Finalement, un aspect secondaire de la crise ukrainienne commence à recevoir une attention internationale. Le 28 juillet, lInstitut Oakland, basé en Californie, a publié un rapport révélant que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), selon les termes de leur prêt de $17 milliards à lUkraine, ouvriraient ce pays aux cultures génétiquement modifiées (GM), ainsi quaux OGM dans lagriculture. Le rapport est intitulévu de lOuest : la Banque mondiale et le FMI en Ukraine [1].
Fin 2013, le président ukrainien du moment, Viktor Yanukovych, a rejeté lagrément dassociation à lUnion européenne lié au prêt de $17 milliards, dont les termes viennent seulement dêtre révélés. Au contraire, Yanukovych a opté pour une aide russe de $15 milliards, assortie dune réduction sur le prix du gaz naturel. Sa décision a été un facteur majeur des protestations mortelles qui sensuivirent et qui lont renversé du pouvoir en février 2014, ainsi que de la crise en cours.
Selon lOakland Institute, « alors que lUkraine nautorise pas lutilisation des OGM dans lagriculture, lArticle 404 de laccord avec lUE, en rapport avec lagriculture, inclut une clause qui est généralement passée inaperçue : cette clause indique, entre autres, que les deux parties vont coopérer pour étendre lutilisation des biotechnologies. Il ne fait aucun doute que cette clause rencontre les attentes de lagro-industrie. Comme Michael Cox, directeur de recherche à la banque dinvestissement Piper Jaffray, la observé, « lUkraine, et de manière générale lEurope de lEst, sont parmi les marchés en croissance les plus prometteurs pour le géant de léquipement en matériel agricole Deere, ainsi que pour les producteurs Monsanto et Dupont« » [2].
La loi ukrainienne interdit aux agriculteurs de cultiver des plantes génétiquement modifiées. Longtemps considérée comme « le grenier à blé de lEurope », lUkraine, avec les riches terres noires de son sol, est idéale pour la croissance des céréales. Ainsi, en 2012, les agriculteurs ukrainiens ont produit plus de 20 millions de tonnes de céréales.
Linvestissement de Monsanto
En mai 2013, Monsanto a annoncé un plan dinvestissements de $140 millions dans une usine de semences de céréales non OGM en Ukraine, avec le porte-parole de Monsanto en Ukraine, Vitally Fechuk, confirmant que « Nous travaillerons seulement avec des semences conventionnelles parce que ce sont les seules autorisées en Ukraine pour la production et lexportation ».
Mais, en novembre 2013, six grandes associations dagriculteurs ukrainiens avaient préparé un projet damendement à la loi, poussant à « créer, tester, transporter et utiliser des OGM dans le cadre de la législation sur les semences génétiquement modifiées » [4]. Le président de Ukrainian Grain Association, lassociation des semenciers ukrainiens, Volodymyr Klymenko, a dit lors dune conférence de presse à Kiev que : « Nous pourrions réfléchir à cette question très longtemps, mais nous, avec les associations [agricoles], avons signé deux lettres pour modifier la loi sur la biosécurité, dans lesquelles nous avons proposé la légalisation des semences OGM pour nos agriculteurs, semences qui ont été testées depuis longtemps aux États-Unis » (en fait, les semences génétiquement modifiées ainsi que les OGM nont jamais été soumis à des tests indépendants sur le long-terme aux U.S.).
Les amendements des associations agricoles coïncidaient avec les termes de lassociation avec lUE et avec le prêt FMI/Banque Mondiale.
Le site web sustainablepulse.com, qui traque les nouvelles sur les OGM au niveau mondial a fustigé les propositions des associations agricoles, avec le directeur Henry Rowlands déclarant : « Lagriculture de lUkraine sera sérieusement endommagée si le gouvernement autorise les semences génétiquement modifiées dans le pays. Les agriculteurs verront se réduire les marchés à lexportation à cause des sentiments anti-OGM en Russie et dans lUE ». Rowlands a dit que les investissements de Monsanto en Ukraine « pouvaient atteindre $300 millions sur plusieurs années. Est-ce-que lagriculture ukrainienne veut faire totalement confiance au succès ou à léchec dune compagnie U.S.? » [5]
Le 13 décembre 2013, le vice-président de Monsanto (Corporate Enaggement), Jesus Madrazo, a dit à la conférence U.S-Ukraine à Washington D.C. que la compagnie voyait « limportance de la création dun environnement favorable [en Ukraine], qui encourage linnovation et émule le développement continu de lagriculture. LUkraine a lopportunité de développer encore plus le potentiel des cultures conventionnelles, là où nous concentrons actuellement nos efforts. Nous espérons aussi que, le moment venu, la biotechnologie sera un outil disponible pour les agriculteurs ukrainiens dans le futur » [6].
