Reprenons la comédie de l’été : Arnaud Montebourg redit, lors d’une fête arrosée à la cuvée du redressement, justement, son scepticisme (ce n’est pas nous qui allons le lui reprocher) quant aux choix économiques du président. Ce n’est pas la première fois. Et ce n’est pas l’effet de la chaleur combinée avec la cuvée : Montebourg a du coffre. Son invité Benoit Hamon, dans cette joyeuse atmosphère, ne veut pas être en reste et en rajoute une couche. Pas vraiment étonnant : tout le monde sait ce qu’il pense de la politique économique suivie. Et voilà Manuel Valls qui pique sa crise. Comme une Valérie Trierweiler en découvrant les frasques scootérisées de son jules, le voilà qui court voir Hollande et lui fait le coup de c’est lui ou moi. Et là, variante de ce qui advint à madame Trierweiler, François Hollande répond que c’est lui. Hop, exit Montebourg, exit Hamon, et exit Aurore Filipetti, qui profite de l’occase, se sachant en sursis, pour se tirer dignement plutôt que d’être virée froidement, comme nos grands chefs, passés ou actuels, ont coutume de faire. Un qui est content, c’est Valls, car on ne nous ôtera pas de l’idée que la préparation de l’après Hollande a déjà commencé et que le camarade Manuel a saisi la première occasion pour faire un croche-patte au camarade Arnaud, potentiel rival.
Car ne nous méprenons pas, les grandes manœuvres ont commencé. Dès le coup de force de Valls réalisé, même si la presse a peu relevé cet élément, sa garde rapprochée, (les députés Luc Carvounas et Carlos Da Silva, Jean-Marie Le Guen, qui est à la politique ce que Jean-Marie Bigard est à l’humour, du lourd, car ces gens ne font pas dans la dentelle) a jubilé : « nous allons prendre le parti », genre Poutine en Ukraine. Et Arnaud Montebourg rumine peut-être de fédérer les frondeurs de tous poils, genre place Maïdan, dans le même but. Et il se fait plus que murmurer que Martine Aubry pourrait faire sa grande rentrée. Espérons qu’elle portera un projet car tout ceci est charmant, chers camarades, mais montre pour l’instant de façon un brin crue que les graves problèmes que connaît le pays ne sont pas obligatoirement les priorités des caciques du PS.
Autre question, quoique liée à ce qui précède : qui commande au sommet ? Hollande ou Valls ? Le calife ou Iznogoud ? Très fort, ce quinquennat, qui nous offre et opéra bouffe et bande dessinée. Et ce n’est pas tout : nous avons droit en prime à du vaudeville, le livre de madame Trierweiler couronnant l’épisode comique du scooter. Non pas que nous soyons bégueules, ces messieurs-dames font bien ce qu’ils veulent, et grand bien leur fasse. Nous aurions souhaité simplement un peu plus de discrétion. Impossible à l’époque de twitter, des selfies et tout et tout ? Allons donc, certaines stars du cinéma ou de spectacle vivant parviennent très bien à protéger leur vie privée, et cela sans disposer des protections de nos éminences politiques. Mais cet aspect des choses, même s’il fait vendre, n’est pas le plus préoccupant.
Ce qui l’est, c’est que ce gouvernement porté au pouvoir par les électeurs de gauche, même s’ils l’on fait souvent sans enthousiasme, a peu à peu entraîné l’ensemble de la gauche, y compris la partie qui n’en pouvait mais, dans son impasse. C’est que non seulement il s’est assis sur une partie, la plus importante, de son programme lors de la candidature de François Hollande, mais qu’il lui a tourné le dos. Peut-être dira-t-on que François Hollande n’est pas le premier président de la république ou premier ministre à se renier. On citera Mitterrand et 1983 (la « parenthèse » de la rigueur), Chirac en 1995 (la fracture sociale), Jospin en 1999 (traité d’Amsterdam), Sarkozy en 2007 (la rupture). Et De Gaulle sur l’Algérie ? Certes, mais De Gaulle, lui, fit valider son choix par les urnes. Il demeure que ces revirements à répétition ne sont probablement pas pour rien dans, au mieux, l’indifférence, ou la méfiance, voire, au pire, l’hostilité que beaucoup de citoyens manifestent envers la classe politique. Dans un excellent et récent article dans Libération, le constitutionnaliste Dominique Rousseau dénonce l’autisme institutionnel installé par la Ve république, encore davantage ancré par le catastrophique couplage quinquennal de la présidence et du parlement voulu par Jacques Chirac et Lionel Jospin (quoique cette fois largement validé par les urnes, entaché cependant par une abstention de près de 70%). Pendant cinq ans, un président peut se fourvoyer mais rester en place. Même pas d’élections législatives de mi-mandat comme aux Etats-Unis. En son temps, la formule de Jean-Luc Mélenchon, « capitaine de pédalo », fut amusante. Depuis…
Restaurer les valeurs de la gauche prises en otage par la fraction socio-libérale va être difficile. Cela demandera beaucoup d’humilité, ce qui n’est pas le point fort de bien des leaders de la gauche, une capacité à interpeller et faire participer la société civile, et pas seulement lors des périodes électorales, cela suppose de ne pas limiter cette reconstruction à des tractations entre organisations, ce dont souffre le Front de Gauche, par exemple, et ce dont pourrait souffrir celles et ceux qui, au Parti Socialiste ou chez Europe-Ecologie-Les Verts, contestent les choix gouvernementaux. Il s’agit de recréer de l’espoir. Michel Rocard, par ailleurs capable de brillantes analyses, a dit parfois de grosses bêtises : « briseur de rêves », se disait-il, alors premier ministre. Une politique de gauche doit contenir une part de rêve, et sa mission est de la transformer en réalité.