La Jamaa islamiya, officiellement installée depuis 1964, est le pendant libanais des Frères musulmans, confrérie fondée en Egypte en 1928. Elle appartient à la même école politique, idéologique et religieuse - sunnite - que ses voisins égyptiens, libyens, syriens et jordaniens. Au Liban, elle opte rapidement pour l’intégration politique. En 1972, elle présente des candidats aux élections législatives mais doit attendre 1992 pour faire élire trois de ses membres au Parlement. Le parti échoue aux élections de 2000 et 2005 et fait son retour en 2009 avec l’élection d’Imad el-Hout.
Le Liban étant un état multi-confessionnel, la Jamaa islamiya a depuis longtemps abandonné l’idée d’y établir un état islamique et, contrairement aux Salafistes libanais, le parti est considéré comme modéré. Il n’adhère ni au concept de Hijra - qui consiste à quitter une terre de "mécréants" pour un pays musulman-, ni à celui de Takfir - qui consiste à exclure un musulman de la Oumma, communauté des croyants. Pour la Jamaa islamiya, le Printemps arabe est donc aussi une opportunité de « clarifier » ses positions. « Notre image a été extrêmement galvaudée par l’Occident et les régimes dictatoriaux alors que nous sommes pour la cohabitation pacifique entre toutes les communautés libanaises », insiste Omar el-Masri.
Justement, selon Ahmad Moussalli, professeur à l’Université américaine de Beyrouth et spécialiste de l’islam politique, c’est notamment cette diversité religieuse qui empêche le parti d’être un acteur incontournable de la scène politique libanaise. « Ils ont beaucoup moins d’influence au Liban car il y a seulement 1,3 million de Sunnites et la majorité soutient le clan Hariri, beaucoup plus fortuné. Il a également su attirer la sympathie de la communauté au moment de l’assassinat de Rafic Hariri. »
Pourtant, la Jamaa islamiya compte bien profiter du dossier syrien pour avancer sur l’échiquier politique libanais. Depuis maintenant treize mois, à l’instar des autres forces sunnites, le parti soutient l’insurrection syrienne. Très actif dans le domaine humanitaire, il possède trois centres de réception des blessés dans le nord du Liban, à Wadi Khaled, et à Ersal, une ville située dans la région de la Bekaa. Il gère également un hôpital à Tripoli, deuxième ville du Liban et bastion sunnite. Le parti indique qu’il aide d’une autre manière l’insurrection syrienne mais préfère rester discret et affirme ne pas envoyer de combattants en Syrie.
La Jamaa islamiya « consulte » régulièrement les Frères musulmans syriens lorsqu’elle souhaite prendre une position sur l’évolution du conflit. Un « fonctionnement naturel » pour deux forces qui ont toujours été en relation même lorsque le "frère" syrien fut réduit à la clandestinité par le parti Baas. Ce lien étroit caractérise la relation entre la Jamaa et les Frères musulmans de la région qui se rencontrent régulièrement et organisent des réunions thématiques « tout en préservant l’indépendance de chaque groupe ».
