Session des 28 et 29 juillet
Voici six ans déjà que l’Assemblée de Corse adoptait, à l’unanimité, les orientations stratégiques en faveur de la langue Corse présentées par Antoine GIORGI, suivies par le Plan de Développement de l’Enseignement (inclus dans le PRDF) en 2006 et le Plan stratégique d’aménagement et de développement linguistique, volet sociétal de la politique, approuvé également à l’unanimité le 26 juillet 2007. La « feuille de route » que vous nous proposez, Monsieur Ghionga se situe en prolongement de cette stratégie à laquelle vous souhaitez « imprimer un nouvel élan », autour de deux priorités : la structuration de l’action par la dotation en moyens humains et financiers et l’ouverture de nouvelles perspectives en matière de statut, de pédagogie et de formation des enseignants. S’agissant des moyens, la volonté de l’Exécutif s’est déjà concrétisée, aussi bien par la structuration de la Direction dédiée que par les inscriptions budgétaires. Les perspectives nouvelles, ambitieuses et clairement énoncées, s’organisent autour de cinq axes : évaluation des pratiques et prospective, équipement et normalisation de la langue, enseignement et formation, diffusion de la langue, promotion et communication. Certaines mesures nécessiteront une concertation approfondie avec l’État, les enseignants, l’ensemble des intervenants concernés : il en va ainsi du repositionnement de la langue corse dans le système éducatif. Elles peuvent aussi appeler des propositions d’adaptation législative et réglementaire et sans doute, en particulier pour le statut d’ « officialité », une révision constitutionnelle. L’introduction de trois heures hebdomadaires dans les filières non bilingues de la maternelle à la 5ème, concrétisant l’idée d’intégrer le Corse dans le « socle commun de connaissances » nécessiterait, par exemple, de lever les obstacles juridiques actuels, la loi du 17 janvier 2002 stipulant que l’enseignement de la langue corse « ne saurait revêtir un caractère obligatoire ni pour les élèves, ni pour les enseignants ». Aujourd’hui, de manière générale, des limites juridiques strictes (article 2 de la Constitution et loi dite « TOUBON ») s’appliquent à l’enseignement des langues régionales, qui ne peut qu’être facultatif. Ce cadre juridique s’oppose également à la méthode de l’immersion au sein des établissements publics. Et ce, indépendamment de ce que nous en pensons.
Ainsi, même si des progrès incontestables ont été enregistrés dans le processus de reconnaissance des langues régionales de France, une grande difficulté demeure dans l’étendue de la place et des moyens à accorder à ces langues dans le service public de l’enseignement. Il en va de même pour la question de la co-officialité puisque la langue française a une place exclusive dans la sphère publique en France, les particuliers, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, étant tenus de parler exclusivement en français et ne pouvant se prévaloir de l’usage d’une langue régionale. La reconnaissance des langues régionales par la Constitution ne va pas jusqu’à leur conférer une place réelle dans la sphère publique. Il est clair qu’une évolution dans ce domaine nécessitera la modification de la constitution afin d’adopter une loi donnant un statut aux langues de France. Cela ne signifie nullement que nous devrions attendre et lier notre proposition de co-officialité pour la Corse à l’élaboration d’une solution générale ; au contraire, la CTC, en vertu de son statut particulier, peut avancer résolument sur ce chemin, et il n’est pas exclu que ses initiatives contribuent à débloquer la situation d’ensemble. Chacun le sait bien, l’intérêt que la famille politique à laquelle j’appartiens porte à la question de la langue Corse n’est pas récent. Je ne ferai qu’évoquer, au niveau national, les propositions de loi hardies déposées par les groupes communistes à l’Assemblée Nationale et au Conseil de la République (Sénat) dès 1948, en prolongement de toute une tradition du mouvement ouvrier qui, exprimée notamment par JAURES, met l’accent sur les langues minoritaires. Depuis le début des années quatre-vingts, forts de la conviction que la langue corse est constitutive du lien social, vecteur de la culture insulaire, mémoire du peuple et ressource du