réalisation de profits si ce n'est à sa propre survie. Le pouvoir de l'État central symbolise l'ennemi pour cette classe sociale. Du reste, par son origine même, le noyau de l'idéologie de la Ligue du Nord est l'aversion au centralisme, représenté idéalement par Rome et dont l'exemple serait le programme de fédéralisme fiscal. Le problème est que une partie, de plus en plus importante, de la classe ouvrière des petites entreprises s'est associée à cette idéologie. En Vénitie en 2009, par exemple, 35% des intérimaires (contrattisti a progetto) et 39% des ouvriers ont voté pour la Ligue, alors qu'en 2006 elle ne récoltait que 18% de leurs voix.. Même la classe ouvrière des grandes entreprises, affaiblie numériquement et syndicalement par vingt années de restructuration de l'organisation du travail est très influencée par les partis de droite. Pourquoi? Parce qu'en l'absence d'une défense des intérêts matériels ouvriers de la part de la gauche et, en partie, du syndicat, qui réussisse à offrir des solutions collectives et de classe, les ouvriers des petites entreprises, surtout, se sont sentis de moins en moins comme classe et de plus en plus comme individus, dont le sort est lié à la survie des entreprises pour lesquelles ils travaillent et, donc à la réalité d'appartenance, que ce soit le repli sur son territoire ou l'exaspération du localisme politique et social. Deuxièmement, l'augmentation de la pression fiscale n'est pas rapportée à ses véritables causes, c'est-à-dire le taux élevé d'évasion fiscale et le soutien providentiel qu'apporte l'État aux entreprises privées, selon le schéma éprouvé de privatisation des profits et de socialisation des pertes. Elle est, au contraire, perçue par les travailleurs salariés comme une charge imposée par l'État central et, en l'absence de compréhension des mécanismes de compression des salaires utilisés par les entreprises et de réalisation du profit comme la seule raison de leur paupérisation. Il s'agit, en définitive, d'un autre fruit empoisonné de l'idéologie de la centralité de l'entreprise, dans sa variante italienne du néo-libéralisme. Du reste, s'il est vrai que le capital tend à la concentration et au gigantisme, et à éliminer la petite entreprise, la petite entreprise représente la racine même du capitalisme.
Anti-communisme berlusconien comme anti-Etatisme: la construction d'un bloc social trans-classiste
Le succès de Berlusconi ne peut s'expliquer seulement par le contrôle des médias de masse, et des télévisions en particulier. Sa réussite est également liée aux particularités de la structure productive italienne et à l'idéologie spécifique dans laquelle elle s'enracine. Berlusconi n'a pas seulement réussi à représenter au mieux l'idéal sociale individualiste du bourgeois italien, réfractaire aux règles, mais il est lui-même, par son histoire et celle de ses entreprises, l'expression de cet individualisme, de cette aversion aux lois et au contrôle de l'État, dont des exemples significatifs sont la dépénalisation de la falsification des comptes, les « boucliers fiscaux », et des mesures telles que l'abolition de l'obligation de mettre à jour le registre des fournisseurs et des clients. Du reste, l'aversion pour les règles et pour l'État s'articule bien avec le démantèlement d'un quelconque rôle public de coordination et de planification de l'activité économique à long-terme, qui a été mis en oeuvre inflexiblement dans les 15-20 dernières années. L'anti-communisme de Berlusconi n'est pas anti-communisme classique, idéologique, en ce sens qu'il identifie le communisme à la subordination de l'entreprise aux règles et à l'État, il est, donc, anti-Etatisme ou plutôt intolérance vis-à-vis de toute contrainte sociale pesant sur l'entreprise. Mais cela va plus loin, Berlusconi a réussi à former un bloc social, en construisant une alliance entre la petite, la moyenne industrie, d'une part, et le capital monopolistique et financier d'autre part (dont il fait lui-même partie), en promettant à la fois la dérèglementation et l'accélération des contre-réformes économiques et institutionnelles que le grand capital défend depuis longtemps en vue de transformer l'Italie en une « démocratie » oligarchique.
