Je reproduis l’excellent texte de Léa Scherer, du Nouvel Observateur, « Que sont devenus les héros libyens de BHL ? ». Que ce mec parle alors qu’il n’a rien à dire, c’est le phénomène connu des canards à qui on a coupé la tête et qui continuent de marcher. Mais qu’on l’écoute, et qu’un journal comme Le Point lui laisse une tribune, ça donne une juste idée des maladies de la presse française et de ceux qui la finance. Notre beau pays souffre de toutes ces bêtises vaniteuses.
Dans son récit « La Guerre sans l’aimer » (Ed. Grasset, 2011), Bernard-Henri Lévy raconte son engagement dans le conflit libyen, en 2011. Une épopée mise en scène à la manière d’une vitrine d’idéaux colossaux, aux accents de Lawrence d’Arabie…
Dans le chaos libyen de l’époque, BHL fait défiler un certain nombre d’hommes, d’horizons divers, dont ceux qu’il a amenés à l’Elysée puisqu’il revendique le fait d’avoir convaincu Nicolas Sarkozy de les soutenir et d’intervenir militairement ensuite pour renverser le régime de Kadhafi.
Sept d’entre eux ont joué un rôle d’envergure dans le renversement du régime libyen, dont Ali Essawi, Mahmoud Jibril et Ali Zeidan, qui ont fait partie du groupe d’émissaires envoyés à l’Elysée le 10 mars 2011, afin de demander une reconnaissance officielle par l’Etat français de l’opposition au régime kadhafiste.
Cette reconnaissance, ils l’obtiendront de Nicolas Sarkozy. Beaucoup, y compris au sein de la diplomatie française, reprocheront au Président sa trop grande connivence avec l’intellectuel BHL sur la question libyenne.
Ces hommes providentiels, BHL les a présentés dans son ouvrage comme déterminants pour l’avenir de la démocratie en Libye. Même s’il reconnaît au début de l’aventure : « Je ne sais rien d’eux. Je connais à peine leurs noms… »
Que sont devenus ces hommes qui, à en lire BHL, devaient instaurer la démocratie en Libye ? Hélène Bravin, chercheur spécialiste à l’IPSE (Institut prospectives et sécurité en Europe), et auteure du livre « Kadhafi, vie et mort d’un dictateur » (Editions Bourin, 2011), nous a aidé à y répondre.
1/ Mustafa Abdeljalil
Ancien président du Conseil national de transition (CNT)
BHL disait de lui qu’il avait « cet air de solitude extrême que j’ai toujours trouvé à ceux qui, à mains nues, affrontent la tyrannie ». Une fois celle-ci tombée, son parcours tournera toutefois vite court.
A la tête du Conseil national de transition (CNT) en 2011, Moustafa Abdeljalil a commis l’irréparable erreur d’avoir confié la sécurité des sites officiels à l’islamiste Abdelhakim Bel Haj, provoquant une surenchère des milices pour l’occupation de ces derniers.
Islamiste dans l’âme, dès son installation à la présidence du CNT, il a réclamé l’application exclusive de la charia (ce qui n’est pas le cas de tous les hommes politiques libyens).
Une fois la passation de pouvoir entre le CNT et le Parlement élu en juillet 2012, Mustafa Abdeljalil s’est alors fait « très discret ». Il est retourné dans sa ville d’origine Al Baida (Est). Il s’est fait le garant, avec sa milice, de la protection des membres du comité de rédaction de la Constitution qui s’est installé dans cette ville.
Pour pacifier le conflit entre milices à Tripoli qui se battent pour conquérir le site stratégique de l’aéroport de Tripoli, il a été nommé, mais en vain, réconciliateur. Il a dû aujourd’hui y renoncer.
2/ Ali Essawi
Emissaire lors de la rencontre avec Nicolas Sarkozy en mars 2011
Il est soupçonné par la tribu du général Abdul Fatah Younès, ancien commandant de l’armée de l’armée de libération nationale, d’avoir participé à l’assassinat de ce dernier, mort dans des conditions épouvantables.
Il s’est réfugié au Qatar.
3/ Mahmoud Jibril
Emissaire lors de la rencontre avec Nicolas Sarkozy en mars 2011
Ex-membre du gouvernement de Kadhafi, il a été proche de son fils Saif El Islam. En 2011, il a rejoint la révolution. Il est actuellement retenu par les milices de Zentan.
BHL raconte dans son livre comment, à la demande de Sarkozy qui souhaitait « un geste de nos amis de Benghazi », il a rédigé le 25 mars 2011 un texte au nom de Mahmoud Jibril remerciant la France, et que le philosophe envoya aussitôt à Etienne Mougeotte pour qu’il le publie dans Le Figaro…
« [Avec Gilles Herzog] nous rédigeons, comme à la grande époque bosniaque, un projet de “lettre de remerciement au peuple français” que Mansour traduit en arabe et envoie aussitôt à Mahmoud Jibril qui est, depuis ce matin, le Premier ministre du CNT.
Je la trouve, à la relecture, trop mélodramatique. Mais elle est dans le même ton de toutes les lettres du même genre que nous écrivions, il y a quinze ans, pour Izetbegovitch [Président de la Bosnie-Herzégovine, ndlr].
