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Blog de la section du Cap Corse du PCF

Mare Nostrum:Vols, éboulements : Pompei dépérit

 

                                                                    MARE NOSTRUM-copie-1

 

Vols, éboulements : Pompéi dépérit

 

Une nouvelle éruption du Vésuve pourrait-elle sauver Pompéi ? En ensevelissant une nouvelle fois la cité antique sous des tonnes de cendres comme ce fut le cas le 24 août 79, elle la protégerait peut-être mieux des ravages du temps et de la cupidité des hommes que les autorités qui en ont la charge. Le site archéologique, qui reçoit plus de 2 millions de visiteurs par an, a perdu un de ses chefs-d'œuvre : un morceau de fresque représentant la déesse Artémis. A sa place, dans la maison de Neptune fermée au public, ne subsiste qu'un rectangle de stuc blanc de 20 centimètres de côté. Ce vol n'a été découvert que le 12 mars par un gardien, mais il est possible qu'il ait eu lieu bien avant, la maison de Neptune n'étant couverte par aucune des 180 caméras de surveillance disposées sur les 66 hectares (dont 44 à l'air libre) du site.

Ce larcin fait suite à une nouvelle série d'éboulements qui se sont succédé début mars. 

Coup sur coup, quelques pierres d'un arc du temple de Vénus et un mur de la nécropole de Porta di Nocera sont tombés sous l'effet des pluies abondantes à cette période. Même si leur écho médiatique a été moins important que les écroulements de ces trois dernières années (maison des Gladiateurs, maison du Moraliste, pilier d'une pergola de la maison de Loreius Tiburtinus, poutre de soutien du toit de tuile dans la villa des Mystères), ils soulignent l'éternelle fragilité du lieu depuis que les archéologues du XVIIIe siècle l'ont rendu à la lumière.

L'Union européenne a exhorté l'Italie, déjà rappelée à l'ordre par l'Unesco en 2013, à " prendre soin de Pompéi, lieu emblématique pour l'Europe mais aussi pour le monde ". En réponse, le gouvernement a débloqué 2 millions d'euros pour des interventions d'urgence et le nouveau premier ministre, Matteo Renzi, a fait appel aux entrepreneurs de la Péninsule comme pour la restauration du Colisée, confiée au maroquinier Tod's, ou celle de la fontaine de Trevi, réalisée par le couturier Fendi. " Si le privé peut faire en sorte que les murs tiennent debout, pourquoi ne pas lui en donner la possibilité ? ", s'est-il interrogé alors que le budget de la culture, diminué de deux tiers en cinq ans, frôle à peine 1 % du budget de l'Etat (1,4 milliard d'euros).

" Vols ou effondrements sont les épisodes d'une même histoire, analyse Antonio Irlando, président de l'Observatoire du patrimoine culturel. L'histoire d'un site hors de contrôle et d'une gestion au jour le jour. Personne ne pense à l'après-demain. " Deux ans auparavant, cet homme qui visite le site presque quotidiennement pour y relever tous les dommages, petits et grands, nous disait déjà la même chose.

Pourtant, en 2011, l'UE a débloqué 70 millions d'euros (qui s'ajoutent à 30 millions de l'Etat) pour entreprendre une campagne de restauration, baptisée " Grande Progetto Pompei ", pour les villas les plus belles et souvent fermées au public pour des raisons de sécurité. Pour s'assurer que tout sera fait dans le temps imparti par le commissaire à la culture, Rome a nommé un général des carabiniers, Giovanni Nistri, pour prendre la tête du commando qui doit superviser les travaux.

Un général ! Et pourquoi pas un archéologue ou un manager ? Pour son plus grand malheur, Pompéi est située en Campanie, région où la Camorra, la mafia napolitaine, s'est insérée dans presque tous les échelons politiques et les rouages économiques. Spécialiste de la récupération des œuvres d'art volées, le général Nistri doit donc avant tout veiller, à la demande expresse de Bruxelles, à ce que les entreprises retenues pour conduire les travaux présentent un certificat antimafia en bonne et due forme.

Depuis, trois ministres de la culture sont passés, et rien ou si peu a été fait. Le général attend toujours de disposer d'un bureau sur le site et l'équipe de vingt fonctionnaires aguerris qui lui a été promise n'a pas été nommée. Un seul chantier de restauration est parvenu à son terme, celui de la villa du cryptoportique. Quatre sont lancés. Une dizaine d'autres attendent encore les autorisations administratives.

Cette fois, c'est la lenteur de la bureaucratie et de la justice italiennes qui est en cause. Les entreprises retoquées pour un projet de restauration font systématiquement appel de la décision devant le tribunal administratif, retardant d'autant le lancement des travaux. Selon le quotidien Il Corriere della Sera, seuls 588 000 euros avaient été dépensés, soit " 0,56 % des fonds " du Grand Projet Pompéi. Il faut pourtant faire vite. Si cette manne n'est pas investie d'ici à la fin 2015, Bruxelles récupérera sa mise.

La logique des interventions d'urgence prévaut, alors que Pompéi aurait davantage besoin de soins quotidiens. La disparition du visage d'Artémis, laissant désormais Apollon contempler le vide, ne peut faire oublier les milliers de morceaux de fresques et de stucs, ramassés au jour le jour par les 138 gardiens, qui s'entassent dans des cageots, dans des hangars battus par les vents. " C'est comme si Pompéi était dépecée ", se plaint M. Irlando. Selon lui, 10 % du budget du Grand Pompéi suffirait pour former des artisans qualifiés pour restaurer quotidiennement le site et le mettre en sécurité. " C'est un chantier permanent, explique-t-il, mais plus les jours passent et plus la mission deviendra impossible. "

Philippe Ridet

Le Monde, 21 mars 2014 

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