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CHANTS REVOLUTIONNAIRES

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11 février 2009 3 11 /02 /février /2009 13:58

                                                                                                                                                                          

Philosophie d’un massacre :   
                                                                         

 André Glucksmann et Bernard-Henri Lévy, apologistes des crimes de guerre israéliens

Par Bruno Paoli, chercheur à l’Institut français du Proche-orient (Ifpo) à Damas (Syrie)

                                                             

                                                         (Première partie)

 

 Le journal Le Monde, qui s’était déjà illustré, lors de la dernière poussée de fièvre des va-t-en-guerre israéliens, au Liban, durant l’été 2006, en publiant dans ses colonnes le pathétique et consternant journal de voyage de Bernard-Henri Lévy, parti se constituer bouclier humain dans les colonies du Nord d’Israël victimes des tirs de roquettes du Hezbollah, alors que l’armée israélienne mettait le Liban à feu et à sang[1], s’est à nouveau distingué en publiant, dans son édition du mardi 6 janvier 2009, et alors qu’Israël jetait cette fois son dévolu sur la bande de Gaza, l’infâme bafouille du sieur Glucksmann qui se dit philosophe.

Dans la lettre de protestation que j’envoyai au Monde dès le lendemain, je prédisais que son collègue et ami, Bernard-Henri Lévy, philosophe de terrain sans peur et sans reproche, était certainement, au moment où lui-même montait au créneau, sur le front, à Sderot, sinon à Ashkelon ou à Beersheba, protégeant une fois de plus de son corps des Israéliens terrorisés par les roquettes du Hamas. Et je ne me trompais pas. Deux jours plus tard, en effet, le soldat Lévy, de retour du front, prenait à son tour la plume, le 8 janvier, dans les colonnes de l’hebdomadaire Le Point, pour témoigner du « cauchemar » vécu par les habitants de Sderot, « terrés dans les caves de leurs immeubles » et vivant une existence « en sursis, au son des sirènes et des explosions » : « Je suis allé à Sderot, dit-il, je sais ».

 Revenu sain et sauf après avoir risqué sa vie pour Israël, mais vraisemblablement épuisé par son voyage au bout de l’enfer, il se contente de nous livrer ses vérités, qu’il présente comme des « faits ». Soigneusement sélectionnés, les « faits » en question contribuent à donner de la réalité du massacre de Gaza une image délibérément déformée et partielle. Car pourquoi, s’interroge le lecteur naïf, n’a-t-il pas profité de son séjour à Sderot pour visiter Gaza, pourtant toute proche, si ce n’est pour ne pas tout savoir ni tout dire du drame qui s’y nouait ?… Eyeless in Sderot. Mais dix jours plus tard, Lévy publiait dans Le Journal du Dimanche ses « carnets de guerre » tant attendus, dans lesquels il confessait, comme pour mieux nous faire mentir, avoir visité Gaza, de nuit, incorporé dans une unité d’élite israélienne[2] : « Soucieux, contrairement à vous, d’essayer au moins d’aller y voir, dit-il, je suis, ce mardi 13 janvier, entré, à la nuit tombée, dans les faubourgs de Gaza-City, quartier Abasan Al-Jadida, un kilomètre au nord de Khan Younès - "embedded" dans une unité d’élite Golani.

 Je sais, pour l’avoir évité toute ma vie, que le point de vue de l’"embedded" n’est jamais le bon point de vue. Et je ne vais pas prétendre, en quelques heures, avoir capté l’esprit de cette guerre. Mais, cela étant dit, je donne mon témoignage ». Probablement terré au fond d’un blindé, avec pour unique champ de vision celui, fort réduit, que peut offrir une meurtrière, de nuit qui plus est, Lévy nous dit donc ce qu’il voit : « Le peu, très peu, que je vois (buildings plongés dans l’obscurité mais debout, vergers à l’abandon, la rue Khalil al-Wazeer avec ses commerces fermés) indique la ville sonnée, transformée en souricière, terrorisée - mais certainement pas rasée au sens où purent l’être Grozny ou certains quartiers de Sarajevo. Peut-être serai-je démenti quand la presse entrera enfin dans Gaza. Mais, pour l’heure, c’est, encore, un fait ».