Juste quelques jours avant les remarques de Madrazo à Washington, Monsanto Ukraine a lancé son programme de « développement social » pour le pays, appelé « Panier de grains du futur » [7]. Il fournissait une bourse à des villageois ruraux afin quils puissent (selon les mots de Monsanto) « commencer à ressentir quils peuvent améliorer leur situation eux-mêmes au lieu dattendre une subvention ».
Actuellement, les véritables subventions sont celles qui vont aux gros de lagro-business, selon les termes des prêts du FMI et de la Banque mondiale, qui, en plus douvrir le pays aux cultures OGM, va aussi conduire, plus tard, à lever linterdiction qui pèse sur la vente des riches terres ukrainiennes au secteur privé [8].
Comme la formulé Morgan Williams, président et PDG du Conseil pour le commerce U.S.-Ukraine, en mars dans International Business Times, « Lagriculture ukrainienne pourrait être une vraie mine dor » [9]. Mais, a-t-il ajouté, « de nombreux aspects du climat des affaires [en Ukraine] doivent changer, le point principal étant de garder le gouvernement hors des affaires commerciales... ».
Les câbles Wikileaks
En août 2011, Wikileaks a diffusé des câbles diplomatiques U.S. montrant que le Département dÉtat des U.S. [Affaires étrangères, NdT] a fait du lobbying au niveau mondial pour le compte de Monsanto et dautres multinationales de la biotechnologie, telles que DuPont, Syngenta, Bayer et Dow. Lorganisme à but non lucratif, Food & Water Watch [Surveillance de l'eau et de la nourriture, NdT], après passage au peigne fin de ces câbles sur cinq ans (2005-2009), a publié son rapport le 14 mai 2013, intitulé « Ambassadeurs de la Biotechnique : comment le ministère des Affaires étrangères U.S. fait la promotion du programme global de lindustrie des semences » [10]. Le rapport montre que le ministère des Affaires étrangères U.S. a « fait du lobbying auprès de gouvernements étrangers pour quils adoptent des politiques et légifèrent en faveur des biotechnologies agricoles, a réalisé des campagnes rigoureuses de relations publiques pour améliorer limage de la biotechnologie, et a défié ouvertement les gardes-fous et les règles de bon sens, allant même jusquà sopposer aux lois concernant létiquetage des nourritures OGM ».
Selon un article de consortiumnews.com du 16 mars 2014, Morgan Williams est au centre du réseau dalliances du regroupement des multinationales du business agroalimentaire (Big Ag) avec la politique étrangère des U.S. [11]. « En plus dêtre président et PDG du Conseil pour le commerce U.S.-Ukraine, Williams est Directeur des affaires gouvernementales dans la firme privée dinvestissement SigmaBleyzer, qui racole pour le travail de Williams « diverses agences du gouvernement U.S., membres du Congrès, commissions du Congrès, lambassade dUkraine aux U.S., des institutions financières internationales, des groupes de réflexion et autres organisations concernant les affaires U.S.-Ukraine, les questions de commerce, dinvestissement et déconomie ».
Les seize membres du Comité exécutif du Conseil pour le commerce U.S.-Ukraine viennent de compagnies agroalimentaires U.S., incluant des représentants de Monsanto, John Deere, DuPont Pioneer, Eli Lilly, et Cargill [12]. Parmi les vingt « Consultants principaux », on rencontre James Greene (ancien chef du Bureau de liaison Otan-Ukraine), Ariel Cohen (chargé de recherche principal à The Heritage Foundation [Groupe de réflexion conservateur à Washington D.C.], Léonid Kozachenko (président de la Confédération agraire ukrainienne), six anciens ambassadeurs U.S. en Ukraine, et lancien ambassadeur dUkraine aux U.S., Oleh Shamshur.