Et Jibril, surtout, la valide. Il y ajoute une phrase, une seule, au début, celle où mon nom est mentionné. Mais il valide le reste et me le renvoie, signé, sur papier à en-tête et avec cachet officiel du Conseil. »
En vue des élections parlementaires post-Kadhafi de juillet 2012, Mahmoud Jibril a créé son propre parti dont il est le président : l’Alliance des forces nationales (AFN).
Si l’AFN a obtenu 39 sièges au Parlement, lors de ces premières élections, lui, en revanche n’a pas été élu. Se sentant visé directement, il a été très actif contre la loi d’« isolation politique » initiée notamment par les islamistes et qui visait à destituer bon nombre de Libyens ayant travaillé sous le régime de Kadhafi.
Très ambitieux, menant un jeu personnel, il a reproché, entre autres, à Ali Zeidan, l’ex-Premier ministre, sa passivité face à la situation sécuritaire, allant jusqu’à participer activement avec les islamistes à la destitution de Ali Zeidan en mars 2014.
Certains des membres de son parti, sorte de boutique sans programme, ne l’ont d’ailleurs pas suivi sur cette question.
Depuis l’entrée en scène à l’Est de la Libye du général Haftar, il a apporté son soutien officiel à l’action contre les djihadistes menée par ce général.
Après un bref passage à Paris, avant les élections législatives du 25 juin, où il a été reçu au Quai d’Orsay, il se fait depuis très discret et est retourné à ses affaires. Il a une stratégie politique à long terme.
4/ Ali Zeidan
Emissaire lors de la rencontre avec Nicolas Sarkozy en mars 2011.
Elu premier ministre le 14 octobre 2012 par le Congrès général national (CGN), Ali Zeidan est enlevé un an après par la cellule d’opération du Conseil suprême de l’union des révolutionnaires libyens (CSUR) alors qu’il résidait à l’hôtel Corinthia. Il est relâché quelques heures plus tard.
Depuis lors, une motion de défiance, notamment voulue par les islamistes radicaux, et même par des membres de l’AFN de Jibril, a été votée contre lui, le 11 mars 2014.
Zeidan est sous le coup d’une interdiction de sortie de territoire émise par le procureur général pour les besoins d’une enquête concernant des faits de corruption qui lui sont reprochés. Mais l’ex-Premier ministre a préféré quitter la Libye le soir même de sa destitution « au grand étonnement des libyens », qui se seraient attendus de sa part à « moins de lâcheté ».
Son départ perçu en Libye comme une fuite, l’a conduit tout d’abord à Malte, puis en Allemagne.
Le 25 juin 2014, Ali Zeidan est de retour à Tripoli, où il a voté lors des dernières élections législatives. Bien qu’il ait lancé un mandat d’arrêt contre le général Haftar en février, date de la première déclaration du général annonçant sa volonté de faire tomber les institutions libyennes, il a décidé, depuis, de soutenir ce général.
5/ Général Mahmoud Al-Obeidi
Successeur du Général Younès pour le commandement des forces rebelles libyennes en 2011.
Ce membre de la tribu de l’est libyen « Al-Habidate » fut très proche de Kadhafi en son temps (il a fait partie du coup d’Etat des Officiers libres libyens de septembre 1969 et n’a fait défection qu’au début de la révolution en 2011).
Bernard-Henri Lévy revendique un rôle dans sa nomination pour succéder au général Younès pour le commandement des forces rebelles. Il écrit, à la date du 30 juillet 2011, sous le titre « Quand je recommande un successeur pour le général assassiné » :
« Message à Abdeljalil : “Veillez bien, Monsieur le Président, au choix du successeur ; si vous prenez Khalifa Hifter ou Omar Hariri, vous nourrirez les soupçons de division au sein du Conseil ; car c’étaient les deux rivaux de Younès, ses challengers depuis le début ; n’avez vous pas un autre bon général dont on ne puisse pas dire qu’il conspirait contre le défunt ?”
Message en retour du Président : il nommera Souleiman Mahmoud Al-Obeidi, qui est un bon soldat et qui présente l’avantage supplémentaire d’appartenir à la tribu des Obeidi, qui fut celle d’Abdelfattah. »
Aujourd’hui, Al-Obeidi se trouve à Benghazi, la métropole de l’est libyen. Son premier fils a été enlevé, il y a neuf mois, puis son second fils, il y a environ trois semaines.
Il est depuis terré chez lui, sous bonne garde, en attente de retrouver leur trace. Les soupçons se portent sur les islamistes, qui lui reprochent son rôle durant l’ère Kadhafi. Il a en effet été gouverneur militaire de Benghazi.
6/ Souleiman Forti
L’homme de Misrata.
Homme d’affaires sous Kadhafi après avoir enseigné pendant huit ans en Arabie saoudite, celui qui se faisait appeler au moment de la révolution libyenne le « héros de Misrata », demeure toujours au sein de sa ville d’origine.
Depuis, il joue les guides spirituels des milices de Misrata, dont certaines combattent actuellement les milices de Zentan à Tripoli.
7/ Mustafa El-Sagezli
Responsable des rebelles blessés durant la Révolution.
Islamiste farouche et membre des Frères musulmans, Mustafa El-Sagezli a été nommé au sein du CNT en 2011, responsable des rebelles blessés durant la Révolution, un poste très lucratif et objet de nombreux abus…
Beaucoup de blessés ont en effet pu bénéficier de soins à l’étranger avec leur nombreuse famille.
Il est très actif au sein du Parti pour la justice et la construction (PJC), parti des Frères musulmans.
Source : Actualité du droit
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