Car les profondes réflexions du caporal-chef Lévy reposent toujours sur des « faits ». Soucieux, comme nous, de voir et de savoir, il aura donc sûrement découvert depuis, les terribles images de Gaza ravagée plus que « sonnée » et pris connaissance de ces chiffres qui en disent long[3] : en l’espace de trois semaines, l’armée israélienne a totalement détruit plus de deux mille quatre cent maisons, vingt-huit lieux et bâtiments publics incluant des ministères, des municipalités, des conseils régionaux, le Conseil législatif et des ports de pêche, vingt-et-un chantiers incluant des cafétérias, des salles de mariage, des hôtels et des aménagements touristiques, trente mosquées (et quinze autres sérieusement endommagées), les bureaux de dix organisations caritatives, cent vingt-et-un ateliers industriels et commerces, cinq usines à béton et une production de jus de fruit, soixante postes de police et commissariats, cinq immeubles abritant des médias et deux assurant des soins médicaux, vingt-neuf établissements à vocation éducative.

Par ailleurs, des centaines d’hectares de terres cultivées ont été défoncées. Ce qui est fait n’est plus à faire, dirait Lévy. Quant à la visite de Gaza by night à laquelle l’ont invité les militaires israéliens, elle ressemble fort à celles qu’organisaient de leur temps les régimes communistes, dont le parcours était minutieusement étudié et les sites soigneusement sélectionnés, afin de donner à leurs hôtes la meilleure image possible, aussi fausse ou tronquée soit-elle.

 Pour le reste, le récit de Bernard-Henri Lévy, accompagné de deux éloquents clichés de l’écrivain en compagnie de ses amis israéliens, Barak « la colombe » et Yoav Galant, l’un des généraux en charge de l’opération ’’Plomb durci’’, est à la hauteur de nos attentes : un concentré d’hypocrisie dans lequel l’écrivain semble avoir mis tout ce qu’il avait de cynisme et de mauvaise foi pour défendre Israël coûte que coûte. Le petit article publié dans Le Point n’était donc qu’un hors-d’œuvre : Lévy en avait gardé sous la pédale, pour nous servir, enfin, du grand BHL.

Comme Glucksmann, Lévy est, depuis longtemps déjà, passé maître dans l’art de la désinformation et de la manipulation d’une opinion d’autant plus facile à influencer qu’elle est par ailleurs très mal informée : efficace, certes, mais ô combien répugnant, dès lors que l’objectif avoué en est de minimiser, de nier ou de justifier les crimes de guerre commis par Israël durant ces trois semaines de folie meurtrière. Glucksmann et Lévy devraient savoir que l’apologie de crimes de guerre tombe sous le coup de la loi française, qui considère qu’« un écrit qui présente comme susceptibles d’être justifiés des actes constitutifs de crimes de guerre doit être considéré comme apologétique » ; et qu’une fois officiellement reconnus comme tels les crimes israéliens à Gaza et leurs auteurs poursuivis, eux-mêmes pourraient aussi avoir à répondre de l’apologie qu’ils en ont faite.

Mais en attendant, il est de notre devoir d’effiler le tissu de mensonges, de contrevérités et d’insinuations malhonnêtes qui constitue la trame des misérables arguties de nos deux « philosophes », afin de rétablir, à l’intention du public français et, en particulier, des lecteurs du Monde, du Point et du Journal du Dimanche qui sont les premières victimes de cette honteuse manipulation, quelques vérités essentielles sur Gaza.

Dans son « bloc-notes » du Point, Lévy, non sans s’être préalablement débarrassé à la va-vite de l’encombrant fardeau que représentent ces centaines d’enfants morts - se disant « évidemment bouleversé » mais s’abstenant néanmoins, sans aucune honte, car « n’étant pas un expert militaire », de « juger si les bombardements israéliens sur Gaza auraient pu être mieux ciblés, moins intenses » -, commence par dénoncer le « vent de folie » qui s’empare de certains médias, « comme toujours quand il s’agit d’Israël », dit-il, un « Israël vilipendé, traîné dans la boue, diabolisé ».

Le procédé est bien connu, qui consiste à poser Israël en victime d’une vaste campagne de désinformation orchestrée par la gauche radicale et la mouvance altermondialiste, accusées de connivence avec ceux que Podhoretz et Taguieff, islamophobes fanatiques, appellent les « islamo-révolutionnaires[4] ». Dans ses « Carnets de guerre », Lévy nous explique, avec l’aide d’Amos Oz, comment se propagent les rumeurs. Il prend pour exemple « cette histoire de maison où l’on aurait, dans la zone de Zeitoun, attiré cent personnes avant de tirer dans le tas », histoire qui paraît à son ami Amos « si insensée qu’il ne sait, ni par quel bout la prendre, ni comment elle a pris corps ».