Shamshur est maintenant un conseiller principal chez PBN Hill + Knowlton Strategies, une unité du géant des relations publiques Hill + Knowlton Strategies (H+K). H+K est une filiale du gargantuesque groupe WPP, basé à Londres, qui possède quelques douzaines de grosses firmes de relations publiques, dont Burson-Marsteller (un conseiller de Monsanto depuis longtemps).
Stratégies de Hill + Knowlton
Le 15 avril 2014, le journal de Toronto The Globe & Mail a publié un éditorial de lassistant consultant de H+K, Olga Radchenko [13]. Larticle fulminait contre le Président russe Vladimir Poutine et « la machine de relations publiques de Mr. Poutine », déclarant que « le mois dernier [mars 2014, un mois après le coup d'État], un groupe de professionnels des relations publiques, basé à Kiev, avait formé le Centre des médias sur la crise ukrainienne, une opération volontaire dans le but daider à améliorer limage de lUkraine et de gérer ses communications sur la scène globale ».
Le site web de PNB Hill + Knowlton Strategies déclare que le PDG de la compagnie, Myron Wasylyk, est un « membre du bureau du Conseil pour le Commerce U.S.-Ukraine », et que le Directeur général pour lUkraine, Oksana Monastyrska, « dirige les travaux de la firme pour Monsanto ». Monastyrska a aussi travaillé pour la Société financière internationale de la Banque mondiale.
Selon Oakland Institut, les conditions du prêt accordé à lUkraine par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont déjà conduit à « un accroissement des investissements étrangers, qui entraînera probablement une expansion des acquisitions de terres agricoles sur une grande échelle par des compagnies étrangères et une future privatisation de lagriculture du pays » [14].
En attendant, le Permier ministre russe, Dmitry Medvedev, a déclaré en avril 2014 : « Nous navons pas pour but de développer les produits OGM ici, ni de les importer. Nous pouvons nous nourrir avec des produits normaux non génétiquement modifiés. Si les Américains aiment manger de tels produits, quils les mangent. Nous navons pas besoin de faire ça ; nous avons assez de place et doccasions pour produire une nourriture organique naturelle » [15].
Hill + Knowlton, avec ses mensonges sur les « atrocités dans les incubateurs de bébés » au Koweït, a instrumentalisé le public américain pour quil supporte la première Guerre du Golfe en Irak au début des années 90. Maintenant la compagnie fomente une nouvelle Guerre Froide ou encore pire pour le compte de Monsanto, récemment élue « la pire » multinationale de la planète. Cest une chose dont il faut se souvenir au moment de la diabolisation tous azimuts de Poutine par les médias de masse.
Joyce Nelson
Article original en anglais :
On Behalf of Monsanto: GMO Food Crops for Ukraines Bread Basket, 24 août 2014
source principale : http://www.counterpunch.org/2014/08/22/70838/
Traduit par Jean-Jacques pour vineyardsaker.fr
Joyce Nelson est un free-lance écrivain/chercheur canadien et lauteur de cinq livres, dont Sultans of Sleaze: PR & The Media (lien vers amazon.fr).
[1] http://www.oaklandinstitute.org/press-release-world-bank-and-imf-open-ukraine-western-interests
[2] Ibid.
[3] Monsanto plans $140 mln Ukraine non-GM corn seed plant (reuters, anglais, 24-05-2013)
[4] http://en.interfac.com.ua/news/press-conference/173536.html
[5] http://sustainablepulse.com/2013/11/05/sustainable-pulse-slams-ukraine-agri-associations...
[6] http://monsantoblog.com/2013/12/19/monsanto-and-its-commitment-to-ukraine/
[7] http://monsantoblog.com/2013/12/13/monsanto-ukraine-launching-social-development-pr
[8] http://www.globalresearch.ca/ukraine-secretive-neo-nazi-military-organization-involved-i
[9] http://ibtimes.com/westerners-know-very-little-about-ukraine-qa-us-ukraine-business-co
[10] http://www.foodandwaterwatch.org/reports/biotech-ambassadors/
[11] Corporate Interests Behind Ukraine Putsch (consortiumnews.com, anglais, 16-03-2014)
[12] http://www.usubc.org/site/u-s-ukraine-business-council-usubc-executive-committee
[13] http://www.theglobeandmail.com/globe-debate/in-the-battle-of-hearts-and-minds-kiev-is...
[14] http://www.oaklandinstitute.org/press-release-world-bank-and-imf-open-ukraine-western-interests