Deux articles, écrits à des dates differentes et qui ont pour sujet la sincérité de Reporters Sans Frontières. Mais pour s'informer davantage, il est nécessaire de lire le dernier livre de Maxime Vivas: « La face cachée de Reporters sans frontières. De la CIA aux Faucons du Pentagone » Editions Aden.
( U Cursinu Rossu)
Quand Reporters Sans Frontières couvre la CIA
Lors des procès de La Havane, en 2003, Nestor Baguer a publiquement mis en cause Robert Ménard, qu’il a accusé de collusion avec les services secrets états-uniens. Dans la même période, Reporters sans frontières (RSF), dont M. Ménard est le directeur exécutif, a mené campagne contre le gouvernement cubain, qu’il accuse d’emprisonner les journalistes dissidents. Depuis lors, la polémique n’a cessé de s’envenimer jusqu’à ce que la journaliste états-unienne Diana Barahona, du Northern California Media Guild, franchisse un pas de plus en accusant Reporters sans frontières d’être financé par la NED/CIA et d’écrire ses rapports sous l’influence de l’administration Bush.
Nous avons relayé cette controverse sur notre site espagnol, Red Voltaire, et nous regrettons de l’avoir fait sans nuances. En effet, l’enquête de notre correspondant canadien, Jean-Guy Allard, et les vérifications de notre bureau français montrent que le financement direct de RSF par la NED/CIA est anecdotique et récent, de sorte qu’il n’a pas pu avoir d’influence sur son activité. Nous présentons donc nos excuses à Reporters sans frontières. Nous regrettons d’autant plus cette erreur qu’elle masque des faits fort surprenants.
Initialement conçue pour envoyer des reporters témoigner de l’action d’ONG humanitaires, Reporters sans frontières a évolué pour devenir une organisation internationale de soutien aux journalistes réprimés. L’association a été reconnue d’utilité publique par décret du Premier ministre Alain Juppé, le 19 septembre 1995. Ce statut lui a donné un accès plus facile aux financements publics qui représentent, dans les derniers comptes publiés [1] 778 000 euros. Ils proviennent des services du Premier ministre français, du ministère français des Affaires étrangères, de l’Agence intergouvernementale de la francophonie, de la Commission européenne, de l’OSCE et de l’UNESCO. RSF peut aussi compter sur le mécénat privé (FNAC, CFAO, Hewlett Packard, Fondation Hachette, Fondation EDF etc.) pour environ 285 000 euros. Toutefois, l’essentiel du budget provient de la générosité du public, notamment lors de la vente de l’album annuel pour la liberté de la presse et d’opérations spéciales, soit 2 125 000 euros sur un budget total de 3 474 122 euros.
Or, l’activité concrète de Reporters sans frontières est très éloignée de ce que les donateurs croient financer. Le fonds d’assistance aux journalistes opprimés, c’est-à-dire le paiement des honoraires des avocats des journalistes emprisonnés, le soutien matériel à leurs familles, le développement des Maisons des journalistes, tout cela qui représente le cœur de l’activité officielle de l’association et la raison de la générosité du public ne reçoit que... 7 % du budget général ! Vous avez bien lu : pour 1 euro donné pour les journalistes opprimés, seuls 7 centimes arrivent à destination.
Où passe donc le reste ?
La véritable activité de Reporters sans frontières est de conduire des campagnes politiques contre des cibles déterminées. Elles seraient légitimes si, comme la Fondation Soros [2], elle n’instrumentalisaient pas la liberté de la presse au point de l’évoquer pour justifier des violations graves du droit international. À titre d’exemple, RSF s’est félicité de l’enlèvement du président constitutionnel d’Haïti par les Forces spéciales états-uniennes appuyées par une logistique française [3], au motif que Jean-Bertrand Aristide aurait été un « prédateur de la liberté de la presse » ; un qualificatif étayé par une vision tronquée des évènements qui visait à faire passer le président haïtien pour le commanditaire de meurtres de journalistes. Force est d’observer que, ce faisant, Reporters sans frontières soutenait médiatiquement une opération dans laquelle le gouvernement français s’était fourvoyée, alors que ce même gouvernement français subventionnait l’association.