D’après Lévy, « tout aurait commencé, semble-t-il, par un vague témoignage recueilli par une ONG », relayée par quelques journalistes, puis par « le village médiatique planétaire »  : « "Tsahal aurait... Tsahal pourrait... le docteur X confirme que Tsahal serait à l’origine de...". Ah le poison de ces conditionnels subtils et soi-disant prudents, s’exclame-t-il ! Dans deux jours, on ne parlera plus de la rumeur de Zeitoun.

 Mais qu’en conclura le monde ? Que c’est parce qu’elle était absurde ? Ou parce qu’une horreur chasse l’autre et que Tsahal aurait gravi un degré de plus, entre temps, sur l’échelle de l’abomination et du crime  ? ». La vérité, c’est que deux jours après, on ne parlait que de ce crime ignoble, de cette maison bombardée après que les habitants du quartier y aient été regroupés par Tsahal, et qui fit trente morts, dont la moitié d’enfants. L’un des rescapés, Salah Talal, blessé à la tête, raconte dans L’Humanité [5]  : « L’armée israélienne nous a tous regroupés dans cette maison parce qu’elle s’installait dans celles qui étaient autour. Comme ils nous avaient laissés sans eau et sans nourriture, on est sortis pour prendre du bois pour faire du feu et confectionner du pain.

 C’est alors qu’ils ont fait feu. Une première bombe est tombée. Cinq personnes ont été tuées. C’est là que j’ai été blessé. Puis un deuxième missile s’est abattu, en tuant vingt-deux autres ». La rumeur, loin d’être absurde, était donc bien fondée. Et si l’on parla un peu moins par la suite de « cette histoire de maison », c’est effectivement, comme le prédisait Lévy, parce que ce crime fut rapidement occulté par d’autres plus graves encore, comme ces bombardements au phosphore dont les médecins impuissants décrivent depuis plusieurs jours les effets dramatiques sur la population.

Glucksmann divise quant à lui l’opinion en pas moins de deux catégories : les « inconditionnels », d’une part, qui ont décidé par avance qui a tort et qui a raison, qui ont une opinion bien arrêtée et qui n’en changeront pas ; et les « circonspects », d’autre part, qui réfléchissent et attendent de voir pour se faire une opinion. Il ne nous dit pas dans quelle catégorie il se range lui-même. Mais la profonde réflexion qui suit cette introduction prometteuse ne laisse aucun doute quand à son appartenance revendiquée à la seconde. Son acharnement pro-israélien aveugle et… inconditionnel aurait pourtant laissé penser qu’il faisait partie de la première.

Mais qu’à cela ne tienne. Les Israéliens, pour leur part, font naturellement partie des circonspects : quelle belle démocratie que celle où l’on peut sereinement discuter de la façon de taper sur son meilleur ennemi et du moment le plus approprié pour le faire ! D’après Glucksmann, les circonspects se posent ni plus ni moins que trois questions : « Est-ce le moment ? Jusqu’où ? Jusqu’à quand ? » ; quand à la question de savoir s’il n’est pas d’autre solution que l’usage de la force brutale, il semblerait qu’elle ne se pose même pas… Quelle belle démocratie que celle qui sait adopter une attitude consensuelle, aussi criminelle soit-elle, dès lors que c’est sa « survie » dans un environnement hostile qui est en jeu ! Voilà qui ne laisse guère d’espoir aux Palestiniens.

Glucksmann, lui, voit pourtant « poindre une lueur d’espoir » : certains présumés inconditionnels auraient tendance à devenir un peu circonspects, à l’instar d’un Mahmoud Abbas « trouvant le courage d’imputer au Hamas […] la responsabilité initiale du malheur des civils de Gaza ». Il en fallait, en effet, pour s’aligner ainsi sur une position qui n’est autre que celle d’Israël et de ses suppôts.

Mahmoud Abbas, que les événements récents ont contribué à affaiblir et à discréditer un peu plus encore, commence donc à trouver grâce aux yeux de notre philosophe, qui semble à deux doigts de le considérer comme un bon Palestinien, entendez un Palestinien docile que les Israéliens puissent manipuler à leur guise et faire lanterner ad vitam aeternam tout en poursuivant patiemment leur grand œuvre, la colonisation de la Cisjordanie, dont l’objectif ultime est d’empêcher à tout jamais la création d’un état palestinien viable. Lévy, dans la conclusion de ses « Carnets de guerre », évoque lui aussi ces bons Palestiniens assoiffés de paix : « Ils sont là, bien sûr, les interlocuteurs d’Israël, dit-il dans un élan lyrique.

