Alain Hayot. « National populisme »

Pour le responsable communiste, le Front national a réussi a structurer un discours rôdé, autour de l’identité nationale et de l’autorité, qui rassure une partie de l’électorat ouvrier dépolitisé.
Alain Hayot est délégué national à la Culture du PCF et Conseiller régional à la Région Provence Alpes Côte d’Azur (Groupe Front de Gauche). Auteur de « Face au FN, la contre offensive » (Ed. Arcanes 17), il donne des pistes pour combattre le Front national mais aussi pour comprendre ses succès électoraux.
La Marseillaise. Au premier tour de ces départementales, le FN a obtenu un succès indéniable. Quelle est votre première analyse ?
Alain Hayot. Quand on regarde la carte d’implantation du vote FN à ces départementales, après les municipales et les européennes, et même pour une part à la présidentielle de 2012, on se rend compte non pas d’une progression en valeur absolue –encore qu’elle est réelle– mais d’un étalement. Ce que j’appelle une nationalisation du vote. Le Front national est terriblement présent dans ses bastions traditionnels du Nord et du grand Sud Est, mais maintenant il est présent partout. Y compris dans des terres où il était complètement absent. Je pense par exemple à l’Ouest de la France. On le voit aussi dans les grandes conurbations et les bassins d’emploi industriels ou encore dans ce qu’on appelle le péri-urbain ou le néo-rural voire le rural tout court. Autant d’endroits qui n’étaient pas répertoriés comme étant ses lieux d’implantation. En fait des choses ont bougé depuis 2012. Quand je regarde les estimations au sortir des urnes, je me rends compte que les femmes et les jeunes, qui étaient relativement « épargnés » sont maintenant assez présents.
La Marseillaise. Vous l’expliquez comment ?
Alain Hayot. Je pense depuis longtemps que le vote en faveur du Front national est un vote qui s’est construit sur la durée. Le vote de 1984 est un vote de sur-diplômés, de cadres supérieurs des quartiers résidentiels. Depuis, il a considérablement évolué. Au-jourd’hui nous savons qu’il s’agit d’un électorat ouvrier. Un électorat ouvrier plutôt de droite. Mais le vote pour le Front national n’est pas le vote des plus précaires. C’est le vote de ceux qui ont acquis un petit quelque chose. Y compris la propriété de l’habitat, le travail… Et qui craignent de le perdre. Ils sont sensibles à un discours cohérent. Et cela fait des années que le Front national construit un discours cohérent, fondé sur la préférence nationale. Ses électeurs se révoltent contre l’existant et voient dans le Front national la solution au problème. 95% des électeurs du Front national donnent la raison de leur vote sur le thème qu’il y a trop d’immigrés en France. Ceci est un élément structurant trouvé par le Front national : « Ils nous prennent notre boulot, ils envahissent la Sécu et la protection sociale, et ils mettent en cause notre identité nationale ». Cette remise en cause de l’identité nationale, dans toutes les études, apparaît comme le plus fort vecteur du vote FN. Ils veulent aussi le rétablissement de l’autorité. De l’autorité à la tête de l’État, de l’autorité partout. Jusqu’à l’école et jusqu’à la famille. C’est aussi un vote de repli sur les frontières nationales, de repli sur l’identité nationale, de repli sur une conception autoritaire de la République.
La Marseillaise. Ceci suffirait à expliquer le succès du FN ?
Alain Hayot. La structuration du discours politique du Front national a été considérablement travaillé depuis l’arrivée de Marine Le Pen. La normalisation et la dé-diabolisation ont permis de façon notoire au national-populisme non seulement de grandir dans la population et en particulier dans ce qu’on pourrait appeler le peuple de droite, mais il s’adresse maintenant au peuple tout entier. Parce qu’il utilise des mots d’aujourd’hui pour parler des maux d’aujourd’hui. Et il est relayé.
La Marseillaise. Pour le combattre, que manque-t-il à la gauche ?
Alain Hayot. Pour mettre en échec ce que j’appelle le national-populisme [le FN mais aussi tous ceux qui concourent à cette évolution terrifiante et dramatique, de l’air du temps dans la société française, les Zemmour, les Nadine Morano, les Copé, les Strosi, les Ciotti, etc. On n’a pas affaire qu’au FN, là !], il faut incarner notre bataille dans les combats de terrain. Dans les cités populaires, dans les entreprises. Je pense que dans tous les cas il faut renouer les liens de solidarité pour ceux qui subissent les politiques libérales et d’austérité. Il faut travailler à la lutte contre le racisme et toutes les formes de stigmatisation, de ce que j’appelle les doubles peines. Contre la domination parce que vous êtes d’une classe sociale défavorisée mais aussi parce que vous êtes stigmatisé par votre nom, votre adresse, votre couleur de peau… Il faut mener ce combat. Pour reconstruire une conscience de classes qui dépasse les divisions. Le seul moyen est de développer un processus de politisation. Il faut politiser les causes, les enjeux et les luttes. Il faut faire ça dans les cités populaires, autour des enjeux comme le logement, la qualité de la vie mais aussi des questions de la formation, de l’emploi. Et aussi sur les questions du racisme. Enfin il faut redonner l’espoir d’une société meilleure. Les communistes doivent y contribuer, mais avec toute une série de courants, de composantes telles que le Front de gauche. Mais aussi de l’écologie politique, de socialistes qui refusent la dérive libérale du PS actuel, de militantes et de militants féministes, antiracistes… le monde du syndicalisme qui se trouve confronté à la nécessité de politiser ses combats. La grande difficulté que nous avons c’est ça. Trouver le moyen de rassembler tout ce monde-là en respectant les différences de chacun et en construisant du commun. Pour terminer sur une note un peu optimiste, je trouve que les départementales, contrairement aux municipales, laissent entrevoir le début d’une construction de ce type. Une sorte de chantier d’espoir. Mais il faut se mettre au travail.
Entretien réalisé par Claude Gauthier (La Marseillaise, le 27 mars 2015)