Le caractère idéologique des campagnes de Reporters sans frontières tourne parfois au ridicule. Ainsi, l’association s’est-elle indignée du projet de loi vénézuélien visant à soumettre les médias au droit général, mais elle ne s’est pas préoccupée du rôle du magnat de l’audiovisuel Gustavo Cisneros et de ses chaînes de télévision dans la tentative de coup d’État militaire pour renverser le président constitutionnel Hugo Chavez [4].
C’est en définitive à propos de Cuba que la polémique s’est cristalisée, tant il est vrai que RSF a fait de la dénonciation du régime castriste l’axe principal de ses campagnes. Selon l’association, les 21 journalistes emprisonnés dans l’île auraient été accusés abusivement d’espionnage au profit des États-Unis et seraient en réalité victimes de la répression gouvernementale. Pour lutter contre ce gouvernement, RSF a organisé diverses manifestations, dont une qui a mal tourné, le 14 avril 2003 devant l’ambassade de Cuba à Paris. Dans son enthousiasme, l’association a également troublé la session de la Commission des droits de l’homme, au siège de l’ONU à Genève. Ses militants avaient pris à partie la présidence libyenne de la Commission et molesté des diplomates. En conséquence, Reporters sans frontières a été suspendu pour un an de son statut d’observateur au Conseil économique et social (Ecosoc) de l’ONU. Robert Ménard n’a pas manqué de stigmatiser les dérives de cette commission, selon lui aux mains des spécialistes des violations des droits de l’homme. Pourtant, les sanctions à l’encontre de RSF ont été votées par des États parfaitement démocratiques comme l’Afrique du Sud, le Brésil ou le Bénin.
Interrogé par téléphone, Robert Ménard récuse les allégations selon lesquelles RSF aurait été acheté par l’argent de la NED/CIA [5] pour mener campagne contre Cuba. Il explique que l’association a demandé une subvention à l’Agence états-unienne pour venir en aide aux journalistes opprimés en Afrique et qu’elle a en définitive reçu seulement 40 000 dollars à la mi-janvier 2005. Dont acte.
Poursuivant la discussion, M. Ménard récuse également les accusations de notre collaborateur Jean-Guy Allard, par ailleurs journalistes à l’agence nationale Granma Internacional. Dans son ouvrage, Le Dossier Robert Ménard. Pourquoi Reporters sans frontières s’acharne sur Cuba, celui-ci relate les liens personnels étroits que le directeur exécutif de l’association entretient avec les milieux d’extrême droite anticastriste à Miami, notamment avec Nancy Pérez Crespo. Haussant la voix, il nous accuse de projeter des présupposés idéologiques sur les choses, alors que lui et son association s’astreindraient à la plus grande neutralité. Puis, il nous accuse d’accorder du crédit à de la « propagande communiste » (sic).
Vérification faite, Robert Ménard fréquente bien l’extrême droite de Miami et RSF est bien financé par le lobby anticastriste pour mener campagne contre Cuba. En 2002, Reporters sans frontières a signé un contrat, dont les termes ne sont pas connus, avec le Center for a Free Cuba, à l’issue duquel il a reçu une première subvention de 24 970 euros. Celle-ci a été augmentée à 59 201 euros pour 2003. Le montant 2004 n’est pas connu.
Le Center for a Free Cuba est une organisation créée pour renverser la révolution cubaine et restaurer le régime de Battista [6]. Elle est présidée par le patron des Rhums Bacardi, dirigée par l’ancien terroriste Frank Calzon, et articulée à une officine de la CIA, la Freedom House [7].
Le contrat signé avec le Center for a Free Cuba a été négocié en 2001 avec le responsable de l’époque de cette organisation : Otto Reich, le champion de la contre-révolution dans toute l’Amérique latine [8]. Le même Otto Reich, devenu secrétaire d’État adjoint pour l’hémisphère occidental, fut l’organisateur du coup d’État manqué contre le président élu Hugo Chavez ; puis, devenu émissaire spécial du président Bush, il supervisa l’opération d’enlèvement du président Jean-Bertrand Aristide.
RSF, c’est 7 % de soutien aux journalistes opprimés et 93 % de propagande impériale états-unienne.
