Les bavardages et la misère
patrick le hyaric, directeur de l'humanité
Jeudi, 20 Octobre, 2016
Humanité Dimanche

L'éditorial de Patrick Le Hyaric dans l'Humanité Dimanche. "L’indécence du spectacle médiatico-politique contraste cruellement avec le quotidien des millions de salariés, la hausse inexorable du chômage et de la précarité, l’hémorragie industrielle, la panne du système éducatif, la détérioration du système de santé et l’angoisse qui découle des bouleversements du monde."

L’indécence du spectacle médiatico-politique, de petites phrases en postures, de vaines polémiques en mises en scène de l’intimité des prétendants au siège présidentiel, contraste cruellement avec le quotidien des millions de salariés, la hausse inexorable du chômage et de la précarité, l’hémorragie industrielle, la panne du système éducatif, la détérioration du système de santé et l’angoisse qui découle des bouleversements du monde.

Les polémiques qui entourent la publication du livre aussi déroutant que désolant du président de la République ne font que renforcer la crise de confiance que nos concitoyens éprouvent envers la politique. La futilité prend une place disproportionnée et le commentaire de petites phrases prononcées ici où là ouvre désormais les journaux télévisés.

Ce grand détournement des sujets cruciaux, ajouté à la saturation verbale, a pour fonction de démobiliser massivement les classes populaires, de les détourner des enjeux colossaux de la précarité, des inégalités, des discriminations ou du chômage dont elles font l’amère expérience au quotidien. Tout concourt à dépolitiser les enjeux de la vie humaine et de l’environnement afin de les mettre hors de portée de l’intervention citoyenne.

Ce bruyant bavardage va jusqu’à étouffer la voix des milliers d’agriculteurs qui meurent dans un silence devenu complice. L’insupportable est dépassé ! Un agriculteur se donne la mort tous les deux jours. Des milliers d’autres saturent les permanences téléphoniques de prévention du suicide. Un tiers d’entre eux touchent moins de 350 euros par mois, soit moins que les minima sociaux, malgré un travail acharné et exigeant ; 10 000 agriculteurs quittent le métier chaque année. Ceux qui restent sont persuadés de travailler en sursis, la peur du lendemain au ventre.

L’utilité sociale même de leur métier est remise en cause alors que la production d’une alimentation saine réclamerait un pacte solidaire nouveau entre eux et avec la société.

Améliorer la biodiversité et la santé, bien manger, des aliments majoritairement produits dans des rapports de proximité avec les centres urbains sont une nécessité du monde qui vient, exprimée avec force par un nombre croissant de nos concitoyens.

Le capital mondialisé, encouragé par l’Union européenne, souhaite mettre à bas un modèle de société qui repose sur une qualité de vie qui allie temps libre, nourriture de qualité, santé, respect de l’environnement et ruralité vivante. Il cherche à imposer un quotidien où l’agriculture et l’alimentation seront de plus en plus dépendantes d’un complexe agrochimique industrialisé.

Les traités de libre-échange qui se multiplient à l’ombre des souverainetés populaires participent de cette offensive. Alors que le projet de traité transatlantique commence à chanceler sous la pression populaire, l’Union européenne s’est engagée à ratifier ce qui en serait les prémices : le traité avec le Canada, dans les meilleurs délais, dont le volet agricole fait craindre une nouvelle hécatombe dans les exploitations paysannes puisqu’il permettra d’importer des dizaines de milliers de tonnes de viande bovine et porcine. Nos gouvernements sont-ils arrivés à ce degré de cynisme pour engager dans de nouveaux drames humains une profession déjà au bord de l’abîme, en sacrifiant sur l’autel du libre-échange des pans entiers de notre agriculture et la qualité alimentaire ?

C’est ici l’une des dramatiques facettes du malaise civilisationnel que le mot crise ne suffit plus à définir. L’une de ses conséquences est l’absence de dynamique pour porter un réel projet alternatif d’espoir. Le décalage entre les aspirations populaires et l’offre politique atteint son paroxysme. Les contradictions apparentes sont surjouées pour attirer dans les filets électoraux le plus grand nombre de citoyens.

La primaire de la droite offre à cet égard un exemple édifiant de fuite en avant démagogique et électoraliste. Car, au fond, chacun des candidats s’accorde sur une tonalité de campagne en focalisant les débats sur la question identitaire, tout en souhaitant de concert purger les hôpitaux, écoles et collectivités de centaines de milliers d’agents publics, ou encore alléger la fiscalité des plus riches, supprimer l’impôt sur la fortune, tout en annonçant une augmentation de la TVA et en invitant aux sacrifices celles et ceux qui ont déjà les plus grandes difficultés à joindre les deux bouts.

Cela ne fait que renforcer l’urgence à travailler à l’unité populaire, avec pour socle les valeurs historiquement portées par la gauche. Évidemment, une telle démarche réclame de se tourner vers le monde du travail et de la création, de solliciter son avis, de contribuer à sa mise en mouvement pour porter les exigences d’égalité, de solidarité de vie décente. Le projet du progrès humain et environnemental doit être placé au cœur du débat public dans un cadre large et unitaire, à vocation majoritaire.

Face à la multiplicité des dangers au seuil de nos portes, l’urgence est à unir celles et ceux qui souhaitent s’émanciper de la loi de l’argent qui s’impose partout, dans tous les compartiments de la vie.

Travailler à l’expression politique de toutes celles et ceux qui souhaitent l’unité populaire pour un changement progressiste est parmi les tâches les plus urgentes.