Ils sont là, les partenaires de la paix future ». Il parle de Mustapha Barghouti, Président de la Palestinian Relief Society, et de Mamdouh Aker, « médecin, autorité morale et vétéran du dialogue israélo-palestinien », qu’il a rencontrés à Ramallah. « Une paix en dépit de tout, continue-t-il, plein de verve. Une paix par delà les dévastations et les larmes. Une paix de raison, sans effusion ni enthousiasme - mais peut-être, pour cela, plus que jamais à portée de main. Deux peuples, deux Etats. Une paix sèche ».

 Il faudra qu’il nous explique comment il sera possible de faire la paix en refusant de discuter avec les représentants élus du peuple palestinien, et alors que même des « Palestiniens modérés » comme Barghouti et Aker, ainsi que le dit lui-même Lévy, « ne croient [pas] au sérieux d’une offre de paix portée par un Premier Ministre [Abbas] sur le départ ». Faudra-t-il de nouvelles élections, qui confirmeront sans aucun doute la suprématie du Hamas ? Ou bien continuera-t-on de nier le droit des Palestiniens à la démocratie ? Les formules creuses de Lévy sont une insulte aux victimes de Gaza comme à ceux qui ont survécu à l’enfer. La paix, si elle est encore possible, ne pourra être cette « paix sèche » dont il se fait le porte-parole.

 Elle ne pourra se faire en reléguant dans la vallée de l’oubli les milliers de victimes du consciencieux nettoyage ethnique auquel oeuvrent les dirigeants israéliens depuis soixante-et-un ans et, en particulier, celles, encore toutes fraîches, de l’expédition punitive menée à Gaza. Elle ne pourra faire l’économie d’une commission de réconciliation qui solde tous les crimes commis de part et d’autre, comme cela s’est fait en Afrique du Sud, par exemple, à la fin de l’apartheid. Quant à sa vision de « deux peuples, deux états », quel sens lui donner quand on sait qu’un israélien sur cinq est palestinien ? Lévy serait-il partisan de ce que les Israéliens appellent poliment le « transfert » des Palestiniens, entendez l’expulsion de tous ceux qui menacent le caractère juif de leur Etat, idée ouvertement débattue en Israël et qui semble faire son bonhomme de chemin dans une société israélienne de plus en plus extrémiste ?

Mais venons-en aux faits évoqués par Lévy dans l’hebdomadaire Le Point. Aucun autre pays qu’Israël, dit-il d’abord, « ne tolérerait de voir des milliers d’obus tomber, pendant des années, sur ses villes » : il ne s’étonne donc pas tant de la « brutalité » d’Israël que de sa longue retenue. On observera en passant l’habile usage des guillemets, pour minimiser ou mettre en doute la prétendue brutalité israélienne et, pour louer sa sagesse, le soulignement du mot « retenue » par des italiques. Pour le reste, Lévy qui, comme il s’en est confessé, n’est pas expert militaire, commet une grossière erreur (mais n’est-elle pas voulue ?) en parlant d’obus là où il n’y a que des roquettes.

 La différence est de taille, car les dégâts causés à Gaza par les obus israéliens sont incomparablement plus grands que ceux causés à Sderot par les roquettes du Hamas. Enfin, s’il faut admettre que le quotidien des citoyens israéliens frontaliers de Gaza n’est pas, ces dernières années, des plus folichons, que dire des décennies d’occupation et d’humiliation subies par les Palestiniens ? Lévy, assurément, n’a rien à en dire. Il préfèrera sûrement nous rappeler que Gaza, depuis trois ans, n’est plus un « territoire occupé ».

Pourtant, comme le dit Norman Finkelstein[6], « bien qu’Israël ait retiré ses colons et soldats de Gaza en 2005, il continue de contrôler étroitement la côte de Gaza, son espace aérien et ses frontières. Par conséquent, Israël reste une puissance occupante avec des obligations légales de protection de la population civile de Gaza. Mais le siège de dix-huit mois de la Bande de Gaza précédant la crise actuelle violait ces obligations de manière flagrante.

 Il a provoqué un arrêt quasi total de l’activité économique, laissé les enfants affamés et mal nourris et empêché les étudiants Palestiniens de pouvoir aller étudier à l’étranger ». Lévy pousse pourtant la mauvaise foi jusqu’à nier la réalité du « fameux blocus intégral imposé à un peuple affamé » et de la crise humanitaire qui sévit à Gaza

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