Quand Robert Ménard, de Reporters sans frontières, suit les pas de Washington et légitime la torture
par LAMRANI Salim
4 septembre 2007
Robert Ménard, le secrétaire général de l’organisation parisienne Reporters sans frontières (RSF) depuis 1985, est un personnage extrêmement médiatique qui prétend défendre la « liberté de la presse » et qui se drape dans un discours humaniste plutôt apprécié de l’opinion publique. Grâce à la collusion des médias, Ménard est devenu un homme incontournable dans le monde de la presse.
Pourtant, ses actions sont loin de faire l’unanimité. Le manque flagrant d’impartialité dont fait preuve RSF a souvent été stigmatisé. L’organisation française, financée par les conglomérats économiques et financiers ainsi que par les Etats-Unis, comme l’a publiquement reconnu son secrétaire général, a mené des campagnes médiatiques curieusement similaires à l’agenda politique de la Maison-blanche. Ainsi, RSF, sous prétexte de défendre la liberté de la presse, s’en est pris respectivement à Cuba (1), a soutenu le coup d’Etat contre le président vénézuelien Hugo Chávez en avril 2002 (2), a implicitement approuvé l’invasion sanglante de l’Irak en 2003 (3), et a légitimé le coup d’Etat contre le président Jean-Bertrand Aristide à Haïti (4). Désormais, RSF mène une campagne médiatique spectaculaire contre la Chine et les jeux olympiques de Pékin de 2008 (5).
La proximité idéologique entre RSF et l’administration Bush est évidente à tel point que l’on se demande quels sont réellement les véritables objectifs de Robert Ménard. Les scandales de Guantanamo, d’Abu-Ghraïb et des prisons secrètes tenues par la CIA à travers le monde ont démontré que les troupes étasuniennes n’hésitaient pas à utiliser la torture pour arriver à leurs fins. Ces méthodes inhumaines et injustifiables ont été unanimement condamnées par l’ensemble de la communauté internationale.
En octobre 2006, le Congrès étasunien a franchi le pas et a approuvé un projet de loi légalisant la torture, en flagrante violation des principes même de la démocratie. La majorité républicaine ainsi que plusieurs élus démocrates de la Chambre des représentants et du Sénat ont autorisé l’utilisation des preuves obtenues sous la torture contre le « combattant ennemi illégal ». Le texte intitulé « loi des commissions militaires, 2006 » reconnaît l’existence de tribunaux secrets pour juger tout ressortissant étranger soupçonné de porter atteinte aux intérêts des Etats-Unis. L’accusé ne pourra pas prétendre au choix de son avocat, ni connaître les charges qui pèsent contre lui. De plus, les preuves présentées contre lui pourront rester secrètes. Bien évidemment, il pourra également être détenu sans pouvoir réclamer d’être présenté devant un juge, et ce indéfiniment. Il ne pourra pas contester la légalité de sa détention, ni les tortures dont il aura été victime (6).
La loi confère également au président étasunien « l’autorité [pour] interpréter la signification et l’application des conventions de Genève » prohibant la torture. Ces dernières ne pourront pas être invoquées « comme source de droit devant aucun tribunal des Etats-Unis ». La section V de la législation stipule que « personne ne pourra invoquer les conventions de Genève ni aucun de leurs protocoles dans une quelconque action d’habeas corpus ou tout autre acte civil ou toute poursuite judiciaire dans lesquels les États-Unis, un fonctionnaire en activité ou non, un employé, un membre des forces armées ou tout autre agent des États-Unis est partie en tant que source de droit ». En outre, « aucun tribunal, aucun juge n’aura le pouvoir d’entendre ou de prendre en considération une demande en assignation d’habeas corpus introduite par un ressortissant étranger (ou en son nom) qui est ou qui a été détenu par les États-Unis et qui a été considéré comme étant correctement détenu comme combattant ennemi ou en instance de cette qualification (7) ».
Non seulement cette loi liberticide, d’essence totalitaire, représente une menace pour n’importe quel citoyen du monde ne bénéficiant pas de la nationalité étasunienne, mais elle octroie une impunité totale aux responsables des traitements cruels, inhumains et dégradants. L’Union européenne et la France en particulier ont maintenu un silence scandaleux au sujet de cette législation. Que ce serait-il passé si la Chine, Cuba, l’Iran, la Russie ou le Venezuela avaient adopté une loi similaire ? Qui peut encore parler, en référence aux Etats-Unis, de modèle de démocratie ?