Le contexte syrien engendre également un rapprochement de la Jamaa islamiya avec les pays du Golfe. Sur ce point, les discours diffèrent au sein du parti. Alors que le député Imad el-Hout affirme que la Jamaa entretient des relations avec les pays du Golfe tout en refusant d’être un « élément de stratégie », Omar Nasri dément tout contact avec « ces pays qui ont tenté d’étouffer les Frères musulmans ». Pour Ahmed Moussali, s’il est vrai que l’Arabie Saoudite n’a pas créé de lien avec la Jamaa islamiya, il n’en est pas de même pour le Qatar. « Ce pays finance beaucoup de groupes et ceci dans tous les pays. Il souhaite s’implanter au Liban. Pour cela, il finance les activités de al-Fajr [Ndlr : « l’Aube » est le bras armé de la Jamaa islamiya] car il souhaite accroître son influence dans le monde arabe pour affaiblir la Syrie. » Aujourd’hui, il s’agit donc de contrer l’influence de Damas mais demain s’agira-t-il peut-être du Hezbollah. « Il y a une tentative de l’étranger qui vise à créer des milices pour concurrencer le Hezbollah », indique le chercheur. La Jamaa islamiya estime avoir toujours eu de « bonnes » relations avec le Hezbollah et considère que « la Résistance a obtenu de bons résultats face à l’armée israélienne ». Mais aujourd’hui, le dossier syrien est source de conflit entre les deux forces politiques. Alors que le parti sunnite soutient l’opposition et milite pour la chute du régime, le Hezbollah affiche, depuis le début de l’insurrection, sa solidarité avec le régime de Bachar el-Assad. Pourtant, la Jamaa islamiya affirme ne pas avoir rompu le contact avec le "Parti de Dieu". « Il est important pour le bien du Liban que l’on conserve des relations avec toutes les fractions libanaises. C’est pour cette raison qu’une fois par mois on rencontre le Hezbollah pour parler de nos désaccords », explique le député Imad el-Hout. Participent également à ces réunions, le Hamas, le Jihad islamique et Harakat at-Tawhid, le mouvement de l’unicité.
Politiquement, les deux partis ont choisi des directions opposées. Bien que le premier ne fasse pas officiellement partie de la coalition du 14 mars (lire encadré) - aujourd’hui dans l’opposition, il s’est fortement rapproché du Courant du Futur (CDF), dirigé actuellement par Saad Hariri. En 2009, il reconnaît le Tribunal spécial pour le Liban chargé d’enquêter sur la mort en 2005 de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Un tribunal illégitime pour le Hezbollah car jugé « impérialiste » et manipulé par Israël. La coalition du 14 mars étant pro américaine et pro occidentale, la Jamaa Islamiya a parfois du mal à justifier cette alliance. Aujourd’hui, Ahmad Fatfat, député du CDF, se félicite de ce rapprochement. « Nous avons souhaité opérer un rassemblement maximum au sein de la communauté sunnite. C’était pour nous une manière de reconnaître qu’il y a d’autres forces en présence que la notre. »
Pour Ahmad Moussalli, si Rafic Hariri s’est de son vivant rapproché de la Jamaa islamiya, c’est d’abord pour contrer l’influence syrienne. « Le CDF a pendant longtemps financé ce parti ainsi que les Salafistes dans le Nord et dans le Sud du Liban », révèle-t-il. A la mort de son père, Saad Hariri cesse cette contribution financière car « il s’est aperçu qu’il était en train de perdre sa base populaire au profit de ces groupes. »
Aujourd’hui, le Courant du Futur est considéré comme le leader des Sunnites libanais. Mais, la Jamaa islamiya entend bien bénéficier de sa nouvelle position pour accroître son influence au sein de sa communauté et entrer en concurrence avec ce dernier. « Nous sommes contre le fait qu’il y ait un seul leader, insiste Omar el-Masri. Le CDF a besoin de collaborer avec nous car nous sommes un parti actif dans la prise de décision. ». Ahmad Moussali considère que le Courant du Futur est en totale déshérence. « Aujourd’hui, Saad Hariri est fini. La Jamaa et les Salafistes sont les nouveaux rois de Tripoli ». Pour Ahmad Fatfat, « dans l’avenir ce parti sera un allié ou un concurrent ».
Dans l’avenir, la Jamaa islamiya devra également composer avec la troisième force politique sunnite, les Salafistes. Présents à Tripoli et dans le sud du Liban, eux aussi souhaitent profiter de la crise syrienne pour gagner en influence. Pour le chercheur Ahmad Moussalli, la Salafiyya libanaise pourrait même, à terme, « déstabiliser » le Nord du pays. « S’il y a un conflit, la Jamaa islamiya pourrait être mise dans le même sac que les Salafistes et donc pénalisée. »