Un bloc social ébranlé: crise, contraction du crédit et faillite en cascade des micro-entreprises
La crise du capital, toutefois, quand elle est profonde, comme la crise actuelle, ébranle les blocs sociaux. La crise approfondit les contradictions déjà provoquées par la mondialisation et les vieux mécanismes, basés sur la pratique systématique de l'irrégularité et de l'évasion, ne suffisent plus. La contraction du crédit, suite à l'effondrement de la finance mondiale, frappe les entreprises italiens, déjà fortement endettées et sous-capitalisées, et approfondit le fossé entre grande et petite entreprise: en 2008, 78% des prêts bancaires étaient accordés aux grandes entreprises. En outre, selon Unioncamere, les grands groupes bancaires se sont montrés moins disposés à accorder des prêts comparativement aux petites banques locales et aux coopératives de crédit.. Un fait qui confirme la prédominance de l'échelon local sur l'échelon national pour une grande partie du patronat. Les faillites de micro-entreprises se suivent en chaîne, tant dans l'industrie, où les fournisseurs voient les commandes des grandes entreprises fondre (elles qui transfèrent la crise sur leurs articulations 'externes'), que dans le commerce. Selon Conferescenti, en 2008, 15 000 entreprises ont déposé le bilan, 3 000 de plus qu'en 2007. L'usure, entre-temps, est devenue une véritable urgence sociale avec 180 000 commerçants concernés et un chiffre d'affaires de 15 milliards d'euros. Mais l'inefficacité générale se fait sentir sur tout le système économique, qui subit le contre-coup de la crise plus profondément que les autres pays. On prévoit qu'en 2010, le PIB italien sera en-dessous de son niveau en 2001, avec des performances pires encore que celles des autres pays avancées. Si on prend comme indice 100 pour ces différents pays, le PIB de 2007, les Etats-Unis termineront l'année en 2010 à un indice de 98,2, la Grande-Bretagne à 95,6 et l'Espagne à 98. L'Italie, elle, terminera l'année en bonne dernière avec un indice de 94,8. C'est dans cette situation difficile, où les ressources publiques sont limitées (à cause de l'endettement énorme accumulé) que se développe une lutte acharnée pour accaparer celles qui restent.
Un bloc social fissuré: Face à la crise, Berlusconi renforce les grandes entreprises face aux petites
Face à cette situation, dans laquelle le grand capital et la micro-entreprise luttent pour leur survie, qu'a fait le gouvernement Berlusconi? Très peu, en réalité en mécontentant tout le monde, les petites entreprises et le grand capital. En outre, le gouvernement, tout en ayant favorisé l'évasion fiscale, n'a pas diminué la pression fiscale, qui a même en fait augmenté. Juste avant les élections européennes, Berlusconi a été fortement critiqué à l'Assemblée de la Confindustria [le MEDEF italien], où Marcegaglia l'a accusé – sans mâcher ses mots – d'avoir fait trop peu contre la crise, et il a été quasiment agressé à celle de la Confesercenti [la CGPME italienne]. Mais le mécontentement s'est élargi à l'échelle internationale, parce que tandis que les gouvernements Etats-uniens et européens produisaient un effort financier énorme pour endiguer la crise mondiale, provoquant l'envolée des déficits publics, le gouvernement italien était aux abonnés absents. Ce n'est pas un hasard si les attaques médiatiques contre Berlusconi sont parties non seulement de la Repubblica, son ennemi traditionnel, mais aussi du Corriere (l'affaire d'Addario), qui est lié aux 'salons autorisés' de la grande bourgeoisie italienne, et ont été reprises par la presse étrangère, à commencer par le Financial Times, organe du capital financier international. Après les élections, Berlusconi a couru aux abris, en introduisant une exonération fiscale de 50% sur les investissements dans de nouvelles machines. Il s'agit, cependant, d'une mesure dont les petites entreprises, déjà étranglées par la dette, ne pourront pas profiter, et qui bénéficiera seulement aux grandes entreprises manufacturière, qui ont des ressources à investir et qui se saisiront de l'occasion pour restructurer encore une fois, avec de l'argent public, l'organisation du travail, substituant les travailleurs par de la technologie.
Redistribution des rôles: affaiblissement Berlusconien et renforcement de la Ligue du Nord
La crise, donc, a ouvert des contradictions, dont il faut estimer la profondeur et observer les développements, au sein du bloc social berlusconien, en particulier entre petites entreprises et grand capital. La grande peur des petites entreprises et d'une partie des travailleurs pèse sur le résultat électoral. Tandis que Berlusconi s'est affaibli relativement, la Ligue s'est renforcée, gagnant 100 000 voix, soit 3% de plus qu'aux élections législatives de 2008. Et cela parce que la Ligue a réussi à souder les patrons ouvriers et les ouvriers en un bloc social inter-classiste, où les divisions de classes sont effacées, comme le déclare Garavaglia, maire leghiste: « La petite entreprise est exactement le prototype de cette société du risque où on est tous dans le même bateau, où entre ouvrier et petit patron il y a des intérêts communs, et où celui qui est salarié aspire à imiter son patron. » Le ciment, c'est la question des impôts, les éléments du bloc leghiste sont « Une galaxie certes magmatique, mais marquée par un point commun: ces gens, les impôts, ils les payent de leur propre poche... ». Tout aussi claire et de classe, la position vis-à-vis du PDL: « les alliés [Berlusconi] doivent nous écouter, parce que parfois quand il faut choisir entre l'Italie du risque et celle des garanties, le PDL et le PD finissent pas se ressembler. »Une référence explicite à la préférence accordée aux grandes entreprises et aux banques. Ainsi au syndicat des travailleurs se substitue ou s'adosse (voir les ouvriers leghistes inscrits à la CGIL), le syndicat du territoire.
