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CHANTS REVOLUTIONNAIRES

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1 août 2014 5 01 /08 /août /2014 22:19

 

 

 

1 août 2014

Dans le cadre de la soirée d’hommage à Jean Jaurés, organisée à l’Espace d’éducation populaire Albert Stefanini sous l’égide de Terre Corse, Michel Stefani a prononcé cette allocution.

Homme de l'avant 1914, Jean Jaurès pourrait ne rien avoir à dire aux femmes et aux hommes de 2014. Célébrer le centenaire de sa disparition serait alors, au mieux, un passage obligé dépourvu de sens. Avec Jaurès, dont on a envie de dire qu'il est plus que jamais notre contemporain, tel n’est pas le cas. A l’heure où une partie de la gauche perd son identité, où la République s’affaiblit dans le libéralisme insatiable, où l'idéal le cède facilement au pragmatisme, où les nationalismes menacent la paix du monde, se tourner vers lui est indispensable. Nous aurions tort, effectivement aujourd’hui, de nous passer de ses réflexions.

Comment penser la fraternité des peuples dans le respect des nations ? Comment défendre la justice sociale et résister au diktat d’un capitalisme financier mondialisé ? Comment penser la révolution ? A toutes ces questions qui continuent de se poser, il a tenté de répondre. Autour de la dernière interrogation va se structurer la scission à gauche, entre communistes et socialistes... La controverse de Lille avec Jules Guesde le 26 novembre 1900 en sera l’un des moments les plus marquants.

Après l’attentat de Sarajevo, il fera tout pour empêcher la déflagration militaire en Europe. Son assassinat met un terme à ses efforts et précipite la majorité de la gauche française dans l’Union sacrée, beaucoup de socialistes et de syndicalistes qui refusaient jusque-là de soutenir la guerre changeront d’avis. Proche des milieux monarchistes et d’extrême-droite son assassin Raoul Villain sera acquitté en 1919. Inspiré par ces courants de pensée réactionnaires, il voulait, en tuant Jaurès non seulement, tuer l’homme opposé avec force à la guerre et à ses atrocités, mais également tuer l’espoir d’un règlement pacifique.

Ainsi, commémorer n’est pas célébrer, c’est faire œuvre de mémoire afin de comprendre en honorant ceux qui ont souffert et donné le meilleur d’eux-mêmes, souvent leur vie. Ils ont droit à ce respect. Mais il ne s’agit pas d’abdiquer les droits de la raison, de tout céder à l’emballement sentimental. Jaurès a su penser et parler librement de la patrie, la démocratie, la République, le socialisme, la condition ouvrière. Contrairement à ce qu’a dit François Hollande il ne s’agit pas de s’accaparer l’homme et son action remarquable mais de commémorer un événement mondial de première importance.

Personne ne peut se réjouir de la souffrance et du drame, mais quand ils sont le fait des hommes, il faut comprendre et pour cela, penser et connaître. Au-delà de la compassion humaine, c’est à cela que les commémorations sont utiles. Aux lycéens d’Albi Jaurès dira : « L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir.» Il était un penseur et un acteur politique de première importance. Pensée comme action sont d’autant plus complexes, évolutives et difficiles qu’elles cherchent à être efficaces dans un monde changeant sans cesse.

Jaurès savait bien que la guerre entraînerait un recul de civilisation, que tout son effort pour une évolution progressive de la démocratie et de la République sombrerait avec un tel déchaînement de violence et de massacres, que les antagonismes sociaux et politiques allaient se manifester tout autrement. Jaurès avait pressenti d’ailleurs la révolution russe et n’aurait surement pas été surpris de sa forme bolchévique. L’aurait-il acceptée ? La question se pose.

Toute sa réflexion est en effet tournée vers ce qu’il appelle «l’évolution révolutionnaire» nourrie par cet antagonisme. Il y voit une grande loi des sociétés où tout se transforme sans cesse. Le combat politique et social doit, selon lui, intégrer cette donnée fondamentale et se placer dans la perspective de sociétés démocratiques où il faut rassembler, s’adapter et construire les meilleurs rapports de forces. Pour connaître l’analyse de Marx qu’il partageait sur bien des points Jaurès n’en contestera pas moins la méthode pratique. Il bouscule ainsi la tradition communiste comme il bousculait de son temps les guesdistes. Il bouscule au moins autant sinon plus la tradition socialiste car il refuse l’adaptation au capitalisme, le renoncement aux idéaux et aux objectifs. Jamais il ne perd de vue la nécessité d’insérer dans la réalité plus de démocratie, plus de droits, plus de formes de vie collective et sociale, plus d’éléments socialistes…

On peut dire beaucoup de choses de nos jours mais on ne pourra pas contester ses choix fondamentaux : justice, démocratie, paix, république, socialisme, au minimum le primat de la propriété sociale. C’est sans doute le secret de l’évolution de son image. Dans les premières décennies après la guerre, on retient davantage le premier aspect, et Jaurès semble camper à la droite du mouvement ouvrier, dans une posture à la fois critique et républicaine. Il est davantage sollicité depuis quelques décennies pour la partie de son œuvre consacrée à l’alternative au capitalisme, et du coup, Jaurès se replace bien à gauche, là où est son idéal.

Symbole de la lutte contre la guerre, contre les guerres, en ce moment cela a du sens, Jaurès est aussi celui qui s’empara de la question sociale pour faire de la République le régime de tous par tous, le socialisme. L’épanouissement de chaque individu était, à ses yeux, toujours plus complet dans la vie collective. Et pourtant, cela n’était pas si évident car il aurait pu avoir un tout autre destin. Né à Castres en 1859 dans une famille de la petite bourgeoisie, déclassée par le retour à la terre, il intègre l’école normale supérieure. Meilleur de sa génération, il est promis à un brillant avenir au sein de l’élite républicaine.