Lors de l’émission de radio « Contre-expertise » présenté par Xavier de la Porte sur France Culture le 16 août 2007 de 12h45 à 13h30, Robert Ménard, l’autoproclamé défenseur des droits de l’homme et des journalistes, a suivi les pas de son mécène et a légitimé l’utilisation de la torture, tenant des propos extrêmement préoccupants. Evoquant l’assassinat du journaliste étasunien Daniel Pearl, il a souligné qu’il était légitime de torturer des suspects pour sauver la vie d’innocents, reprenant l’argumentation des plus effroyables dictatures et bien sûr de l’administration Bush (8).
Ménard va même plus loin puisqu’il légitime même la torture contre les membres des familles des preneurs d’otages, c’est-à-dire contre des innocents. « Si c’était ma fille que l’on prenait en otage, il n’y aurait aucune limite, je vous le dis, je vous le dis, il n’y aurait aucune limite pour la torture ». Voici un extrait des propos tenus par le secrétaire général de RSF :
« La police pakistanaise va prendre les familles, vous entendez bien, les familles des preneurs d’otages en otage et vont torturer ces familles de preneurs d’otages pour obtenir les renseignements. Ils vont obtenir des renseignements. Ils arriveront trop tard pour sauver Daniel. Vous savez comment il a été égorgé et dans quelles conditions….
Où on arrête ? Est-ce que on accepte cette logique qui consiste à... puisqu’on pourrait le faire dans un certain nombre de cas "vous le prenez en otage, on le prend en otage ; vous les malmenez, on les malmène ; vous torturez, on torture…"
Qu’est ce qui justifie… Est-ce que pour libérer quelqu’un, on peut aller jusque là ? C’est une vraie question.
Et ça c’est la vie réelle, c’est ça, ce que dit à l’instant François : on n’est plus dans les idées, c’est plus des combats, c’est plus des principes. Moi je sais plus quoi penser. Parce que ça, ça arrive à Marianne Pearl, je ne dis pas, je ne dirai pas qu’ils ont eu tort de le faire parce que elle, elle a pensé que c’était bien de le faire, qu’il fallait faire ça, qu’il fallait sauver son mari ; elle était enceinte… pour le petit qui allait naître, tout était permis.
Et il fallait absolument le sauver et s’il fallait s’en prendre à un certain nombre de gens, on s’en prenait à un certain nombre de gens ; s’en prendre physiquement, vous avez compris, en les menaçant et en en torturant, quitte à en tuer un certain nombre.
Je sais plus, je suis perdu, parce qu’à un moment donné je ne sais plus où il faut arrêter, où il faut mettre le curseur. Qu’est-ce qui est acceptable et qu’est ce qui n’est pas acceptable ? Et en même temps, pour les familles de ceux qui ont été pris en otage, parce que ce sont souvent nos premiers interlocuteurs, à Reporters Sans Frontières ; légitimement, moi, si c’était ma fille que l’on prenait en otage, il n’y aurait aucune limite, je vous le dis, je vous le dis, il n’y aurait aucune limite pour la torture (9) ».
Comment peut-on prétendre défendre les droits de l’homme dès lors que l’on justifie une pratique aussi abominable et inhumaine que la torture ? Que reste-t-il de la crédibilité de Robert Ménard et de Reporters sans frontières – les deux étant tellement liés qu’il est de fait impossible de les dissocier – lorsqu’ils légitiment l’injustifiable ? Le secrétaire général de RSF a montré son vrai visage. Il ne défend pas la liberté de la presse mais les pratiques odieuses de la CIA. Mais est-ce bien surprenant sachant qu’il est financé par la National Endowment for Democracy (10) qui n’est rien d’autre que l’officine écran de l’agence selon le New York Times (11) ?
Notes
Salim Lamrani est enseignant, écrivain et journaliste français, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Il a notamment publié Washington contre Cuba (Pantin : Le Temps des Cerises, 2005), Cuba face à l’Empire (Genève : Timeli, 2006) et Fidel Castro, Cuba et les Etats-Unis (Pantin : Le Temps des Cerises, 2006).