Le succès de la droite: la récupération d'une partie de l'ancien bloc social du PCI dispersé par ses successeurs
Le pacte des producteurs berlusconien et leghiste pénètre bien au-dessous du Po et défie le PD directement sur son propre territoire, celui des 'régions rouges'. Emblématique, le cas de Pise (province), où la Lega est à 4,4%, et de Prato (commune), où la Lega est à 6% et la droite l'emporte pour la première fois depuis 63 années, dans un tissu social transformé par la crise du textile et par l'immigration chinoise massive. La droite et la Lega ont tendance à occuper ainsi l'espace d'un autre bloc des producteurs, celui construit par le PCI et dont a hérité ensuite le PDS, les DS et aujourd'hui le PD, qui, après plusieurs décennies, semble vaciller dangereusement. Un des éléments principaux à la base de la lente, et aujourd'hui plus rapide, érosion du vieux bloc social du PCI est justement le positionnement politico-social, et avant tout idéologique, des formations qui se sont succédées à la suite de l'auto-dissolution du PCI, résultat à son tour de sa lente dégradation idéologique, social et politique entre la fin des années 70 et les années 80. Le PCI, en effet, ne s'est pas transformé en un parti social-démocrate classique, ancré quand même dans la classe ouvrière, mais a penché plutôt vers la libéral-démocratie. Du reste, les contre-réformes du marché du travail (loi 30), des institutions Etatiques (accentuation du régionalisme) et du système électoral (majoritaire et seuil de barrage) ont pu voir le jour grâce à la contribution décisive du groupe dirigeant qui s'est formé dans le PCI des dernières années et qui a mené la transition vers le PDS.
Berlusconisme entre bonapartisme hard (autoritarisme) et soft (démocratie oligarchique)
Le bonapartisme est une forme de régime caractérisée par « l'interclassisme démagogique, séduisant, quasi irrésistible pour les masses les moins politisées tout en étant solidement ancrée dans un rapport d'assistance mutuelle avec les classes possédantes. (…) Sa continuation au XX ème a été le fascisme »Cette catégorie vient de Marx, qui a étudié l'avènement du pouvoir dictatorial, à travers l'instrumentalisation peu scrupuleuse du suffrage universel, de Louis Bonaparte, le futur Napoléon III. La base de masse de Louis Bonaparte fut la classe nombreuse des petits propriétaires paysans français, mais sa classe de référence était la grande bourgeoisie financière. Berlusconi a cherché de mettre en oeucre en Italie sa version originale de bonapartisme médiatique, avec une base de masse constituée par la petite et la très petite entreprise. Le projet du Cavaliere a rencontré, toutefois, deux types d'obstacles. Le premier est représenté par le grand capital, qui, pour le moment et étant donné les rapports de force qui lui sont favorables, n'a pas besoin de se fier à un seul homme, à une forme « dure » de bonapartisme, mais s'orienterait vers une « bonapartisme soft »ou une sorte de démocratie oligarchique, qui a patiemment placé ses billes dans les vingt dernières années en usant avec sagesse du bi-partisme et des principales formations politiques, DS et Forza Italia in primis. D'autre part, le projet bonapartiste classique de Berlusconi est entravé par la présence d'un parti organiquement représenté par cette classe, petite et moyenne bourgeoisie, qui pour Berlusconi est seulement une masse de manœuvre.
L'autonomie politique et organisationnelle de la classse ouvrière sacrifiée
La victime sacrificielle de ces mouvements de classe est, en tout cas, l'autonomie politique et organisationnelle de la classe ouvrière et des travailleurs salariés (publics et privés), y compris ceux masqués sous la forme de la « partita IVA », soumis à l'hégémonie de plusieurs formations bourgeoises. Si la gauche anti-capitaliste veut peser à nouveau, elle doit donc faire sauter ou tout du moins affaiblir les liens qui unissent la classe ouvrière au « bloc des producteurs » berlusconien-leghiste. La gauche doit décoller l'étiquette, que lui a collée la droite, de parti de l'augmentation des impôts et de la permissivité, en mettant au centre de son action la réduction de la pression fiscale (directe et indirecte) pour les travailleurs salariés, et en luttant contre tout type d'irrégularité et d'abus de la part des entreprises, petites et grandes, du travail au noir à l'évasion fiscale. La crise a déjà porté des coups durs, bien que pas décisifs, au bloc social berlusconien. Dans les prochains mois, s'abattra la longue vague de la crise, avec son flot de chômeurs. Ce sera le moment où la gauche et le syndicat, élément fondamental dans ce processus, devront et pourront intervenir. La bataille devra être menée à deux niveaux, simultanément. A l'échelle globale contre le localisme, sur les réponses, en termes de politiques industrielles publiques, à donner à l'inadaptation manifeste de la structure productive italienne. Et à l'échelle régionale, où se dérouleront les prochaines élections et où est en jeu une partie considérable de l'État social, défiant la Lega sur leur propre terrain et en construisant en alternative au « bloc des producteurs » un nouveau bloc social qui recompose les différents segments du travail salarié, y compris celui formellement autonome.