En 1885, il est élu député et devient à 26 ans, le plus jeune élu de la Chambre. Dans ses premiers engagements, il sera plus proche de Jules Ferry et des républicains modérés, il est alors moins à gauche que Clémenceau qui condamne la colonisation. Mais Jaurès est un républicain sincère qui croit à la raison, cherche à analyser les événements qu’il vit et affronte avec courage parfois même physique.

En 1892, il est scandalisé quand le propriétaire de la mine de Carmaux veut renvoyer un de ses ouvriers qui a été élu maire de Carmaux contre son gendre. Jaurès se lance dans cette grande campagne de mobilisation pour obtenir la réintégration, fait le lien avec Paris, intervient dans la presse et gagne. Il sera élu à l’élection législative partielle qui suit immédiatement ce qui fut le premier affrontement de classe pour cet enfant de la République. Il sera réélu lors des nouvelles élections générales de 1893. A partir de cette date, il s’engage de plus en plus dans le camp du socialisme et de la classe ouvrière, il démultiplie son activité journalistique. Il est présent partout pour soutenir la cause de ceux qui travaillent. C’est ainsi qu’en 1896, il soutient les verriers d’Albi et apporte tout son soutien à la création de leur coopérative. Mais il est aussi l’homme de la lutte contre toutes les injustices.

En 1898, il s’engage dans la défense de Dreyfus accusé et condamné parce que juif. Jaurès ne fut pas le premier de ses soutiens et a cru comme beaucoup à sa culpabilité. Mais devant les faits, il s’engage à fond, intervient à l’Assemblée et relance la mobilisation pour obtenir l’annulation du jugement car il ne voulait pas se contenter d’une grâce octroyée d’en haut. C’est à propos de l’affaire Dreyfus et de la place que devait tenir la campagne de mobilisation dans l’action des socialistes que Jaurès débat avec Jules Guesde, l’autre grand dirigeant socialiste de l’époque. Fallait-il que les socialistes s’engagent dans la défense de Dreyfus issu des milieux bourgeois et militaires ? Ou fallait-il donner la priorité seulement à la question sociale ?

Pour Jaurès, le socialisme est dans l’accomplissement de la justice, il ne fallait donc accepter aucune injustice. Malgré leurs désaccords, sous les auspices de l’Internationale socialiste, Guesde et Jaurès engageront l’unification de tous les courants socialistes pour créer la SFIO en 1905.

Jaurès est aussi un des principaux artisans de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat et quoi qu’on en dise parfois fonde aujourd’hui notre vivre ensemble, il sut là trouver la voie d’un compromis mais d’un compromis de progrès, une loi qui permette à tous de se retrouver dans le respect de la liberté de conscience et de la neutralité de l’état en matière religieuse.

Oui Jaurès avait le sens du compromis et, à l’inverse de ce que l’on peut entendre dans la bouche de nos gouvernants, ce n’était pas pour accepter ou faire accepter des régressions sociales mais bien pour changer la société avec, toujours, la visée progressiste chevillée au corps. En 1910, il œuvre ainsi pour les retraites ouvrières premiers pas vers une sécurité sociale. Et s’il n’a jamais participé au pouvoir, il a toujours pensé que les révolutionnaires devaient y prendre toute leur responsabilité à condition d’aller vers du mieux non pour accepter les pires reculs au nom du réalisme. Sa vision ne pouvait être celle de l’impuissance politique. Les réformes, il les rattache donc à un horizon, pour lui ce sont des réformes révolutionnaires qui préparent et introduisent même au sein du capitalisme des formes de socialisme, de communisme.

Et quand Jaurès perd des élections, il n’en rabat pas pour gagner la fois d’après. Homme de convictions, ce sont elles qui fondent son engagement.

Mais Jaurès n’est pas qu’un parlementaire, il est aussi un journaliste engagé, de la Dépêche du midi, de la petite République, de l’Humanité enfin qu’il fonde en 1904. L’Humanité, qu’il veut socialiste et indépendant, l’Humanité qui encore de nos jours dérange dans le paysage médiatique conventionnel, lui permettra d’intervenir dans tous les débats et surtout ceux relatifs à la paix et à la guerre.

Alors suffirait-il aujourd’hui de revenir à Jaurès pour bien se situer à gauche ? Observons d’abord qu’à gauche, ils ne sont plus très nombreux à s’en réclamer alors que sous les ors de la République le Clémenceau de la répression antisociale et du jusqu’au boutisme guerrier serait la référence la plus juste.

Voila pourquoi Jaurès, se définissant lui-même comme un héritier de Babeuf, reste une référence majeure :

• pour la morale en politique quand celle-ci est souvent disqualifiée aux yeux de nos concitoyens par les affaires Cahuzac, Sarkozy…

• pour la paix quand la guerre redevient le moyen d’assurer les intérêts impérialistes dans le monde

• pour la justice sociale alors qu’aujourd’hui toute réforme est symbole de régression.

Nous voyons ainsi le journaliste méticuleux défenseur des grandes causes. Nous voyons ainsi le militant de chaque instant convaincu de la justesse de ses idées. Alors que le monde d’aujourd’hui n’est plus celui de son vivant, nous voyons ainsi la promesse d’un monde meilleur. Le combat pour l’émancipation humaine passe par cette référence ineffaçable du mouvement ouvrier honneur de la gauche et du socialisme.

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