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CHANTS REVOLUTIONNAIRES

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14 mai 2007 1 14 /05 /mai /2007 16:05

                Inculture(s)

Malte. Les contraintes très « tendance » de la pensée de survol n’y changent rien : la voilà donc la « France d’après ». Celle qui glorifie l’instantanéité. Celle qui érige la jeunesse en valeur en soi. Celle qui glorifie la consommation à marche forcée. Celle à demeure dans la société de la peur amputée de l’espoir, trait majeur du climat spirituel où baigne notre présent. Celle dont les forces (libérées) du capital finissent d’agencer la devanture, liquidant l’arrière-scène de leurs dernières modifications nécessaires à l’horizon du visible et de l’invisible. Celle dont nous garderons comme première trace symbolique cette bien étrange impression d’ordre de Malte dont on avait peine pendant plusieurs jours à identifier l’acception voulue par son instigateur, sinon qu’elle renforça notre impression de fantomatique irréalité. Petits matins de mornes peines et de rancoeurs mal rentrées. De colère aussi. Pas de cette colère « saine » plus ou moins feutrée et surjouée un soir d’Audimat, mais bien de cette colère pensée qui embrasse à sa juste valeur notre décor suprahistorique en mutation régressive.

Yacht. Le Fouquet’s d’abord et ses strass de l’Ouest parisien abreuvés de bouchons de champagnes millésimés, cohorte de people cocaïnés aussi stupides qu’une émission de Cauet ou une chanson de Rika Zaraï. Puis un « exil » à la résonance jet-set pour nouveaux riches fiers de leur inculture, de leur incivilité, de leurs niaiseries rabâchées, de leur arrogance clanique, de leur panique non-imposable. Enfin un yacht de 60 mètres de long façon croisière pour milliardaires, baptisé le Paloma et apprêté par Vincent Bolloré en personne, également propriétaire du Falcon grâce auquel le futur couple présidentiel s’est envoyé en l’air. L’ami Bolloré, l’un des hommes les plus riches de France, fortune estimée à 1,25 milliard d’euros selon le classement de la revue Forbes, capitaine d’industrie, patron de médias, assoiffé de pouvoirs. Et des armateurs professionnels du pouvoir, il y en avait, dimanche soir entre le siège de campagne de l’UMP, rue d’Enghien, et le Fouquet’s, tous venus pour saluer l’élu de leur coeur et de leurs portefeuilles. Les Vincent Bolloré (donc), Martin Bouygues (BTP, TF1, etc.), Alain Minc (le Monde, etc.), Dominique Desseigne (groupe Barrière), Arnaud Lagardère (EADS, Europe 1, etc.), Antoine Bernheim (ex-Lazard, Generali), Albert Frère (principal actionnaire de Suez, Total, M6, etc.), et tant d’autres, chanteurs et saltimbanques brandissant déjà leur bouclier fiscal !

Prince. On croit rêver. On se pince. On ne rêve pas du tout. Pis, la nausée s’empare de nous. Pendant que Chirac ravivait la flamme du 8 Mai 1945, son successeur jouait les Berlusconi de pacotille sur un bateau tape-à-l’oeil aux décorations de mauvais goût, et hors de nos frontières, encore ! On avait subitement un peu honte pour la France en son ampleur, insultée par les manières crasses d’un contrebandier de la politique-spectacle sans éducation ni philosophie. On avait aussi un peu honte pour les Français, humiliés et renvoyés brutalement à leur propre condition.

Ci-devant le prince-président ovationné d’une monarchie républicaine paraît-il revigorée. Monarque élu qui, retrouvant son naturel de metteur en scène de sa personne, s’octroie du « repos » en lorgnant sur le soleil méditerranéen, chaussé de lunettes noires réfléchissantes, loin des affres du champ de bataille électoral et de ses cadavres, faisant de sa légitimité populaire une vulgaire divinité de carton-pâte pour marchands du temple. Pourtant on y avait presque cru à sa retraite monacale, genre autocentrée sur l’avenir, histoire de se draper dans les plis de la future fonction et d’endosser sereinement la plénitude de ses responsabilités. Pour un peu, on aurait même apprécié cette ascèse, cet « exil intérieur », n’importe où d’ailleurs, les lieux « d’accueil » ne manquent pas au pays de Voltaire et d’Hugo, fruits d’un patrimoine artistique et culturel hors du commun... Mais qu’avons-nous vu ? La pitoyable représentation du Petit-Penseur sur talonnettes capable de toutes les exactions. Ce n’était donc pas à un moine soldat qu’il fallait s’attendre cette semaine, mais bien à un patron voyou adepte des collusions d’intérêts !

Jet-set. De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy... longue descente aux enfers ? Sans y prendre garde, nous sommes passés de la France des Lettres à la France des non-lettrés, de la France des arts à la France des ors, de la France du général à la France du sergent aboyeur, de la France universelle à la France trahie, de la France résistante à la France vassale. On croyait voir Bonaparte mais c’est pire encore, car il n’y a aucun idéal au coeur de ses malignités. Las, notre « temps » français à l’horloge de l’histoire sonne le glas en acclamant sur un tapis de cendres froides la figure désincarnée d’un homme des villes sans glaise à ses semelles, sans livre dans ses poches et sans aucune poétisation de son rôle. On aimait jadis que le roman de la France soit inventé par des auteurs dignes, du moins revendiquant une certaine appartenance. Lui, c’est autre chose. Si la « gauche caviar » a affaissé la gauche à force de renoncements, voici avec lui la « droite jet-set » qui ne renonce à rien, précisément, et surtout pas à ses privilèges. Pour une raison simple qu’il convient de ne jamais oublier : le Petit-Penseur ne sera jamais président de la France. En vérité il n’aspire pas à cela - en est-il même conscient ? Ce qu’il veut et ce qu’il a toujours voulu, c’est devenir le chef de « l’entreprise France ». La nuance est importante pour comprendre le « style décomplexé » du bonhomme. Dès lors, comment pourrait-il se comporter autrement ?

Caste. La morgue du dominant n’est qu’un trait de bave qui sèche à l’air libre. À force de prêcher la morale, l’Agité de Neuilly a oublié l’éthique et la dignité. Tout cela crie l’égarement, tout cela sue le dictat. La maison France est comme sortie de ses gonds et la noblesse républicaine a pris une porte dans la gueule. L’existence politique n’épuise pas la signification de l’homme, et il y a un ordre du vrai qui doit s’affranchir de la politique des pouvoirs, faute d’aliéner l’homme en question. Des droits et des devoirs, dit-il. Les droits d’un président sont exorbitants sous la Ve République. Et ses devoirs ? La seule faute irrémissible, c’est de s’habituer à sa condition opulente, à vivre et penser entre soi et agir pour les intérêts de sa caste, en l’occurrence entre Blancs, Occidentaux, riches et bien-pensants. Sitôt possible, faute grave a été commise. La « France d’après » ressemble déjà à un scandale d’État. À quand le coup d’État ?

Jean-Emmanuel Ducoin

 

Article paru dans l'édition du 12 mai 2007 de l’Humanité.

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