Le Point - 1
43 officiers et soldats israéliens, réservistes de la prestigieuse unité de renseignement 8 200, refusent de combattre les Palestiniens. Et le font savoir.
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Par Aziz Zemouri
En Israël, c'est le choc de cette fin de semaine. La publication par le grand quotidien Yedioth Aharonot d'une lettre rédigée par 43 officiers et soldats, tous réservistes de la prestigieuse unité de renseignement 8 200. Les signataires, dont la censure interdit de publier les noms, déclarent refuser désormais de "participer aux actions contre les Palestiniens et de continuer à être les outils du renforcement du contrôle militaire sur les territoires occupés". "Le service de renseignement, écrivent-ils, permet le contrôle permanent de millions de personnes à l'aide d'une surveillance en profondeur, très intrusive, et qui s'immisce dans de nombreux secteurs du quotidien des individus. Toutes choses qui ne permettent pas de vivre normalement. Sans compter qu'elles alimentent encore plus la violence et font s'éloigner la résolution du conflit..."
Ils rappellent que la population palestinienne, vivant sous un régime militaire depuis quarante-sept ans, est totalement exposée à l'espionnage et la surveillance du renseignement israélien, sans aucune des limitations draconiennes qui, dans ce domaine, s'appliquent, en les protégeant, aux citoyens israéliens. "Nous avons signé cette lettre dans un sentiment d'urgence, a déclaré à la radio Daniel (un nom d'emprunt) . Quand j'ai rejoint l'unité, il y a 10 ans, je savais que j'allais faire un travail important pour la défense d'Israël. Aujourd'hui, nous avons compris que la situation est différente. Que la seule mission de notre unité dans les territoires occupés n'est pas la défense du pays, mais le contrôle d'un autre peuple."
Joyau du renseignement militaire et de l'espionnage, l'unité 8 200 est considérée comme l'oreille et, d'une certaine manière, l'oeil de l'armée. Elle est spécialisée dans l'écoute électromagnétique et le déchiffrement des codes. Seules les meilleures recrues rejoignent ses rangs, les bacheliers les plus doués en maths, en physique et en informatique. En la quittant, après leur service parfois prolongé de plusieurs années, ils sont nombreux à créer des start-up. De fait, 8 200 est à l'origine du boom technologique israélien de ces 20 dernières années. Jusqu'en 2001, sa mission était entièrement tournée vers l'ennemi extérieur, la Syrie, le Liban, l'Iran, etc. C'est le Premier ministre Ariel Sharon qui, en 2001, au début de la seconde intifada et dans le cadre de la lutte contre les attentats-suicides, a rajouté les Palestiniens à cette liste.
Parmi les problèmes de conscience des 43 "refuzniks", les liquidations ciblées tiennent une place prépondérante en raison des bavures ayant entraîné la mort d'innocents. "N", une jeune femme de 26 ans aujourd'hui employée d'une start-up, raconte : "Après avoir repéré un individu à côté de ce qui était un dépôt d'armes, une frappe ciblée est décidée. Je me souviens de l'image sur l'écran. Le suspect est dans un champ. Le missile part. Il y a une explosion, de la fumée. Une femme court vers lui. C'était sa mère et nous venions de tuer un enfant... je ne sais même pas s'il y a eu enquête." Quant à "Y", il accuse : "Notre travail n'était pas seulement tactique. Nous devions aussi collecter des informations très privées concernant des Palestiniens sans lien aucun avec le terrorisme. Par exemple, un homosexuel ou une personne malade ayant besoin d'un traitement coûteux en Israël. Nous devions les signaler. Car ils pouvaient être ainsi la cible d'un chantage afin d'en faire des collabos..."
Pour "D", 29 ans, capitaine de réserve, le moment déclencheur eut lieu dans une salle de cinéma, lors de la projection de La Vie des autres,ce film de 2006 évoquant la mise sur écoutes par la Stasi, la police secrète est-allemande, d'une grande partie de la population. "J'étais en état de choc. D'un côté, je m'identifiais aux victimes. La façon dont on les traquait les privait des droits les plus élémentaires. De l'autre, j'ai soudain compris que, lors de mon service militaire, j'avais été du côté de ceux qui traquent. Que nous faisions exactement la même chose, seulement d'une façon beaucoup plus efficace."
Dans le passé, à plusieurs reprises, des réservistes ont exprimé publiquement leur refus de la politique israélienne à l'égard des Palestiniens. On se souvient des 27 pilotes et des 13 membres du commando d'état-major qui, en 2003, n'ont plus voulu prendre part aux liquidations ciblées. Mais, pour l'unité 8 200, c'est une première. Même si, selon le spécialiste des affaires de défense et du renseignement à Yedioth Aharonot Ronen Bergman, un lieutenant avait reçu, en 2003, l'ordre de préparer le bombardement du QG du Fatah à Khan Younès, il avait refusé parce que des civils s'y trouvaient. "Il s'agit, avait-il dit, d'un ordre évidemment illégal." Finalement, il avait été limogé et libéré de l'armée, sans être traduit en justice. Visiblement, explique Ronen Bergman, l'armée ne voulait pas que les questions inhérentes à cet acte de rébellion fassent l'objet d'un débat public. Cette lettre des 43 va-t-elle permettre à ce débat d'avoir lieu ? Peut-être ! répond le journaliste de Yediot. Mais d'ores et déjà les contre-feux sont allumés. D'autres réservistes de 8 200 font circuler une lettre condamnant l'initiative des refuzniks et affirmant qu'en fait l'unité sauve des vies. Une autre organisation, proche du mouvement de colonisation, réclame leur limogeage immédiat et déclare qu'ils "ne méritent pas de porter l'uniforme de Tsahal".
Quel sera l'effet de cette "lettre des 43" ? Jusqu'à présent, ce genre de protestation n'a eu que des échos limités. En 2012, les déclarations très dures de six anciens grands patrons du Shin Beth contre la politique gouvernementale d'occupation, dans le cadre du film The Gatekeepers, ont été très vite oubliées. L'oeuvre a eu plus de succès à l'étranger qu'en Israël.
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