développement, nous défendons « une politique d’incitation au bilinguisme assumé » -privilégiant le désir à la contrainte- et se traduisant par des mesures pédagogiques, sociétales et institutionnelles afin de conforter et accroître le bilinguisme dans notre société. Nous considérons comme un droit collectif la reconnaissance publique de la langue constitutive de notre histoire, et comme un droit individuel de pouvoir la perpétuer. Il me plait de citer notre camarade Paul BUNGELMI qui, déclarait devant cette assemblée en 1983 : « nous ne considérons pas en termes d’opposition la langue française et la langue corse, étant profondément attachés à l’une et à l’autre, mais aujourd’hui se pose le problème de la défense de la langue corse menacée de disparition. Nous sommes dans ce combat avec conviction, avec passion (…) Nous inscrivons notre action dans le cadre d’une conception nationale et populaire de la défense du français et des autres langues de France. C'est-à-dire, en ce qui nous concerne, la défense de la langue corse, en tenant compte du fait que si nous sommes des dizaines de millions à défendre le français, nous sommes seulement des dizaines de milliers à défendre la langue corse. Ce qui suppose de notre part un effort particulier et soutenu pour la défense de la langue régionale ». Dans cet esprit, nous basant en particulier sur les travaux du Professeur Jean-Baptiste MARCELLESI -dont le rôle fut considérable dans l’émergence de la sociolinguistique- nous revendiquons la co-officialité du corse et du français, cadre juridique d’une politique de bilinguisme adapté au développement de l’usage du Corse dans l’espace public (services administratifs, organes délibérants, justice…).En un mot, le statut de co-officialité doit favoriser l’accomplissement du bilinguisme. Bien qu’ouverte à toute explication en la matière, je ne suis pas convaincue que l’emploi du terme « officialité » soit préférable à celui de « co-officialité », qui marque bien la volonté de ne pas opposer les deux langues mais, au contraire, de créer une situation d’égalité dans le cadre d’un bilinguisme national/régional, à l’opposé d’une relation compétitive et même conflictuelle entre les deux langues. Ces distinctions pourraient paraître futiles, voire byzantines, si les mots n’étaient les vecteurs de représentations de l’avenir, en l’occurrence de l’idée que l’on se fait de l’avenir du bilinguisme en Corse. Mais nous pourrons sans doute évoquer ces aspects dans les travaux du comité de rédaction que vous entendez mettre en place afin de faire des propositions statutaires avant la fin de l’année 2012. Quoiqu’il en soit, pour la co-officialité comme pour l’insertion de la langue dans le système d’enseignement Il faudra, après avoir arrêté le principe et le périmètre, définir les modalités de la mise en pratique en s’attachant à travailler en étroite concertation avec les services de l’État concernés, en particulier avec l’Éducation Nationale, avec les enseignants et leurs organisations syndicales, les parents d’élèves, l’ensemble des acteurs appelés à intervenir dans la pratique. La réussite dépendra en grande partie des moyens mobilisés concrètement par les différents services concernés, de leur capacité d’organisation, de la formation des personnels ; elle dépendra aussi de l’adhésion la plus large possible de la population. La langue doit, en effet, réunir et non diviser, fédérer et non accroître les fractures dans la société, libérer enfin et non discriminer. Je me permets de citer le Président BUCCHINI qui écrivait il y a quelques mois dans une tribune publiée par « l’Humanité » : « Nous ne parviendrons à réaliser une grande politique pour le bilinguisme et la co-officialité que dans la recherche prudente – mais non timorée – d’un consensus politique et social »
Monsieur le Conseiller Exécutif, la « feuille de route » que vous nous présentez aujourd’hui marque indubitablement une étape décisive dans le processus engagé pour le développement de l’usage de la langue corse, il faut le souligner.
Je ne doute pas qu’animés les uns et les autres des plus sincères intentions, nous parvenions à dégager les convergences nécessaires à la réussite de cette grande œuvre commune que constitue le développement de la langue corse. Je vous remercie